Fin de l'Association des Foyers Interconfessionnels, faute de relève

Faute de relève et de manque d’intérêt tant de la part des institutions ecclésiales catholiques et protestantes que des couples mixtes eux-mêmes, l’Association des Foyers Interconfessionnels de Suisse (AFI-CH), née au lendemain du deuxième Rassemblement mondial des familles interconfessionnelles à Rome en 2003, s’est dissoute.

Pendant plus de 15 ans, l’AFI-CH, qui regroupait une trentaine de couples mixtes dans tous les cantons romands (à l’exception de Neuchâtel) a souhaité accompagner, soutenir et conseiller les couples composés, le plus souvent, d’un conjoint protestant et l’autre catholique. Les militants enthousiastes des premières années ont pris de l’âge, les plus jeunes ne s’engagent pas et la sauce n’a jamais pris outre-Sarine.

Indifférence religieuse et repli identitaire

Au-delà de la question du mariage, les enterrements, les baptêmes, le catéchisme pour les enfants et la possibilité d’appartenir à deux confessions simultanément étaient au centre des réflexions de l’association.

Mais le contexte aussi a changé: les guerres entre catholiques et protestants appartiennent à un passé révolu, et les «autres» ne sont plus des hérétiques voués à l’enfer, même si «l’hospitalité eucharistique» réciproque n’est pas encore à l’ordre du jour, notamment pour les foyers mixtes. Surtout, l’indifférence religieuse a, en quelque sorte, «pacifié» les relations entre des confessions autrefois antagoniques, sans négliger le fait que la religion se privatise ou se confine de plus en plus dans un repli identitaire.

Véronyc Mettaz, présidente de feu l’AFI-CH devant les symboles des deux confessions | © Jacques Berset

«Une réserve d’Indiens francophones»

«Un évêque de Suisse alémanique nous a même dit un jour que notre association était une réserve d’Indiens francophones» confie à cath.ch Véronyc Mettaz, qui nous reçoit au milieu des vignes dans la commune valaisanne de Fully, au cœur de la plaine du Rhône. «On prétendait alors en Suisse alémanique que le problème n’existait pas!» La vigneronne de 55 ans, protestante d’origine vaudoise, a passé 17 ans dans le comité de l’AFI-CH, d’abord comme caissière puis pendant 9 ans comme présidente.

Véronyc a grandi dans une famille vigneronne du Lavaux, ancrée dans la foi protestante, avec une mère genevoise de naissance, qui a travaillé au Conseil œcuménique des Eglises (COE) et a suivi la formation des ministères féminins à l’Université de Genève. Elle a vécu jusqu’à l’âge de 22 ans à La Tour-de-Peilz, avant de connaître plus tard son conjoint Philippe, un catholique valaisan, lors de leur formation à l’école supérieure de viticulture et d’œnologie de Changins.

«L’œcuménisme reçu comme cadeau au berceau»

«J’ai reçu l’œcuménisme comme cadeau dans mon berceau, et je l’ai mis en pratique en mariant un mari catholique et valaisan. C’est extrêmement stimulant de partager sa vie avec une personne d’une autre confession. Nous avons dû complètement revisiter notre foi, notre rapport à notre Eglise, à notre famille. Au début, un foyer mixte, cela n’a pas été évident pour la belle-famille… Mais mon mari et moi avons toujours eu la joie de débattre et de nous enrichir mutuellement. Nos interminables discussions ont encouragé notre pratique religieuse et stimulé notre foi tout en apprenant le non-jugement. Nos enfants sont à l’aise dans les deux Eglises. Baptisés catholiques, ils ont suivi les deux parcours catéchétiques et ont été aussi confirmés dans l’Eglise protestante».

 Véronyc et son mari Philippe veulent avoir un double engagement, afin de construire un pont entre les deux communautés. «Nous vivons l’unité au quotidien, comme l’a demandé le Christ en Jean 17».

Personne ne voulait reprendre le flambeau

«Au sein de l’AFI-CH, nous n’étions au plus que 50-60 membres, et personne ne voulait reprendre le flambeau, alors que selon mes estimations, il y avait dans toute la Suisse, il y a une quinzaine d’années, plus de 100’000 familles mixtes, sans compter ceux qui ne se déclarent pas. C’est considérable! L’effectif était vieillissant et il n’a pas été possible de renouveler nos rangs. Il faut avouer que c’est quand même un peu une désillusion…»

Pourtant, le 9 novembre 2013, Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, recevant à l’évêché le comité de l’AFI-CH à l’occasion de son 10e anniversaire, l’assurait que les réunions de foyers mixtes étaient «une très bonne chose».  

Les encouragements de Mgr Morerod

«Il avait dit: ‘Continuez ! N’hésitez pas à titiller aussi vos pasteurs et vos curés: il y a chez eux une part de fatigue concernant l’œcuménisme, mais la question n’a pas disparu. Demandez-leur: ‘Que faites-vous avec nous ?’ Et là, ce sera assez difficile de ne pas vous répondre…»

«Cela nous avait encouragés, poursuit Véronyc Mettaz, alors que l’on assistait à un repli identitaire dans les deux confessions. On s’apercevait déjà aussi depuis un moment que le milieu ecclésial, tant du côté catholique que protestant, ne s’intéressait plus tellement à l’œcuménisme entre nos deux confessions, pensant qu’on était allés jusqu’au bout de ce que l’on pouvait atteindre. L’intérêt portait désormais sur l’interreligieux. Ni les Eglises catholique et réformées, ni les couples mixtes actuels ne semblent en effet vouloir profiter de notre expérience de couples mixtes…»

Véronyc Mettaz dans le vignoble familial à Fully | © Jacques Berset

«Que l’Eglise ne sépare pas ce que Dieu a uni»

Déjà dans les années 2004-2005, les membres de l’AFI-CH allaient mettre dans les églises et les temples le flyer «Une nouvelle passerelle» expliquant ce qu’étaient les foyers mixtes, leurs expériences et leurs attentes. Avec cette phrase clé: «Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni, que l’Eglise ne le fasse pas non plus!», ils rappelaient que les foyers interconfessionnels avaient la compétence de ceux qui sont touchés dans leur vie quotidienne par les défis œcuméniques.

«On a envoyé le flyer – également rédigé en allemand – à tous les synodes protestants et à tous les évêchés. La réponse: quasiment aucune! Uniquement une réponse des Eglises protestantes de Zoug et du Jura… C’est vrai qu’aujourd’hui, nous sommes fatigués d’Eglises qui font des concessions à l’arraché plutôt que de nous accompagner, consentantes, sur le chemin de l’œcuménisme, fatigués d’Eglises qui nous considèrent comme un problème plutôt que comme une chance pour l’unité».

«Un problème plutôt qu’une chance pour l’unité ?»

Dans le but de ne pas perdre la mémoire de cette riche expérience vécue pendant toutes ces années, et pourquoi pas d’encourager une relève, le comité de l’AFI-CH a décidé de «finir en beauté». Pour ce faire, l’association défunte publie un «ouvrage-testament» de quelque 200 pages intitulé «Nous rendons… grâce … témoignage, … et tablier !», recueillant les témoignages de membres actuels de l’AFI-CH et de leurs prédécesseurs. «Il y au aussi beaucoup de couples qui ont témoigné qui ne sont pas membres de notre association», précise Véronyc Mettaz. Le livre contient aussi des témoignages d’ecclésiastiques qui les ont accompagnés, sans oublier quelques flashes de leur histoire associative.

Il relate leurs réflexions, questions et frustrations.

Rendre témoignage du parcours des foyers mixtes

«Nous restons convaincus d’avoir à rendre témoignage de notre parcours, c’est pourquoi nous avons décidé que ce livre pourrait être offert en particulier aux étudiants des facultés de théologie des deux différentes confessions, en souhaitant que cet ouvrage suscite une prise de conscience de la richesse de notre expérience d’unité», expliquent Véronyc Mettaz et Jean-Baptiste Lipp,  qui fut aumônier protestant de la défunte association. Ce dernier est actuellement pasteur de la paroisse de Pully-Paudex et président de la Conférence des Eglises romandes (CER).

Le pasteur Jean-Baptiste Lipp et son épouse catholique Dominique | © Grégory Roth


A la Faculté de théologie de Fribourg, l’abbé François-Xavier Amherdt, professeur ordinaire de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique, a demandé des exemplaires pour ses étudiants. C’est également le cas d’Elisabeth Parmentier, professeure ordinaire en théologie pratique, à la Faculté autonome de théologie protestante de l’Université de Genève. Pas étonnant de la part de cette théologienne à qui le livre de l’AFI-CH doit une vibrante postface. Et Véronyc Mettaz de conclure, un brin pessimiste: «Il faut au moins que les étudiants en théologie s’informent de notre réalité, dans cette période de repli identitaire!» (cath.ch/be)

Jean-Baptiste Lipp: Et pourtant nous restons des Eglises domestiques…

Epoux d’une catholique depuis 1987 et consacré au ministère pastoral la même année, je me suis énormément engagé, sur le plan national comme international, dans ce mouvement des foyers mixtes, dont l’AFI-CH fut une humble héritière. Ai-je donc « perdu mon temps », ces trente années, en participant aux rencontres du comité de la «Revue Foyers mixtes», puis à ceux de l’AFI-CH, sans oublier les rassemblements nationaux ou mondiaux, y consacrant même un congé sabbatique, ayant voyagé entre l’Angleterre et … l’Ukraine ?
Si j’ai parfois l’impression d’avoir misé beaucoup de mon temps para-ministériel sur le mauvais cheval d’une question qui n’intéresse plus, je pars en paix. Mais je secoue mes sandales aussi, devant deux scandales : l’incapacité d’une Eglise, – et Dieu sait si je l’aime !, – qui ne parvient toujours pas à accueillir officiellement le conjoint non-catholique à la communion, et l’incapacité d’une autre Eglise, – et Dieu sait si ma femme l’aime !, –  à mettre franchement ses priorités sur une spiritualité familiale.
Chers collègues, catholiques, les foyers mixtes sont des ecclésioles à part entière, si nous renouons avec la notion patristique de l’Eglise domestique : je l’ai entendu en haut lieu, tant à Genève qu’à Rome. Chers collègues protestants, une survie ecclésiale ne fera l’économie ni de l’œcuménisme, ni des familles, ni de… l’Eglise : la foi n’est ni individuelle, ni privée. JB

Jacques Berset

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