Développement: Caritas dénonce les incohérences de la politique suisse

En raison de ses exportations de matériel de guerre dans les zones de conflit, «la Suisse est sur la bonne voie pour nuire durablement à sa réputation», écrit Patrik Berlinger. Le responsable du Service Politique du développement à Caritas Suisse dresse un constat alarmant dans l’édition 2021 de l’Almanach  Politique du développement, l’annuaire de Caritas sur la Suisse humanitaire.  

L’auteur dénonce en particulier l’exportation de matériel de guerre vers des régions en conflit dans la Péninsule arabique ou des pays très pauvres comme le Bangladesh, dans le viseur d’Amnesty International pour de graves violations des droits humains.

Exportation d’armes suisses: 2019, une année record

Dans un chapitre de l’Almanach 2021, Caritas Suisse se demande si la politique suisse est vraiment toujours compatible avec les buts de la coopération au développement dans les pays pauvres. Et de rappeler que le Conseil fédéral et le Parlement suisse sont censés veiller à ce que l’orientation des différents domaines politiques ne viennent pas compromettre les objectifs et les mesures mises en œuvre par la Direction du développement et de la coopération (DDC).

Patrik Berlinger, responsable du Service Politique du développement à Caritas Suisse | Caritas Suisse

Ainsi, pour Caritas, l’exportation d’armes suisses dans les pays pauvres et les zones de guerre contrevient aux objectifs officiels du développement. Ainsi, 2019 a été une année record pour l’industrie suisse de la défense, écrit Patrik Berlinger. «Avec l’aval de la Confédération, des entreprises suisses ont exporté du matériel de guerre dans 71 pays, pour une valeur totale de 728 millions de francs. Alors que nos exportations (toutes marchandises confondues) ont augmenté de 3%, celles du matériel de guerre ont fait un bond de 43%. Ce faisant, ces exportations de biens militaires ont atteint la valeur la plus élevée depuis 1938…»  

La faim dans le monde en forte croissance

L’œuvre d’entraide publie chaque année une série d’études consacrées à la question de la pauvreté et de son éradication partout dans le monde. Avec cette publication de quelque 260 pages, dont le thème est «Sortir de la crise alimentaire», Caritas Suisse veut susciter la discussion et la réflexion.

Cet annuaire traite les multiples facettes d’un thème d’actualité de la coopération au développement et de la politique de développement: acteurs du Nord et du Sud, scientifiques, partenaires, observateurs et critiques sont invités à prendre part à la discussion.

Politiques inadéquates

Plus de 820 millions de personnes dans le monde souffrent de la faim, 2 milliards de malnutrition. Depuis plus de trois ans, le nombre de personnes touchées augmente continuellement, alors qu’au plan mondial, la production de nourriture est pourtant suffisante.

L’Almanach Politique du développement 2021 que publie Caritas Suisse cette année examine les différentes dimensions de la faim et analyse leurs causes: la faim chronique est souvent due à un problème de distribution, à une politique inadéquate ou simplement à une vie dans la grande pauvreté. «C’est pourquoi une augmentation de la production agricole ne signifie pas automatiquement que la faim va diminuer. Ce n’est pas la nourriture qui fait défaut, c’est l’accès à cette dernière», note Caritas Suisse.

Changement climatique, Covid-19, conflits armés

Pour de nombreuses raisons, les personnes qui vivent dans les pays du «Sud global» courent un risque plus grand d’avoir faim: changement climatique, extrême pauvreté, absence de possibilités de revenus rendent impossible une sécurité alimentaire de base. Les guerres comme celles qui font rage en Syrie ou au Yémen, ainsi que les conséquences de la pandémie de Covid-19, aggravent encore le problème et engendrent même des situations de famine.

Toutes les contributions de l’Almanach Politique du développement montrent clairement que, pour créer plus de sécurité alimentaire, «ce ne sont pas les connaissances en sciences agricoles qui manquent, mais bien la volonté, en dépit des engagements pris dans l’Agenda 2030, d’éradiquer la faim d’ici la fin de la décennie». (cath.ch/be)

Des armes suisses dans des zones de conflit
Le responsable du Service Politique du développement à Caritas Suisse pointe les livraisons d’armes au Bangladesh, mais également à l’Arabie saoudite et au Bahreïn – «qui laissent tout aussi dubitatif en raison de leur engagement dans la guerre au Yémen» – et au Pakistan. «La Suisse alimente également le conflit latent qui oppose l’Inde et le Pakistan», déplore-t-il. Des armes suisses ont été engagées le14 septembre 2019 dans une attaque visant les installations pétrolières saoudiennes d’Abqaïq dans le cadre de la guerre au Yémen qui a déjà coûté la vie à plus de 100’000 enfants, selon le quotidien zurichois Tages Anzeiger (14.01.2020)
«Un pays comme la Suisse, qui aime à se considérer comme un acteur essentiel de la promotion de la paix, devrait justement renoncer systématiquement à des exportations militaires aussi délétères!» Patrik Berlinger souligne que ces exportations d’armes de guerre compromettent les «bons offices» de la Suisse «en matière de diplomatie internationale ainsi que sa précieuse coopération au développement dans les pays les plus pauvres, souvent victimes de conflits ravageurs». JB

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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