Sursee: Liban au cœur de l'assemblée de l'Association de Terre Sainte

La pauvreté qui touche la majorité de la population libanaise précipite les départs clandestins sur des bateaux de fortune vers Chypre, causant une série de noyades dans la Méditerranée. «On n’a jamais vu cela, même à l’époque de la guerre (1975-1990)», assène le Père Samih Raad.

Le prêtre d’origine libanaise était l’hôte de l’assemblée générale de l’Association suisse de Terre Sainte, qui tenait son assemblée générale le 21 septembre 2020 à Sursee, dans le canton de Lucerne.

«Le Liban vit un véritable chemin du Golgotha et l’on ne voit pas encore l’aube du dimanche de Pâques!», confie à cath.ch le prêtre grec-catholique libano-français, aujourd’hui curé en Moselle. Samih Raad ne décolère pas: «le Liban a vécu un Jeudi Saint, avec beaucoup de Judas siégeant autour de grandes tables mondaines bénéficiant de l’argent détourné… En cette période, le pays vit une très longue journée de Vendredi saint!»

Manifestations de rue contre la corruption

L’explosion du 4 août, sur le port de Beyrouth qui a fait près de 200 morts, plus de 6’500 blessés et des centaines de milliers de déplacés, est un événement de plus qui aggrave la crise profonde qui a débuté avec les manifestations de rue contre la corruption dès le 17 octobre 2019.

«La population libanaise vit dans un climat psychologique de dépression, un climat de Vendredi Saint, où la mort vient… On est loin encore d’être arrivés à la Croix, mais notre foi chrétienne nous donne l’espérance que le matin de Pâques viendra!» 

Le Père Samih Raad relève que de nombreux Libanais fuient cette Terre Sainte, «comme les disciples d’Emmaüs qui ne parlaient que de la mort, pas de la résurrection… c’est là le destin de tous les chrétiens d’Orient».

«Les Libanais en ont marre des belles promesses»

«Les Libanais en ont marre des belles promesses, et je dirais, sous forme de boutade, que onze Libanais sur dix souhaiteraient sortir de ce pays où les magasins sont vides, les rues désertées, les maisons sans chauffage, sans électricité, les banques ne fournissant plus de devises alors que le cours de la monnaie nationale s’est effondré. Celui qui avait l’équivalent de 1’000 euros en a moins de 90 en livres libanaises…»

Outre l’absence de pain quotidien, illustre le Père Raad, dont la famille est encore au pays, le peuple libanais vit une sorte d’humiliation, un divorce entre le peuple, les citoyens, et le système politique: «les politiciens libanais commettent un suicide collectif. Les partis politiques se bagarrent pour se partager la casserole, alors qu’elle est vide, ils se battent pour se distribuer les ministères, alors que le peuple veut faire table rase de ce système corrompu, réclamant le départ de la classe politique avec le slogan ‘Tous, ça veut dire tous!'»

Les Libanais ont perdu la confiance et le sens du vivre ensemble

Plus grave: les Libanais ont perdu la confiance et le sens du vivre ensemble. «J’ai le sentiment que les Libanais n’ont plus un avenir commun, non seulement entre les citoyens et les politiciens, qui n’ont pas le sens du bien commun, mais surtout entre les communautés religieuses. Fini le temps où, des années 1950-60 au début des années 1970, on pouvait parler du Liban comme de la «Suisse du Moyen-Orient», avec ses hôtels, ses restaurants… et son secret bancaire!

«Le Liban vit un véritable chemin du Golgotha et l’on ne voit pas encore l’aube du dimanche de Pâques!» | © Jacques Berset

Les Accords libano-palestinien du Caire (3 novembre 1969), un accord secret consacrant le droit de la résistance palestinienne d’exister au Liban, en faisant «un Etat dans l’Etat», ont entraîné le Liban dans une guerre sans fin avec Israël, et une guerre civile, ruineuse pour le pays. «Cela a détruit le Liban, les Libanais n’ayant pas la vision d’une patrie commune, d’une citoyenneté commune, d’une égalité de tous. On aurait pu créer un pays où règne la justice, mais nous n’avons pas réussi. Il y a encore aujourd’hui, en sortant des zones prospères, des  villages sans écoles, sans électricité, sans routes asphaltées», déplore le Père Samih.

«On ne rêve même pas d’un présent commun, encore moins d’un avenir commun!»

Qui constate que nombre de membres des «élites» libanaises ont fréquenté les écoles catholiques ou protestantes, «avec quels résultats ?» Quand est né l’Etat libanais sur les cendres de l’Empire ottoman, «les diverses communautés n’avaient déjà pas de passé commun, mais aujourd’hui, on ne rêve même pas d’un présent commun, encore moins d’un avenir commun!» Malgré ce constat désabusé, Samih Raad garde un peu d’espoir: «je crois aux surprises de la vie, à l’esprit du Phénix, au renouvellement perpétuel. La mort n’est pas une fin, c’est une transformation!».

Dans sa conférence sur «Le Liban Cent ans d’indépendance Vers un nouveau pacte national», devant une bonne vingtaine de membres de l’Association suisse de Terre Sainte, le prêtre d’origine libanaise a affirmé que la date du 4 août (explosion du port de Beyrouth) peut être «le moment qui illustre la bifurcation que le cours de l’histoire du Liban est en train de prendre».

Pour la conclusion d’un nouveau pacte politique et social

Il espère que cette tragédie amène la conclusion d’un nouveau pacte politique et social consacrant la neutralité active défendue par le patriarche maronite Béchara Raï. Il plaide pour que le Liban soit placé – pour au moins une génération – sous un régime de tutelle internationale prévu par la Charte des Nations Unies. Il souhaite également une sortie du confessionnalisme, d’une «religiosité vide» qui n’est qu’un fort attachement charnel et identitaire à sa confession religieuse, souvent, paradoxalement, dépourvue d’une foi réelle et de toute forme de spiritualité.

Le diacre jurassien Didier Berret, membre du comité de l’ASTS, avec le Père Samih Raad | © Jacques Berset

Avant le magistral exposé du Père Samih Raad, l’assemblée a pu converser par zoom avec Sœur Jocelyne Joumaa, Supérieure de la communauté des Sœurs de Notre-Dame du Bon Service à Jabboulé, un petit village agricole au nord de plaine de la Bekaa, à la frontière entre le Liban et la Syrie. Une région peu développée, «délaissée par l’Etat», avec des gens souvent au bord de la famine. Pour assurer leur subsistance, les sœurs travaillent sur un domaine agricole, notamment pour alimenter leur orphelinat qui héberge une centaine d’enfants de milieux très pauvres. 

Des religieuses vivent la cohabitation dans la Bekaa

«Nombre de parents ne peuvent pas payer la scolarité dans nos écoles, les fournitures scolaires sont désormais hors de prix. Comment payer un cahier coûtant maintenant 50’000 livres libanaises, quand le salaire mensuel n’est que de 500’00 livres! Les parents viennent inscrire leurs enfants à l’école, avec les poches vides! On ne sait pas comment jongler pour payer le salaire de nos professeurs. On ne peut rien planifier, on vit au jour le jour. On ne sait pas si demain on sera encore vivants, car la guerre peut éclater d’un jour à l’autre entre Israël et le Hezbollah…, explique Sœur Jocelyne, qui dirige sa congrégation diocésaine, fondée en 1954 dans le diocèse de Baalbek. «Si nous devions fermer nos deux écoles, plus de 800 familles de nos élèves seraient dispersées…»

Mais la religieuse reste optimiste. «On n’a pas peur, Dieu est à nos côtés. Il est plus que jamais urgent de semer la joie, les enfants de notre école, de diverses confessions, de familles défavorisées, ont envie de vivre! On doit implanter dans leur cœur cette joie de vivre, de tolérance, de respect de soi et des autres. Notre école est une oasis de paix et de fraternité entre les religions». A Jabboulé, la rentrée scolaire est prévue le 28 septembre, si la pandémie du Covid-19 – qui a pour le moment épargné la région – ne vient pas tout perturber. (cath.ch/be)

Au service des chrétiens du Moyen-Orient
L’Association suisse de Terre Sainte (ASTS) est au service des chrétiens du Moyen-Orient depuis 1901. Sur mandat de la Conférence des évêques suisses (CES), l’ASTS organise et gère la Quête de la Semaine sainte destinée à la Terre Sainte, dans les églises catholiques de Suisse. La moitié de la recette est destinée à la Custodie franciscaine de Terre Sainte à Jérusalem. Fondée aux tous débuts du XXe siècle sous le nom d’Association suisse des pèlerins de Jérusalem, l’ASTS organise des voyages qui permettent aux participants de rencontrer les habitants de ces régions où est né le christianisme et favorisent ainsi une meilleure compréhension mutuelle.
L’objectif de toutes les activités de l’ASTS consiste à améliorer les conditions et les chances de vie de toutes les personnes vivant dans les pays qui ont vu naître le christianisme, pour contribuer ainsi à rétablir la paix au Moyen-Orient. En sa qualité de fondation chrétienne, l’Association suisse de Terre Sainte se concentre principalement sur la paix entre les religions, c’est-à-dire la cohabitation pacifique entre les juifs, les chrétiens et les musulmans de ces pays. Elle soutient des projets en Egypte, en Irak, en Israël, au Liban, en Palestine et en Syrie. Elle encourage les personnes et leurs projets dans les domaines suivants: travail social, formation scolaire et professionnelle, santé et activités pastorales. En 2019, elle a financé des projets dans ces régions pour environ 446’000 francs, dont 310’000 francs proviennent de la Quête de la Semaine sainte. JB

Un enfant de la guerre
Samih Raad naît le 5 mars 1968 dans une famille de six enfants – deux frères et quatre sœurs – à Kfarnabrakh, qui signifie, en assyrien, «terre bénie pour sa richesse agricole et ses sources d’eau». C’est un village mixte chrétien-druze du district du Chouf. Une bourgade située à 1000 m d’altitude, dans le sud du Mont-Liban, qui fut durement touchée lors de la «guerre de la Montagne» (Harb al-jabal) de 1982-1983. Samih Raad possède aujourd’hui également la nationalité française. Professeur au séminaire interdiocésain de Metz, où il enseigne le dogme et le dialogue interreligieux, il est aussi curé de Hombourg-Haut, une paroisse de l’agglomération de Forbach, dans le département de la Moselle. JB

Jacques Berset

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