Il y a 130 ans mourait Van Gogh, «peintre crucifié»

Amaury Chabert, expert d’art, pour I.MEDIA

Quelques mois avant sa mort, l’artiste néerlandais peint l’unique Christ de toute sa vie. Un peu par accident, car l’artiste, qui possédait une lithographie d’Eugène Delacroix représentant une Pietà, fut bouleversé le jour où il l’endommagea malencontreusement en répandant dessus ses huiles et ses peintures. Il décide aussitôt d’en réaliser une copie, l’interprétant au moyen de couleurs vives et de sa touche fougueuse.

Mais pourquoi Van Gogh, peintre au tempérament religieux, qui pensa pendant la première période de sa vie à suivre les traces de son père, pasteur calviniste dans sa Hollande natale, ne peignit-il qu’une seule fois l’image du Christ ?

Evangéliser les pauvres

Avant d’être peintre, Van Gogh souhaitait consacrer sa vie à l’évangélisation des pauvres. Lecteur assidu de la Bible, il se forme auprès d’un pasteur méthodiste à Amsterdam, puis à Bruxelles, avant de travailler comme prédicateur laïc parmi les mineurs de fond dans les charbonnages du Borinage, en Belgique. Mais en 1880, Vincent connaît une crise existentielle qui bouleverse sa vie, et faute de se faire apôtre, il s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et embrasse la carrière de peintre.

C’est probablement en 1889, à la suite d’une autre crise, alors qu’il est interné à l’asile d’aliénés de Saint-Rémy-de-Provence, que Van Gogh réalise la Pietà conservée aujourd’hui au Vatican.

Cette représentation de la Vierge Marie éplorée, tenant dans ses bras le corps du Christ supplicié est, selon l’aveu même de Van Gogh, centrée avant tout sur la figure de la Mater Dolorosa, Vierge des douleurs, souffrant le deuil de son fils mort sur la Croix.

Une œuvre exécutée avec son propre langage

Elle apparaît à la lisière d’une grotte qui évoque l’entrée du Sépulcre et s’incline, les bras tendus vers l’avant dans un geste désespéré. Son visage, pâle, se découpe contre un ciel orageux où flottent des nuages bordés d’or. Ses vêtements bleus, agités par le vent, semblent en apesanteur, en écho aux rafales de mistral violentes que Van Gogh dut affronter pour réaliser son tableau, le contraignant d’accrocher son chevalet à un rocher.

Plutôt qu’une copie fidèle de Delacroix, la Pietà de Van Gogh se présente davantage comme une variation sur l’original. Si le peintre a adopté à la fois le sujet et la composition de la lithographie, il l’a exécutée avec son propre langage.

Les silhouettes des figures sont cassées dans une inclinaison accentuée, les coups de pinceaux sont larges et visibles, mais, surtout, la scène est traduite par l’intensité et les contrastes de couleurs. L’ombre des vêtements de la Vierge est d’un bleu sombre absolu, le linceul du Christ contraste par son jaune blanchâtre teinté d’azur, le ciel répète cette opposition de jaune et bleu tandis que la chair du Christ se pare de rose et de vert.

«Aller de l’ombre à la lumière»

Dans une lettre à son ami peintre Emile Bernard, Van Gogh confesse son admiration pour Delacroix, cet artiste qui avait «un ouragan dans le cœur». Avec Rembrandt, il considère qu’il est le seul à avoir peint la figure du Christ «comme je le sens». En peignant la Pietà, Van Gogh reconnaît que, face à sa maladie, il cherche surtout à «faire quelque chose pour se consoler, pour son propre plaisir». La peinture est, selon ses propres mots, une démarche «pour aller de l’ombre à la lumière».

Car Van Gogh, cet évangéliste à la vocation contrariée, a pourtant manifesté toute sa vie une foi certaine dans la divinité du Christ qui est, selon lui, un maître capable de réconforter, de consoler et de soulager. Lui, que le poète et écrivain Antonin Artaud qualifiait de «martyrisé» et l’auteur Raymond Mahieu de «peintre crucifié», n’eut de cesse de proclamer que le meilleur moyen de connaître Dieu, c’est d’aimer beaucoup et de vivre à l’imitation du Christ.

Dans une lettre écrite à Emile Bernard, deux ans avant sa mort, Van Gogh aura ces mots d’une spiritualité authentique: «Le Christ seul entre tous les philosophes, magiciens, a affirmé comme certitude principale la vie éternelle, l’infini du temps, le néant de la mort, la nécessité et la raison d’être de la sérénité et du dévouement. Il a vécu sereinement, en artiste plus grand que tous les artistes, dédaignant et le marbre et l’argile et la couleur, travaillant en chair vivante». (cath.ch/imedia/ah/be)

Jacques Berset

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