Beethoven, le catholique?

Beethoven (1770-1827) était-il un chantre de la foi, ou dissimulait-il, sous des oripeaux catholiques, des croyances divergentes? Une question qui trouve une résonance particulière en 2020, déclarée «Année Beethoven», afin de rendre hommage au grand compositeur allemand né à Bonn il y a 250 ans.

C’est une commémoration «Beethoven» de portée mondiale à laquelle nous aurions dû assister en 2020. Qui restera finalement dans les mémoires davantage comme «l’année coronavirus». Plus de 1’000 concerts étaient en effet prévus rien qu’en Allemagne, des dizaines de milliers d’événements musicaux dans le monde entier, dont une grande partie ont déjà été annulés. Restent les programmations radiophoniques ou télévisées, ainsi que les considérations historiques sur l’œuvre et la personne de ce «monument» de la musique.

Concernant l’homme, les experts rappellent souvent ses paradoxes, à la fois tendre et colérique, humaniste et misanthrope, tout à tour classique et déroutant. Pour les catholiques, la grande question étant de savoir s’il partageait ou non leur foi. La réponse est, à l’instar du musicien et de son œuvre: complexe.

Né catholique

Ludwig van Beethoven, né à Bonn le 15 décembre 1770, était certes baptisé. Il a vu le jour au sein d’une famille catholique qui avait émigré des Flandres deux générations auparavant. Sa mère était une femme très dévote et lui-même a commencé sa carrière musicale en jouant de l’orgue à la messe. Aucun élément ne permet toutefois de dire s’il a continué à se rendre à l’office à l’âge adulte, ni de quelle façon ses croyances religieuses ont évolué.

Le musicologue américain Michael de Sapio souligne, dans la publication catholique Crisis Magazine, que des trois monstres sacrés de la musique classique occidentale (Beethoven, Bach, Mozart), le compositeur de l’Hymne à la joie, est celui dont les croyances religieuses sont les plus incertaines. Mozart était connu comme un catholique pratiquant et l’attachement de Bach au luthérianisme est légendaire. Les biographes de Beethoven ont, au contraire, relaté sa réticence à s’exprimer sur le thème de la religion. Ainsi, ses véritables croyances ne peuvent être que supposées d’après une analyse de sa vie et de son œuvre.

Musicien des Cieux?

Certains brandissent qu’il avait lourdement insisté pour que son neveu, Karl, reçoive une éducation catholique. «Mais c’est une habitude humaine de recommander aux autres ce qu’on se répugne à faire pour soi-même», note Benjamin Ivry. L’écrivain des arts américain se penche sur la question de la catholicité de Beethoven dans le magazine jésuite America de mai 2020. Il relève aussi que le compositeur allemand avait l’habitude de converser sur le thème de la religion avec des proches, notamment avec le théologien catholique bavarois Johann Michael Sailer (1752-1832).

Il est également très probable qu’il ait abordé les questions de croyances avec l’archiduc Rodolphe d’Autriche (1788-1831), qui a été son élève et son principal mécène. Ce dernier s’était consacré depuis tout jeune à une carrière ecclésiastique et était devenu en 1819 archevêque d’Olmütz (Olomouc-actuellement en République tchèque), puis cardinal.

«Ceux qui voudraient ‘canoniser’ l’artiste se basent surtout sur le contenu de son œuvre»

Certains ont en tout cas voulu voir dans le «grand sourd» un «prophète» musical de la foi catholique. C’est le cas du musicologue français Joseph d’Ortigue (1802-1866). Ce spécialiste de musique liturgique voyait dans les œuvres tardives du compositeur allemand «le pouvoir de la Révélation divine». Il écrit ainsi: «Simultanément poète, historien et prophète, Beethoven, dans ses compositions musicales, nous fait entendre les chœurs des anges (…)».

La «catholicisation» de Beethoven trouva également une expression littéraire sous la plume de Jeannette Lozaouis. Cette écrivaine de Breslau (actuellement Wroclaw, en Pologne) était à la fois une catholique dévote et une fervente admiratrice du musicien. Dans son roman aux accents surréalistes La vision de Beethoven (1835), elle décrit comment sainte Cécile, patronne des musiciens, kidnappe le compositeur et l’emmène à la Berliner Singakademie. Là, elle l’enjoint à réaliser sa «plus brillante symphonie». A la fin de sa performance, une échelle descend droit du ciel, invitant Beethoven à devenir un «musicien céleste».

Œuvres inspirées ou commandes bien réalisées?

Beethoven a également laissé un certain nombre de notes dans lesquelles il évoque sa forte croyance en un Dieu personnel. L’une de ses lectures favorites était l’ouvrage d’un pasteur luthérien évoquant l’amour du monde naturel, dans la ligne du romantisme précoce de l’époque. Le livre aurait nourri certaines de ses œuvres telles que la 6e Symphonie, dite «Pastorale».

Mais ceux qui voudraient «canoniser» l’artiste se basent surtout sur le contenu de son œuvre. Force est de constater que certaines de ses compositions les plus immémoriales sont du répertoire de la musique sacrée. En particulier la Messe en ut majeur (1807) et la Messe solennelle en ré majeur (Missa Solemnis-1824). Beethoven a également composé un oratorio plus confidentiel, Le Christ au Mont des Oliviers (1803). Certains musicologues prennent six autres de ses morceaux, dont les textes rendent louanges à Dieu, comme «preuves» de sa piété.

Des critiques ont toutefois relevé que ces œuvres ne répondaient pas à tous les critères de la musique sacrée. C’est le cas notamment de la Messe solennelle, à propos de laquelle, le musicologue américain Alec Robertson a dit, dans les années 1970, qu’elle contenait des éléments «relevant purement du genre de l’opéra». Il concédait malgré tout que l’œuvre, même si elle «transcendait» sa vocation première, demeurait «fondamentalement» catholique et liturgique.

«Ludwig van Beethoven a pu bénéficier, aux portes de la mort, du sacrement des malades»

D’autres ont souligné que les morceaux sacrés de Beethoven étaient des «commandes» de la part de personnalités puissantes de l’époque et qu’ils n’émanaient pas d’une intuition spontanée du maître, qui n’aurait fait que répondre à la volonté de ses «clients». La Missa Solemnis a d’ailleurs été composée pour la consécration épiscopale de Rodolphe d’Autriche comme archevêque d’Olmütz.

Beethoven, le déiste

Des voix encore plus discordantes affirment que Beethoven aurait complètement abandonné la foi catholique. Pour certains de ces biographes, le génie musical était plutôt devenu «déiste». Il aurait rejeté la Révélation comme source de connaissance religieuse, note Benjamin Ivry. Considérant que la raison et l’observation du monde naturel suffisaient pour établir l’existence d’un Etre suprême, créateur de l’univers.

Le musicien allemand est en outre décrit par la plupart des biographes comme «un enfant des Lumières». C’était un «individualiste libre-penseur, dont les croyances étaient de nature déistes et qui avait peu d’affinité avec l’Eglise et ses principes», affirme Michael de Sapio.

Selon Alexander Thayer, l’auteur de la première biographie savante de Beethoven, à la fin du 19e siècle, le «déisme» du compositeur consistait en «un rejet du dogme de la Trinité, mais en maintenant la foi en un Dieu personnel, un père universel, auprès duquel ses enfants humains peuvent appeler avec espoir la miséricorde en temps de tentation, l’aide en temps de nécessité et la consolation en temps de détresse.»

Au-delà des catégories

Quoiqu’il en soit, Ludwig van Beethoven a pu bénéficier, aux portes de la mort, du sacrement des malades. Il a également reçu des funérailles catholiques. Ce qui indique la conviction du prêtre officiant que le musicien avait toujours la foi. Ses derniers mots auraient d’ailleurs été: «Je te remercie, toi Seigneur de l’Esprit! Tu m’as apporté le réconfort!»

Au-delà des tentatives d’accaparement du maître par le catholicisme ou l’esprit des Lumières, Benjamin Ivry souligne que «les génies créatifs sont d’habitude difficile à catégoriser avec clarté, du moment que leur originalité les empêche de se conformer aux croyances et aux définitions préconçues». Pour les fidèles, il suffit peut-être de se souvenir avec gratitude, en cette année spéciale, que Beethoven a laissé au catholicisme l’un de ses plus beaux et plus puissants héritages musicaux. (cath.ch/ag/rz)

Raphaël Zbinden

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