Charité et responsabilité: quel rapport?

A la racine étymologique du terme responsabilité se trouve le verbe latin «respondere». La capacité de réponse est donc au cœur de la responsabilité. Mais en fait, il y a non pas une mais au moins deux réponses à donner.

La première vient par l’attitude, la décision et l’action, elle répond aux circonstances du moment, aux attentes et aux valeurs que l’acteur porte en lui. La seconde est la réponse donnée, le cas échéant, aux tiers, par le compte rendu, l’explication ou la justification des actions passées et de leurs éventuelles conséquences.

Ces deux réponses ne vont pas nécessairement de pair, la seconde n’étant pas automatique, elle survient dans des cas particuliers. De plus, elles diffèrent à bien des égards. Si l’action responsable suppose l’acceptation préalable – même implicite – du fardeau par le sujet, l’absence d’une telle acceptation ne saurait dispenser, le cas échéant, l’acteur d’être tenu de s’expliquer ou de se justifier ultérieurement devant des instances ad hoc. Elles s’inscrivent aussi dans des registres différents: celui de l’action et de la décision pour la première (sagesse pratique) et celui de la réflexion rétrospective impliquant des tiers, souvent à dimension institutionnelle et légale. Ainsi, les deux réponses appartiennent à des temporalités et des configurations différentes.

«L’invocation de la ‘responsabilité’ traduit un élargissement du référentiel de la responsabilité qui s’opère dans l’opinion publique»

L’appel à la responsabilité retentit aujourd’hui un peu partout. Il se traduit par le recours fréquent à l’adjectif «responsable» accolé aux diverses activités économiques: placements ou investissement responsables, consommation responsable, ou encore multinationales responsables, etc. Est-ce à dire que ces activités ont échappé jusque-là aux règles de la responsabilité, qu’elles ont été conduites de manière non-responsable, voire irresponsable?

L’invocation de la «responsabilité» traduit en fait un élargissement du référentiel de la responsabilité qui s’opère dans l’opinion publique. Il consiste à ajouter de nouvelles réponses aux cinq questions indispensables pour qualifier toute responsabilité. Qui est responsable? Qui est tenu pour responsable? De quoi est-il/elle (tenu) responsable? En vertu de quoi? Envers qui? Ces questions permettent de structurer tant soit peu le vaste éventail de situations réelles en mettant en évidence ce qui relève de l’aspect légal et institutionnel – responsabilité contractuelle et responsabilité pour dommages – et ce qui s’inscrit dans la dimension morale de la responsabilité.

Le «envers qui?» et «en vertu de quoi?» semblent être les deux questions centrales autour desquelles a lieu le renouveau de la notion. Elles marquent l’alternative par rapport à la seule responsabilité découlant de l’arrangement institutionnel et légal et rappellent que sur cette dernière se greffe sur une responsabilité plus haute inscrite dans l’humanité de l’acteur dont la conscience est l’expression la plus immédiate. Dans le premier cas, le monde des investissements, placements, consommations ou entreprises responsables serait strictement circonscrit par des exigences légales. Dans le second cas, les appels à la «responsabilité élargie» devraient réveiller le for interne, résonner, dans la conscience et encourager les acteurs à aller au-delà du strictement légal au nom du bien commun.

«Libre au chrétien d’aller, au nom de la charité, au-delà de la stricte justice»

Et c’est là où charité et responsabilité se rencontrent. Dans la tradition chrétienne, la charité – l’amour du prochain – est la première des trois vertus théologales, avec la foi et l’espérance (1 Cor, 13:13). Elle a aussi une dimension sociale que le pape François met en exergue dans la toute récente encyclique Fratelli Tutti (notamment 164&165 et 183). L’homme seul n’est pas capable des vertus théologales, elles sont grâce et don divin. C’est sur ces trois vertus que viennent s’enraciner les autres vertus humaines reconnues au moins depuis Aristote, notamment les quatre vertus cardiales (prudence, justice, force et tempérance). Entre elles s’interpolent toutes les autres vertus.

L’action inspirée ou guidée par les vertus intègre donc, par définition, la charité, qu’elle harmonise à l’aune des autres vertus, notamment de la prudence et de la justice; libre au chrétien d’aller, au nom de la charité, au-delà de la stricte justice. Le résultat est une décision et une action responsable fondée dans l’âme et la conscience du décideur. Toutefois, l’inverse ne saurait être tenu pour vrai: toute action responsable – notamment au sens légal ou institutionnel – n’est pas nécessairement ni vertueuse, ni charitable. Ce constat justifie aux yeux de St Thomas l’utilité des lois (pour autant qu’elles s’inspirent des considérations morales) qui ne cherchent pas à rendre les gens vertueux, mais simplement à permettre un vivre ensemble sans violence.

Paul H. Dembinski

7 octobre 2020

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