Face à la mainmise de Pékin, l’Eglise de Hong Kong se déchire

Par Laurence D’Hondt/Dimanche

Hong Kong a retrouvé un calme apparent après les manifestations, début septembre 2020, tandis que Pékin reserre chaque jour l’étau de la répression sur le territoire de l’ancienne colonie britannique, rendue à la République populaire de Chine en 1997 tout en étant censée conserver ses propres institutions et pratiques dans le cadre du modèle «un pays, deux systèmes».

Les chrétiens, qui forment 10% environ de la population à Hong Kong, ont été très présents dans les mouvements d’opposition. La hiérarchie ecclésiastique appelle désormais à la retenue alors que la politique vaticane en Chine est remise en cause par une partie des chrétiens de l’île, note la journaliste Laurence D’Hondt, dans l’hebdomadaire belge d’informations et d’actualités religieuses Dimanche, géré conjointement par les quatre diocèses catholiques francophones (Liège, Malines-Bruxelles, Namur, Tournai).

La résistance démocratique à Hong Kong est à bout de souffle. Depuis le vote par l’exécutif chinois, le 30 juin 2020, de la loi sur la sécurité nationale, le couperet semble tombé sur les libertés dont bénéficiait la ville, lors de l’instauration du principe «un pays, deux systèmes». En 1997, année de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, ce système devait préserver l’indépendance législative et le mode de vie démocratique de Hong Kong jusqu’en 2047. Avec le vote de cette loi qui réprime «le séparatisme», «le terrorisme», «la subversion» et «la collusion avec les forces étrangères», l’opposition craint la fin de toute contestation.

L’influence des écoles chrétiennes

Face à cette possible fin de partie, les chrétiens de Hong Kong, qui forment 10% des habitants de la ville, soit environ 800’000 personnes (pour moitié catholiques) sur 7 millions d’habitants, sont très impliqués. Les chrétiens ont toujours joué un rôle important dans la ville qui fut la porte d’entrée vers la Chine pour les missionnaires au XIXe siècle.

Joshua Wong, l’un des leaders de la résistance à Hong Kong | Mark Hanrahan Flickr

De très nombreux Hongkongais sont passés par les écoles chrétiennes, tandis que la ville est un centre de formation pour les prêtres chinois, bénéficiant de la liberté d’enseignement, d’opinion et de culte qui prévaut dans la ville. Depuis les premiers signes d’une répression chinoise contre les libertés démocratiques à Hong Kong, les chrétiens ont été nombreux à s’engager au sein des manifestations.

Mgr Joseph Zen, figure historique d’opposition

Ainsi en 2003, l’évêque catholique de la ville, Mgr Joseph Zen, figure historique d’opposition à la mainmise du parti communiste chinois, est descendu lui-même dans la rue pour protester contre la loi anti-subversion, obtenant son retrait.

Le cardinal Joseph Zen, archevêque émérite de Hong Kong, s’est dit prêt à son arrestation (dr)

En 2014, alors âgé de 82 ans, il participe à nouveau à la Révolte des parapluies qui réclame le suffrage universel pour l’élection du chef de l’exécutif à Hong Kong. Autre chef de file chrétien de la contestation, le pasteur baptiste Chu Yiu-ming. Agé de 76 ans aujourd’hui, il avait déjà aidé des dissidents de Tiananmen, en 1989, à se réfugier à Hong Kong.

A l’annonce de sa condamnation pour participation à la Révolte des parapluies, il a prononcé un long sermon dans lequel, il assurait «aspirer à la démocratie, car la démocratie aspire à la liberté, à l’égalité et à l’amour universel», tout en rappelant cette parole de l’Evangile: «Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice. Le royaume des cieux est à eux!» (Matthieu 5,10).

Apparition d’une nouvelle génération de chrétiens engagés

Depuis quelques années, une nouvelle génération de chrétiens engagés est apparue, parmi laquelle Mgr Joseph Ha Chi-shing, l’évêque auxiliaire de Hong Kong. L’aura spirituelle de ce prélat catholique a marqué les manifestations de cette année, auprès des chrétiens, mais pas seulement. De nombreux jeunes prêtres ont aussi pris part au mouvement, accueillant les manifestants dans leurs églises lorsqu’ils étaient chargés par la police.

Le chant de messe «Chante Alléluia au Seigneur» est d’ailleurs devenu le signe de ralliement des manifestants. Parmi les leaders de ces mouvements, souvent très jeunes, deux au moins revendiquent leur foi chrétienne: le luthérien Joshua Wong et la catholique Agnes Chow (voir encadré).

«Admonition fraternelle»

Ces mouvements de protestation contre la mainmise de Pékin ne font pourtant pas l’unanimité dans les rangs des chrétiens de Hong Kong. Certains préfèrent inviter à respecter l’ordre et la paix. Paul Kwong, l’archevêque anglican de Hong Kong depuis 2006, membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois, s’était ainsi fait remarquer dès 2014, en affirmant qu’il ne pensait pas que Jésus aurait usé de violence à l’égard du gouvernement.

Malgré l’engagement du cardinal Zen et de Mgr Joseph Ha, l’Eglise catholique reste elle aussi prudente. Le 28 août dernier, le cardinal Tong Hon a invité les prêtres de son diocèse, dans une lettre intitulée «Admonition fraternelle», à surveiller leur langage, à éviter les calomnies qui encouragent à la haine et au désordre.

Dès le mois d’août de cette année, soit un mois après la promulgation de la loi sur la sécurité nationale, le diocèse de Hong Kong avait invité les directeurs des établissements catholiques à véhiculer des valeurs patriotiques «adéquates», auprès de leurs élèves, à les sensibiliser à la sécurité nationale et à développer des «valeurs correctes de l’identité nationale». De même, au sein des campus universitaires, un appel a été lancé pour empêcher la politisation des étudiants. Cet appel à la prudence est partagé par un certain nombre de membres de l’Eglise catholique qui redoutent un durcissement de la répression à l’encontre des chrétiens de Chine et de Hong Kong.

Rome s’est-elle fait manipuler par Pékin ?

En toile de fond de la crise hongkongaise, c’est la diplomatie vaticane en Chine qui est sur la sellette. Après des années de négociations, initiées sous Benoît XVI, un accord provisoire a été conclu entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine en septembre 2018, sur la reconnaissance par Rome de certains évêques nommés par le parti communiste chinois. Cet accord a été dénoncé par le cardinal Zen comme une capitulation, d’autant qu’en Chine continentale les signes d’une répression à l’encontre des chrétiens se multiplient. Beaucoup de prêtres hongkongais, qu’ils soient Chinois ou étrangers, ont le sentiment que Rome s’est fait manipuler par le Parti communiste chinois. A Hong Kong, la nomination d’un successeur à l’actuel cardinal Tong, qui administre temporairement le diocèse, n’en sera que plus délicate, note . (cath.ch/L.Dh/be)

Une jeunesse chrétienne mène la résistance
Les leaders de la résistance à Hong Kong sont d’abord jeunes, mais également souvent chrétiens. Joshua Wong est ainsi le plus emblématique d’entre eux. Né en 1996 dans une famille luthérienne et pratiquante, il proclame très tôt sa volonté de préserver la liberté propre à sa ville natale. Durant ses années de lycée, il fonde, avec d’autres lycéens, le mouvement Scholarism, qui s’oppose à l’introduction de cours d’éducation morale et nationale destiné à faire la louange du Parti communiste chinois. En 2014, il prend part à la Révolte des parapluies durant laquelle il se fait remarquer pour son éloquence. En 2016, à 18 ans, il crée le mouvement Démosisto. Il obtient un siège au Conseil législatif. Lorsque Pékin préconise de faire voter une loi sur l’extradition des Hongkongais vers Pékin, puis la loi sur la sécurité nationale, il reprend le leadership de manifestations qui rassemblent jusqu’à deux millions de personnes.

A ses côtés, une autre jeune figure va l’accompagner dans son combat dès le lycée: Agnes Chow. Cette jeune catholique a fondé avec lui le mouvement Scholarism et Démosisto.

Depuis le 30 juin, date du vote de la loi sur la sécurité nationale, l’un et l’autre sont suivis, intimidés, menacés de disparition. Agnes Chow a même été arrêtée cet été, puis relâchée sous caution. Leur foi est un moteur essentiel dans leur combat politique, un combat encouragé dans les écoles catholiques qu’ils ont fréquentées, qui ont formé près de la moitié des élèves à Hong Kong. Tandis que Joshua Wong n’hésite pas à faire le lien entre son nom et Josué, qui a succédé à Moïse pour faire sortir son peuple de l’oppression en Egypte, Agnes Chow assure que son engagement est profondément motivé par sa foi et son éducation catholique. Prendre soin des opprimés et des faibles faisait partie des messages essentiels de l’Eglise de son enfance. L.Dh.

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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