Pèlerinage sur les traces de la Sainte Famille en Egypte

Chaque année, les coptes se rassemblent par milliers le 22 août. C’est l’Assomption dans le calendrier julien. Ils vont en pèlerinage sur les lieux dont ils sont certains que la Vierge Marie a foulé le sol, avec Joseph et l’Enfant Jésus.

Sabine Perouse pour l’hebdomadaire ‘Dimanche’, adaptation Maurice Page

En l’an 2000, le gouvernement égyptien et le patriarcat copte ont célébré conjointement le bimillénaire de la venue du Christ dans leur pays. Le parcours qu’ils ont alors officialisé relate la vie de la Sainte Famille en Egypte.

Si seul l’évangile de Matthieu rapporte en trois phrases la fuite de la Sainte Famille en Egypte, sans autre mention géographique, d’autres récits mentionnent depuis l’Antiquité le nom de certains lieux de pèlerinage sur les pas de l’enfant Jésus et de ses parents.

«Nos recherches, ont mis en évidence l’existence de documents textuels et archéologiques, et de sanctuaires, sur de nombreux sites dès le IVe siècle«, indique le professeur d’université Ashraf Sadek qui étudie les traditions coptes depuis plus de 40 ans. En effet, le lieu d’édification d’une chapelle ou d’un monastère n’est jamais dû au hasard.

Des travaux de restauration ont été entrepris depuis deux décennies à travers le pays. Le but en est d’obtenir la reconnaissance de ce «Chemin de la Sainte Famille» par l’UNESCO, dans la liste du Patrimoine mondial de l’humanité, au même titre que les «Chemins de Saint-Jacques de Compostelle».

Deux ans de voyage

Les exégètes s’accordent pour dire que le voyage en Egypte a vraisemblablement duré plus de deux ans. Selon le texte de Matthieu, Hérode n’a pas été informé immédiatement de la naissance du Christ. Raison pour laquelle il aurait ordonné le massacre «de tous les enfants de moins de deux ans«.

Quant à la fin du voyage, elle a sonné lorsque Joseph a été averti en songe: «… ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’Enfant«. La date de la mort d’Hérode est documentée dans les documents de l’Empire romain.

Pendant cette période, la tradition veut que, régulièrement poursuivis par des espions d’Hérode, les fugitifs n’ont eu de cesse de s’éloigner toujours davantage, jusqu’en Moyenne Egypte (voir encadré). Ce long périple effectué en grande partie à pied et à dos d’âne a nécessairement pris du temps. La durée totale de leur voyage est ainsi estimée à un peu plus de trois ans.

L’itinéraire

La Sainte Famille aurait voyagé jusqu’en Moyenne-Egypte

Le parcours a identifié sept principales étapes. Suite à la traversée du Sinaï, la ville de Farama (la Péluse romaine) marque l’entrée officielle en Egypte. Cette tradition est rapportée dans trois textes coptes anciens puis, au IXe siècle, par un moine pèlerin français, Bernard Le Sage. Les archéologues y ont découvert de nombreuses églises bâties entre le IVe et le VIIe siècle qui témoignent, par leur taille, d’un culte d’une ampleur inexplicable par une autre raison.

Le deuxième point d’ancrage, dans le Delta du Nil, Tell Basta (Boubatis) est attestée par quatre textes coptes qui évoquent la chaleur écrasante subie par la Sainte Famille et le puits creusé là par Joseph. La ville a été très tôt un centre chrétien, siège épiscopal dès le IIIe siècle. On y a découvert récemment un puits daté du Ier siècle de notre ère.

Le point de passage suivant est Burullus et le monastère Sainte-Damienne, édifié à la fin du IIIe siècle. Il doit son nom à la moniale Damienne, martyrisée sous Dioclétien et portée sur les autels par le patriarche Alexandre (312-326). Depuis, les pèlerins viennent s’y recueillir, dans les trois églises d’époques différentes. Selon la tradition, c’est là que l’Enfant Jésus fit jaillir une source d’une pierre, avec son talon. Cette pierre appelée Bikka Issous (talon de Jésus) est aujourd’hui conservé à Sakha.

Au sud du Delta, Matareya (l’antique Héliopolis) est connue pour ses baumiers, issus d’un premier arbre béni par l’Enfant Jésus et désormais appelé «Arbre de la Vierge». Son huile permet de fabriquer le Saint Chrême.

Un christianisme rayonnant dès l’Antiquité

L’arbre bimillénaire du jardin des baumiers, à Matareya l’antique Héliopolis, en 2015 | DR

Dans le Vieux-Caire, parmi les nombreux sites reconnus, la crypte de l’église Saint-Serge enserre la grotte où ont vécu les fugitifs. Plus au sud, dans le quartier de Maadi, on peut voir l’embarcadère d’où, selon la tradition attestée dès le IVe siècle, ils sont partis pour la Moyenne Egypte.

Plus au sud, la Vallée du Nil abrite le cœur de l’Egypte chrétienne: Deir el Meinoun, où vécut saint Antoine, père du monachisme, puis Deir el Garnous mais surtout Bahnasa, l’Oxyrhynque grecque. Martyrisée sous Dioclétien puis rayonnante avec ses 360 églises, elle était la plus grande ville chrétienne avant la domination arabe. Des fragments de manuscrits du IIe siècle témoignent du développement précoce de sa foi, puis des écrits musulmans évoquent le passage de «Marie et son fils».

La grotte qui aurait abrité la Sainte Famille sous l’église St-Serge au Caire | DR

Achmouneïn est le lieu où convergent le plus de sources anciennes écrites dont celles conservées à la Bibliothèque Vaticane. Elles relatent les miracles de guérison faits par Jésus enfant et le futur martyre de ceux qui l’ont accueilli.

Le terme du voyage est le Mont Qosquôm, dans la région d’Assiout, au centre du pays. La Sainte Famille y serait restée six mois, jusqu’à l’annonce à Joseph de la mort d’Hérode. Le monastère de Moharraq garde la mémoire de ce séjour, en lien avec la prophétie: «Ce jour-là, il y aura un autel au milieu de la terre d’Egypte" (Is 19,19). C’est un centre spirituel majeur où vivent plus de cent moines.

Un itinéraire documenté depuis près de deux mille ans

Marie-Gabrielle Leblanc est historienne d’Art et journaliste. Elle organisme depuis 1995 des voyages-pèlerinages en Egypte.

Marie-Gabrielle Leblanc est historienne de l’art et journaliste. Elle organisme depuis 1995 des voyages-pèlerinages en Egypte | DR

Comment avez-vous connu ce trajet?
Quand j’ai fait la connaissance du professeur Sadek. J’ai rencontré sur place des coptes de tous les milieux, prêtres, évêques, gens des bidonvilles, moines, paroissiens et chiffonniers du Caire dont le docteur Adel Ghali, diacre médecin auprès de sœur Emmanuelle pendant 20 ans… L’Eglise copte orthodoxe a été fondée au Ier siècle. Le christianisme s’est répandu très vite: au IIe siècle déjà, plus de la moitié du peuple égyptien était chrétien, les trois quart au IIIe siècle et 99% au IVe. L’enthousiasme a été total, malgré la persécution romaine qui fit plus de martyrs qu’à Rome.
Cet itinéraire reste inconnu des Européens.
C’est vrai ! Pourtant, il est documenté depuis près de deux mille ans, de manière continue. Le plus ancien papyrus date du début du IIe siècle, cent ans après les faits! Sa conservation est due au climat sec. Et il ne faut pas oublier la qualité de la tradition orale. En Orient, elle est beaucoup plus fidèle que les recopiages successifs des textes où les fautes sont reproduites.
Quel est le lieu qui vous a particulièrement touchée?
Djedel el Teir (Ghabal al-Tair), en Moyenne Egypte. Sur une falaise de calcaire au-dessus du Nil, il y a une église rupestre construite par sainte Hélène, autour d’une grotte où la Sainte famille avait séjourné… Sainte Hélène, au IVe siècle fit construire des basiliques sur tous les lieux de la fuite en Egypte. Et après les Lieux Saints en Palestine, les pèlerinages continuaient en «Terre sanctifiée», l’Egypte. Dans les manuels de pèlerinage, comme le guide écrit par la pèlerine Egérie au Ve siècle, après la Terre Sainte il y a la Terre sanctifiée. Jusqu’à la conquête arabo-musulmane, les pèlerins y venaient.
Comme au tombeau de saint Ménas, un martyr très important d’Alexandrie du IIIe siècle. On le sait car on a retrouvé en Islande, dans les fouilles des maisons du VIe siècle, une ampoule d’huile de saint Ménas, avec l’effigie du saint.
Et puis Deir el Morraraq, la fin de l’histoire, haut lieu à la fois culturel et spirituel. Un monastère mais aussi le Grand séminaire de Moyenne Egypte, lieu de pèlerinage et haut-lieu théologique avec l’excellence du chant copte. Ils chantent la messe entièrement en copte, sans un mot arabe. C’est trop peu connu. (cath.ch/ dimanche/sp/mp)

Rédaction

Portail catholique suisse

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