Le souvenir de Paolo Dall’Oglio ravivé par un journaliste italien

Catt.ch / traduction Bernard Litzler, cath.ch

Sept ans après son enlèvement en Syrie, le 29 juillet 2013, le jésuite Paolo Dall’Oglio, fondateur du monastère Mar Moussa, au sud du pays, continue de faire parler de lui. Le journaliste Riccardo Cristiano vient d’écrire, en juillet 2020, un livre en italien sur cette grande figure, adepte du dialogue islamo-chrétien. 

Dall’Oglio, le rapt qui ne doit pas finir (Dall’Oglio, il sequestro che non deve finire, en italien): c’est le titre du livre électronique que vient de publier le journaliste italien Riccardo Cristiano. Ancien correspondant de la radio publique italienne RAI au Moyen-Orient, il est resté en contact avec le religieux jusqu’à quelques jours de son enlèvement. Il est le fondateur de l’association Journalistes amis du Père Dall’Oglio.

Le bref ouvrage d’une vingtaine de pages denses reconstitue les derniers jours de Paolo Dall’Oglio et cherche à faire la lumière sur les liens entre certains représentants du régime de Bachar al-Assad et la direction de l’Etat islamique: des factions ennemies dans le complexe échiquier géopolitique syrien, mais unies par leur impatience à contrecarrer les visées du père Dall’Oglio.

«La question syrienne me déchire»

En 2012, le jésuite a été expulsé de Syrie, après trente ans d’activités dans son monastère de Mar Moussa. Le gouvernement de Bachar Al Assad l’avait éloigné à cause de ses attaques contre le régime, responsable d’atrocités contre sa propre population. Le père Dall’Oglio avait choisi de vivre au milieu du peuple syrien. Le journaliste Cristiano fait état d’une correspondance dramatique: «La question syrienne me déchire la chair, c’est un fait physique, écrivait le religieux. Je ressens quelque chose qui n’est pas sans rappeler l’accouchement.»

Après son expulsion, il s’installe au Kurdistan irakien où il s’occupe des personnes évacuées de Syrie. En 2013, il retourne en Syrie, dans la zone de Raqqa occupée par l’Etat islamique. Il cherche alors à entrer en contact avec ces nouveaux occupants, qui à l’époque apparaissaient comme un mouvement parmi les autres mouvements radicaux. Il veut surtout défendre les civils syriens et travailler pour que naisse, sur les cendres du conflit, une Syrie «plurielle et harmonieuse», une fédération née d’«en bas» rassemblant différentes identités.

De nombreuses questions

Mais le régime et l’Etat islamique lui-même s’opposent à ce projet. Et, rappelle Riccardo Cristiano, à Raqqa les deux forces en présence sont en contact. Le général des services secrets d’Assad, Abid Nemar Salamah, garde la ville au nom du régime et connaît bien l’émir Abou Luqman, chef de l’Etat islamique dans la région. Abu Luqman est l’homme avec lequel le père Dall’Oglio a rendez-vous le 29 juillet 2013. Le lien entre les services secrets syriens et les fondamentalistes aurait-il pu avoir un poids dans l’affaire du jésuite? Il n’y a pas de certitude, mais de nombreuses questions subsistent.

Dall’Oglio n’a-t-il pas été «utilisé» pour sa valeur comme prêtre occidental afin d’obtenir des avantages financiers ou de propagande ? Les fondamentalistes pouvaient négocier une rançon importante ou diffuser une vidéo – comme cela s’est produit avec d’autres otages – avec les preuves de la violence infligée au religieux. Pourquoi n’ont-ils jamais diffusé une revendication, ni formulé de demandes officielles de rançon?

«Il croyait en la fraternité humaine»

Autre question : que s’est-il passé après l’enlèvement? L’auteur énumère les hypothèses qui ont circulé au fil du temps, mais aucune n’est tout à fait logique. Entretemps, de nombreuses bases djihadistes ont été touchées lors des batailles progressivement perdues par l’Etat islamique, mais sans qu’on ne retrouve aucune trace du prêtre. Parmi tant de doutes, l’hypothèse formulée par le journaliste prend toute sa valeur: puisque le régime syrien et l’Etat islamique craignaient l’homme et son message, «ils ont compris qu’en l’éliminant, ils le feraient oublier plus facilement».

«Dall’Oglio a été kidnappé parce qu’il croyait en la fraternité humaine», estime Roberto Simona, ami suisse du jésuite et expert en questions religieuses. Cette même hypothèse figure au bas du livre électronique de Riccardo Cristiano: la vision du monde en laquelle croyait le père jésuite était tout aussi insupportable pour le régime syrien, prêt à réprimer dans le sang les protestations des citoyens afin de garder le pouvoir, que pour les fanatiques de l’Etat islamique, qui avaient besoin d’alimenter la rhétorique du choc des civilisations pour soutenir leur idéologie. Les questions soulevées par le journaliste italien tentent de faire la lumière sur les aspects encore obscurs d’un enlèvement non résolu. Surtout, ils contribuent à ce que l’opinion publique n’oublie pas le père Dall’Oglio. (cath.ch/catt.ch/bl)

Rédaction

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