Cardinal Becciu «Je demande au Saint-Père le droit de me défendre»

«Dans l’esprit d’obéissance et par amour que je porte à l’Église et au pape, j’ai accepté la demande de démission» du pape François, a confié le cardinal Angelo Becciu, ex préfet de la Congrégation pour la cause des saints, rapporte le quotidien italien Il Messaggero le 25 septembre 2020. Le prélat exige cependant d’avoir le droit de se défendre.

Le pape François a demandé le 24 septembre au cardinal Becciu de renoncer à sa charge de préfet et aux droits liés au cardinalat. Lors d’une réunion de travail hebdomadaire avec le pontife pour présenter le travail de son département, les potentiels prochains bienheureux et saints, le cardinal Becciu a été poussé par le pape François à renoncer à sa charge et à son statut de cardinal.

Cela signifie selon le code de droit canon que le cardinal Becciu n’assistera plus le pontife pour traiter les thèmes d’importance majeure ne sera plus convoqué lors des consistoires et n’entrera pas en conclave pour l’élection du prochain pape. Cette sanction est la même que celle infligée au cardinal écossais Keith O’Brien, accusé de pédophilie et d’abus sexuels sur des séminaristes.

«Je vous estime, mais je ne peux rien faire d’autre»

«Je vous ai toujours apprécié, aurait dit le pape au cardinal Becciu, selon Il Messaggero, je vous estime, mais je ne peux rien faire d’autre». «Je suis bouleversé, perturbé. C’est un choc pour moi, ma famille, les gens de mon pays [la Sardaigne], a confié le haut prélat italien. Dans l’esprit d’obéissance et par amour que je porte à l’Église et au pape, j’ai accepté sa demande de démission. Mais je suis innocent et je vais le prouver. Je demande au Saint-Père d’avoir le droit de me défendre». 

Un procédé inédit

Le motif de cette décision découlerait de la preuve obtenue par des magistrats du Vatican que le cardinal serait coupable de détournement de fonds. Pour la première fois, un haut responsable du Saint-Siège est sanctionné après une enquête interne du Vatican. Ce procédé inédit pourrait être le résultat de la réforme des finances entamée par le pape François et de la nouvelle loi anti-corruption entrée en vigueur le 15 juillet 2020.

Le nom du cardinal apparaît dans l’affaire de l’immeuble de Londres au centre d’une manipulation financière frauduleuse, datant de l’époque où il était encore substitut de la Secrétairerie d’État. Mais l’enquête, toujours en cours, semblait ne pas avoir connu d’évolution depuis plusieurs mois. Selon l’hebdomadaire italien L’Espresso, le cardinal Becciu, aurait confié à l’époque «l’ensemble de la trésorerie du Vatican au financier Enrico Crasso, ancien employé du Crédit Suisse». Celui-ci «orientait les investissements du Vatican vers des fonds spéculatifs basés dans des paradis fiscaux».  Dans le cadre de cette affaire, cinq employés de la Secrétairerie d’État font l’objet d’une enquête par la justice du Saint-Siège.

«Le Saint-Père a été élu pour nettoyer les finances du Vatican »

Cardinal George Pell

Selon Il Messaggero, le pontife reprocherait en outre à l’ancien de substitut de la Secrétairerie d’État, d’avoir fait transférer des fonds très importants, de la Conférence épiscopale italienne et du denier de Saint-Pierre – un fonds sous le contrôle direct du haut prélat – vers les comptes de la coopérative SPES. Située dans le diocèse sarde, ce bras opératif de la Caritas locale se consacre à l’aide des migrants et dirigé par un de ses frères Tonino Becciu. L’argent des fonds réservés du Saint-Siège, selon des sources du diocèse, serait toujours sur le compte courant de la coopérative et n’aurait pas été utilisé jusqu’à présent.

Une série d’entreprises familiales

Un premier versement de 300’000 euros avait été effectué selon La Repubblica en septembre 2013, officiellement pour «développer l’activité» de la coopérative ; un second transfert de 300’000 euros en janvier 2015, après un incendie ; un troisième et dernier virement avait été réalisé en avril 2018 de 100’000 euros non remboursable pour «l’adaptation des structures d’accueil des migrants». Pour le quotidien il s’agit là d’opérations suspectes.

D’autres mouvement financiers douteux seraient observés dans les activités du cardinal Becciu, poursuit le quotidien italien, notamment lorsqu’il était nonce apostolique il y a une vingtaine d’années. Un autre frère du cardinal, Francesco Becciu, propriétaire d’une entreprise de menuiserie, aurait alors été sollicité par la nonciature pour meubler et moderniser de nombreuses églises en Angola et à Cuba. Une proximité familiale qui interroge et qui pourrait tomber sous le coup du conflit d’intérêt.

Toujours selon La Repubblica, le cardinal Becciu aurait encore favorisé son autre frère Mario Becciu, professeur de psychologie à l’Université salésienne de Rome, en investissant dans sa brasserie.

Un trou de 454 millions d’euros

Reste que tous ces mouvements de capitaux sont difficiles à tracer, affirme l’hebdomadaire L’Espresso qui affirme toutefois être en possession de documents clefs. Pour l’hebdomadaire, les opérations du haut prélat et le système qui en découle (actions, intérêts, commissions et paquets financiers) aurait généré «un trou de 454 millions d’euros».

Le cardinal George Pell, alors préfet du secrétariat pour l’économie au moment des faits, dans un communiqué diffusé le 25 septembre, s’est félicité de la décision du pape François: «le Saint-Père a été élu pour nettoyer les finances du Vatican. Il joue sur le long terme et doit être remercié et félicité pour ces récents développements. J’espère que le ménage des écuries continuera» au Vatican. (cath.ch/imedia/ah/mp)

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