Œcuménisme: «Entre discours officiel et pratique, le fossé se creuse»

Pour Eva-Maria Faber, théologienne grisonne d’origine allemande, le chemin vers l’unité de la Chrétienté doit commencer par une conversion personnelle. Le pape François a confirmé récemment la professeure de théologie fondamentale et dogmatique à l’Institut supérieur de théologie de Coire, dans son rôle de consulteure au sein du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens.

«Le Concile Vatican II nous a recommandé de nous interroger d’abord nous-même, sur ce qui nécessite d’être renouvelé. Plus d’un demi-siècle plus tard, il reste encore beaucoup à faire dans ce sens».

Le constat d’Eva-Maria Faber, professeure à la Theologische Hochschule de Coire, à propos de l’état actuel du dialogue œcuménique en Suisse et dans le monde est péremptoire. Le chemin avance certes, mais les difficultés ne diminuent pas.

Le 4 juin 2020, le pape François a confirmé la théologienne grisonne en tant que consulteure du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Sa tâche de conseillère lui permet de s’impliquer personnellement dans les débats qui visent à dépasser les séparations entre les Eglises chrétiennes.  

Multitasking de l’œcuménisme

«Tous les deux ans, une assemblée plénière a lieu à Rome, explique la théologienne d’origine allemande. On y discute les rapports rédigés par les membres de ce conseil. De plus, en plénière ou dans des petits groupes de travail, nous traitons d’un sujet spécifique concernant le dialogue œcuménique actuel».

Eva-Maria Faber assume cette responsabilité au sein de l’important conseil vatican depuis sa nomination à ce poste par le pape Jean-Paul II, en 2002. À sa grande surprise. «Je ne sais pas du tout ce qui a précédé ma nomination. Un jour, j’ai simplement reçu une lettre qui l’annonçait, sans que l’on ait pris contact avec moi auparavant», se souvient-elle.

Il ne suffit pas de produire de beaux textes. Il faut aussi prendre des mesures concrètes qui traduisent l’effort œcuménique dans la réalité vécue des membres de l’Eglise.

L’ancienne présidente de la Commission théologique et œcuménique (CTO) de la Conférence des évêques suisses (CES) occupe également des fonctions au sein d’autres commissions ecclésiales au niveau européen. Des responsabilités qui lui permettent de créer les synergies nécessaires sur la plan international, pour un cheminement, pas toujours simple, de l’unité de chrétiens.

«En tant que consulteure, il est nécessaire d’apporter sa propre expertise. Ceci, tant sur le plan professionnel en tant que théologienne, qu’à partir des divers contextes ecclésiaux locaux d’où nous provenons», précise celle qui est aussi consultante auprès de la «Commission internationale du dialogue luthérien-catholique romain».

Une commission qui, en 2013, avait notamment préparé le document «From Conflict to Communion», en vue des 500 ans de la Réforme protestante, commémorés en 2015.

«Des préjugés réciproques demeurent»

Selon Eva-Maria Faber, au niveau de l’Église universelle les principaux défis du dialogue œcuménique se trouvent aujourd’hui dans la recherche de ses traits concrets, mais surtout dans leur mise en valeur au niveau diocésain.

«Les résultats du cheminement œcuménique doivent être reçus par les responsables ecclésiaux avant d’être traduits dans l’enseignement et la structure même de l’Église. Car il ne suffit pas de produire de beaux textes, précise la théologienne. Il faut aussi prendre des mesures concrètes qui traduisent l’effort œcuménique dans la réalité vécue des membres de l’Eglise. Ces mesures sont vraiment nécessaires, même si elles ne nous mènent pas immédiatement à l’objectif recherché: l’unité de tous les chrétiens».

Dans le dialogue œcuménique, il est nécessaire qu’on expérimente concrètement un chemin de croissance.

Un chemin d’adaptation réciproque et de mise en œuvre de projets sur le terrain pastoral qui touche aussi directement l’œcuménisme en Suisse. «Dans le dialogue œcuménique, il est nécessaire qu’on expérimente concrètement un chemin de croissance, qu’on perçoive qu’on avance. Autrement, les forces sont destinées à s’affaiblir», souligne la dogmaticienne.

«C’est la raison pour laquelle, dans notre pays, les communautés locales sont parmi les principaux moteurs de l’œcuménisme. Parallèlement, on constate que le fossé entre la pratique et le mouvement œcuménique officiel est en train de se creuser de plus en plus. Or, il faut aussi reconnaître qu’une méfiance et des préjugés réciproques restent malheureusement présents aussi en Suisse».

Synergies au service de l’unité

L’expérience d’Eva-Maria Faber l’a convaincue que le fait de bien connaître les développements de sa propre tradition et les changements profonds qui ont eu lieu au cours de histoire, est une condition très importante pour un dialogue œcuménique en vérité.

«Je pense ici, par exemple, au domaine de la théologie des ministères ou celle des sacrements», précise-t-elle. Ceci permet de se poser la question sur ce qu’il est aujourd’hui effectivement possible de faire sur le plan œcuménique. Cela crée des marges de manœuvres concrètes».

L’enseignement et la recherche dans le domaine de la théologie et de l’histoire sont des contextes d’activité privilégiés en vue de sa contribution à l’avancement durable du dialogue entre les Églises chrétiennes.

Même si un avenir complètement réconcilié entre les Églises chrétiennes est encore à venir, ne pouvons-nous pas prendre certains engagements déjà ici et maintenant ?

«Un premier lieu où le travail œcuménique et la recherche théologique sont interdépendants est celui qui vise à clarifier les antécédents théologico-historiques de nos différences, précise la dogmaticienne. Dans ce sens, je profite par exemple de mes recherches sur Jean Calvin, que j’approfondis avec d’autres travaux concernant l’histoire de la Réforme protestante».

Un deuxième aspect important dans son activité académique est la recherche des principes et des méthodes qui structurent un travail œcuménique toujours en devenir. »Une des questions fondamentales porte sur la relation entre l’objectif final de l’œcuménisme et les étapes intermédiaires concrètes pour y parvenir», souligne Eva-Maria Faber, pour qui le chemin œcuménique en cours est aujourd’hui déjà un lieu dans lequel faire une première, même si incomplète, expérience de l’unité.

«Même si un avenir complètement réconcilié entre les Églises chrétiennes est encore à venir, et que nous ne pouvons pas prévoir quelle forme celui-ci prendrait, ne pouvons-nous pas prendre certains engagements déjà ici et maintenant ?, s’interroge-t-elle, en ajoutant: Ne pourrions-nous pas nous concevoir reliés par Dieu, dans l’espoir d’atteindre un jour cet objectif ? Et, finalement, ne pourrions-nous pas prendre des mesures concrètes à partir de cet avenir qui nous attend, grâce auxquelles la communion ecclésiale puisse se réaliser progressivement ?» (cath.ch/sir/catt.ch/dp)

Nouvelle composition du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens
Deux autres femmes sont nommées consulteures auprès du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens: l’allemande Barbara Hallensleben, professeure à la Faculté de théologie de Fribourg et la religieuse chinoise Sr. Maria Ko Ha-Fong, enseignante à la Faculté pontificale des Sciences de l’Education à Rome.

Le 4 juillet 2020, le pape François a aussi annoncé plusieurs changements parmi les membres du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Font désormais partie de cette commission vaticane, le cardinal Joseph William Tobin, archevêque de Newark (USA), et Mgr Mario Grech, évêque émérite de Gozo (MT), Paulo Cezar Costa, évêque de São Carlos (BR), Paul Rouhana, évêque auxiliaire de Joubbé, Sarba et Jounieh des Maronites (LBN), et Richard Kuuia Baawobr, évêque de Wa (GHA).

En outre, le pontife a inclus parmi les nouveaux conseillers de ce conseil pontifical, Giacomo Morandi, archevêque titulaire de Cerveteri et secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ainsi que Giorgio Demetrio Gallaro, évêque émérite de Piana degli Albanesi (I) secrétaire de la Congrégation pour les Églises orientales.

Davide Pesenti

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