Le football, la joie enfantine des pontifes (4/4)

À la fin du 19e siècle, des pasteurs anglicans se sont mis à diffuser une toute nouvelle pratique dans l’Europe entière: le football. Le succès est immédiat, mais son origine protestante pousse l’Église catholique à se méfier. C’est la jeunesse catholique qui va convaincre les prêtres puis les évêques des bienfaits de ce nouveau sport anglo-saxon.

Camille Dalmas, I.MEDIA

Saint Jean Bosco en témoigne avec tendresse : «Comment rendre les enfants heureux, comment rassembler les enfants ? Lancez un ballon dans la rue et les enfants arriveront immédiatement». S’ouvre alors l’âge d’or de la relation entre l’Église et le football, celle des patronages, qui prospèreront pendant la première moitié du 20e siècle partout en Europe, puis dans le reste du monde. 

Dans le même temps, en Italie, le prestige populaire du calcio (le football, en italien) en fait la seule ›religion’ moderne capable de cohabiter avec l’Église, et même les papes ne pourront ignorer cette immense passion populaire. Benoît XV (1914-1921) et Pie XI (1921-1939) vont encourager la construction de terrains de football dans leur diocèse de Rome, faisant notamment appel pendant l’entre-deux guerres à la puissante organisation américaine des Chevaliers de Colomb. 

Mais il faudra attendre Pie XII (1939-1958) pour qu’une équipe de football soit officiellement reçue au Vatican. Il s’agit de l’Athletic Bilbao, la célèbre équipe basque du championnat espagnol, qui, en 1956, se rend au Vatican après avoir disputé et perdu une finale contre le Milan AC. Le commentaire de Pie XII montre que l’ère du professionnalisme n’est pas encore advenue : il loue en effet les «sincères amateurs d’une activité à laquelle [ils se consacrent] avec âme et vie, y mettant une fougue juvénile, un effort authentique». 

La foi, un atout sur le terrain

Le ballon rond inspire d’ailleurs au pape romain une très belle comparaison filée, qui montre sa connaissance poussée de la tactique sportive:
«Dans le football comme dans la pratique quotidienne et afin de ne pas perdre le match, il faudra souvent défendre sa propre zone avec courage, sécurité et énergie, si l’on ne veut pas être submergé par les passions qui se déchaînent ; souvent il faudra savoir se comporter dans le milieu difficile du terrain afin de trouver le moment de passer à l’attaque sans perdre de vue les mouvements de l’adversaire et les dangers éventuels de son propre but; souvent il faudra avancer avec intelligence, résolution et agilité, en bonne harmonie avec toute la ligne. Vous ne devez pas manquer le bon moment, et vous ne devez pas le laisser se perdre.» 

Son successeur Jean XXIII (1958-1963), n’est pas un pape sportif, et comme pour les autres disciplines, se distingue par un désintérêt total pour le football. Au contraire de la Curie romaine, où dès cette époque, on voit des prélats et même des hauts prélats défendre leur équipe. Un héritier de cet attachement tout particulier à ses racines, celle d’un football familial et local, sera Paul VI (1963-1978), qui déclare que «celui qui se rend sur le terrain et a la foi, a un équipement supplémentaire.» Les footballeurs s’en souviendront, parfois jusqu’à la superstition !

Un Christ aux couleurs du Brescia Calcio

En 1965, il reçoit les joueurs et les dirigeants du club de football de Brescia, ville dont il est originaire. Dans son discours, il souligne avec son adresse intellectuelle caractéristique la dimension spirituelle du football: 
«Le sport a en soi une valeur morale et éducative de premier ordre : c’est une salle de gymnastique aux vertus fortes, une école d’équilibre intérieur et de contrôle extérieur, une propédeutique aux réalisations les plus vraies et les plus durables, aux victoires définitives et pérennes … c’est-à-dire celles de l’esprit !»

À cette occasion, le pontife donne néanmoins aux visiteurs un étrange tableau, représentant un «Christ blanc-bleu», aux couleurs de l’équipe ! Cette œuvre, qui montre que l’universalité de l’Église n’exclut pas la défense de l’identité locale, est encore aujourd’hui exposée au siège du Brescia Calcio

Un pape gardien de but

Jean Paul II, élu en 1978, est le seul pape footballeur. Dans sa jeunesse, il a en effet joué au poste de gardien de but pour un club de sa ville, le MKS Cracovie. Ceux qui se souviennent de lui en parlent comme un excellent portier doublé d’un grand leader dans les vestiaires pour ses coéquipiers. Pendant son pontificat, il multipliera les contacts avec le monde du football. Il y aura notamment de nombreuses rencontres avec les délégations des équipes nationales ou locales: ainsi l’Irlande, par exemple, lors de la Coupe du monde en Italie en 1990, ou les clubs rivaux de la Lazio et de Rome après leurs succès respectifs. On le voit organiser de nombreux matchs de charité, et s’enquérir des résultats des matchs entre la Pologne et l’Italie. Mais son goût pour le football se nourrit de joies simples.

Une fois, pendant son séjour à Castel Gandolfo, des personnalités importantes attendent le pape polonais, alors que celui-ci se promène dans les jardins de sa résidence d’été. Ses secrétaires lui indiquent qu’il est attendu, mais le pontife ne les écoute pas : il regarde un petit garçon, le fils d’un jardinier qui joue au ballon. Les secrétaires insistent, mais le pape secoue fermement la tête comme s’il voulait dire: «Je suis désolé, je n’ai pas le temps, maintenant je dois jouer au football.» Et échange, devant la famille et un photographe, quelques passes avec le petit garçon. 

Dans le stade résonne «Santo subito !»

Très apprécié des footballeurs, qui deviennent peu à peu des stars, il est le premier pape à véritablement mettre les grands sportifs au service de l’Église. Quatre jours après sa mort, un derby à très haute tension se déroulait entre l’Inter et le Milan AC, les sœurs ennemies de la capitale lombarde. Enjeu: une place en demi-finale de la Ligue des champions. Si sur le terrain les deux équipes bataillent, la musique est différente dans les tribunes: des chants et des banderoles sont déployées pour rendre hommage au pape polonais. L’une d’entre elles, souvent reprise sur la place Saint-Pierre les jours suivants, affiche déjà : «Santo subito». Une marque de l’affection qu’avait pour lui le milieu du ballon rond.

Le cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d’État de Benoît XVI, est quant à lui un fervent supporter de la Juventus Turin: il décide de lancer la coupe du monde de football du Vatican, la Clericus Cup, en 2007. Le tournoi voit des prêtres du monde entier s’affronter sur la pelouse sur un terrain à quelques encablures du petit État. On s’y distingue des autres compétitions habituelles par l’emploi d’un carton bleu, une alternative aux jaunes et rouges, qui plutôt qu’expulser envoie au ›purgatoire’ le joueur fautif, avant de lui permettre de reprendre la partie. Le cardinal salésien, persuadé du rôle positif que peut jouer le ballon rond, notamment sur la jeunesse, n’a de cesse d’y associer l’Église. Selon lui, le pape est le Beckenbauer, du nom du fameux «libéro» de l’équipe d’Allemagne des années 60-70. Une façon, probablement, de complimenter Benoît XVI, qui est un supporter, sans surprise, du Bayern Munich.  

Les joueurs de l’équipe italienne de foot reçus par le pape François le 13 octobre 2019 © Vatican Media

«Beauté, gratuité, camaraderie»

Avec le pape François, le Vatican obtient son seul vrai pape supporter. Mais c’est un supporter qui, plutôt que les paillettes du football business, préfère l’amateurisme et la ferveur des stades populaires de Buenos Aires. Adhérent du club de San Lorenzo, dont il paye toujours la cotisation mensuelle, il n’a cependant plus regardé de match de football à la télévision depuis 1990, date à laquelle il a vendu son poste.

Il confie par exemple n’avoir jamais vu jouer la légende vivante de son pays Lionel Messi, qu’il a pourtant accueilli au Vatican à plusieurs reprises. À «la Pulga» comme à Samuel Eto’o, James Rodrigues, Gianluigi Buffon, Philippe Lahm et toutes les grandes célébrités du football mondial, le pape François confie cependant une mission importante, dont témoigne ce discours prononcé en 2013 lors d’une réception à l’occasion d’un match amical Italie-Argentine:
«Vous, chers joueurs, êtes très populaires: les gens vous suivent beaucoup, non seulement lorsque vous êtes sur le terrain mais aussi à l’extérieur. C’est une responsabilité sociale! Laissez-moi vous expliquer: dans le jeu, quand vous êtes sur le terrain, vous trouvez la beauté, la gratuité et la camaraderie. Si vous manquez un match, il perd de sa force, même si l’équipe gagne. Il n’y a pas de place pour l’individualisme, mais tout est coordination pour l’équipe. Peut-être ces trois choses: beauté, gratuité, camaraderie se résument-elles en un terme sportif qu’il ne faut jamais abandonner: «amateur», amateur. Il est vrai que l’organisation nationale et internationale professionnalise le sport, et il doit en être ainsi, mais cette dimension professionnelle ne doit jamais laisser de côté la vocation initiale d’un sportif ou d’une équipe : être amateur, «amateur». Un sportif, même s’il est professionnel, lorsqu’il cultive cette dimension «amateur», est bon pour la société, il construit le bien commun à partir des valeurs de gratuité, de camaraderie, de beauté.»

L’attraction du ballon rond

François, qui ne cesse jamais de leur rappeler l’influence immense qu’ils ont sur les jeunes, renoue en même temps avec l’éloge de l’amateurisme de Pie XII, lui qui se souvient avec tendresse et joie s’être rendu au stade El Gasómetro, à Buenos Aires en 1946. Comme pour Jean Paul II, François retrouve aussi l’importante dimension ludique, celle des patronages, et va jusqu’à se fendre d’un communiqué pour les footballeurs à l’occasion de la Coupe du monde 2014 au Brésil, qu’il observe comme la possibilité de défendre la solidarité entre les peuples. Il semble avoir compris dès le plus jeune âge le grand pouvoir que revêt le football:
«Le ballon a une attraction. Je me souviens qu’il y avait une petite place à quelques mètres de ma maison. On y jouait, mais on n’avait pas toujours de ballon, parce qu’à l’époque le ballon était en cuir, c’était très cher. Il n’y avait pas encore de plastique, les caoutchoucs n’étaient pas encore là… Il y avait une balle de chiffon. Même avec une balle de chiffon, vous pouvez faire des miracles.» (cath.ch/imedia)

I.MEDIA

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