Avec les Yéniches, une pastorale «de la route»

Le jésuite Christoph Albrecht dirige depuis 2016 la pastorale des Gens du Voyage en Suisse. Au fil de ses visites chez les Yéniches, il a découvert un monde à part, qui a conservé un socle solide de cultures et de traditions.

Par Vera Rüttimann, pour Christ und Welt/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Comme chaque année, la dernière semaine de juillet, des Yéniches de Suisse ont accompli en 2020 leur traditionnel pèlerinage à la Vierge noire, à l’Abbaye d’Einsiedeln (SZ). Pour cette édition, Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion, était sur place, ainsi que Christoph Albrecht.

Comment êtes-vous devenu aumônier des Gens du voyage?
Christoph Albrecht: De 2010 à 2016, j’ai été aumônier à l’Université de Bâle et responsable du Service jésuite des réfugiés en Suisse. Alors que mon successeur, à l’Université, était arrivé, j’ai appris que le poste d’aumônier pour les Gens du voyage était vacant. J’ai été la seule personne à postuler, ce qui m’est apparu comme un signe ou un appel de Dieu pour cette mission.

En quoi consiste votre travail?
Je rends visite aux Yéniches où ils se trouvent lorsqu’ils me le demandent. Sinon, j’essaie de régler les choses par téléphone. Même si j’apprécie de parcourir la Suisse pour échanger sur divers thèmes, prier, animer des cours de Bible, célébrer des offices ou préparer des pèlerinages. C’est une grande joie pour moi de voir comment nous construisons ensemble une Eglise ancrée dans leur culture.

Quels sont les sujets qui préoccupent les Yéniches?
Avec eux, j’aborde fréquemment des sujets liés à la maladie, à la mort, à la compréhension de la Bible, au sens de la prière et aux relations humaines. Très souvent, ils sont également préoccupés par des sujets pratiques ou professionnels. La crise du coronavirus et les mesures associées rendent non seulement le travail de certains Yéniches très difficile, mais également leur recherche d’un lieu de stationnement. Des choses déjà compliquées pour eux en temps normal.

«Pour les Gens du voyage, le processus du pèlerinage est important»

On sait que la religion et la spiritualité sont des aspects très importants pour les Yéniches. Quelles en sont les raisons?
Les Yéniches maintiennent une forte cohésion familiale. Ils répètent ce qu’ils ont fait avec leurs parents et leurs grands-parents, également au niveau de la pratique religieuse. C’est une dimension qui se transmet ainsi de façon efficace. Malgré leur indépendance au niveau culturel, la liturgie constitue un espace de contact avec les formes d’expression traditionnelles.

Comment cela s’exprime-t-il concrètement?
Leur mode de vie itinérant rejoint en de nombreux points le concept en vogue de «spiritualité du cheminement». Chez les sédentaires de notre époque en quête de spiritualité, beaucoup redécouvrent le pèlerinage. Les Yéniches aiment parler de leur chemin vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Pour les Gens du Voyage, le processus du pèlerinage est important. Même si ceux qui se rendent à Einsiedeln en juillet y restent avec leurs caravanes toute la semaine.

On connaît également la grande dévotion des Yéniches pour la Vierge Marie. Comment abordez-vous cela en pastorale?
J’ai grandi à Riehen, près de Bâle, dans une paroisse catholique. J’étais enfant de chœur et je participais à des groupes de jeunes dont certains étaient dans l’Eglise réformée. Mon engagement a été orienté vers l’œcuménisme pendant des décennies. C’est pourquoi la dévotion mariale de nombreux Gens du voyage catholiques ne m’est pas tellement familière. Mais les processions, auxquelles je participe également ici, à Einsiedeln, me donnent l’occasion d’apprendre d’eux. Leur ferveur me touche, ainsi que la confiance qu’ils mettent dans la protection des saints et l’aide de Dieu.

Quelle est l’importance de la catéchèse dans votre travail avec les Yéniches?
Je suis impressionné par leur participation active, en particulier dans les familles ayant des enfants en âge de faire leur première communion. Le samedi après-midi, lorsque nous rencontrons les enfants pour l’étude de la Bible, les parents, frères et sœurs, tantes, oncles et grands-parents sont également présents. Parallèlement, nous faisons des tournées de lecture de la Bible et d’approfondissement de la foi pour les adultes. Leur intérêt pour l’enseignement théologique est en partie motivé par la confrontation avec des personnes qui prétendent que la foi catholique n’est pas chrétienne. Mais la catéchèse avec eux est aussi un merveilleux champ d’apprentissage pour moi. J’explique souvent des choses avec des mots issus de ma propre expérience théologique. C’est un langage que beaucoup d’entre eux ne comprennent pas. Mais dans le dialogue qui s’en suit, nous nous efforçons de trouver le véritable sens des mots. J’apprends ainsi comment ils expriment leur expérience de la foi et la relient aux récits bibliques.

Y a-t-il des points communs entre la pastorale des Gens du Voyage et le travail avec les réfugiés?
La Bible contient de nombreuses histoires de migration. Dans le cas des réfugiés, beaucoup d’entre eux ont été forcés de partir dans les conditions les plus difficiles. Ils cherchent un endroit où ils pourront enfin s’installer. Avec les Yéniches, c’est exactement le contraire: ce sont ceux qui maintiennent la culture du voyage qui sont sur la route. Et ils luttent pour éviter de s’installer. (cath.ch/christundwelt/vr/rz)

Rédaction

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