Marthe Robin: un procès à rebondissements 4/5

Par Hugues Lefèvre/I.Media

La travail de la commission d’enquête est terminé. Les milliers de pages de l’enquête sont envoyées à Rome, à la congrégation pour la cause des Saints. Le Père Ravanel passe la main au Père Bernard Peyrous, prêtre de la communauté d’Emmanuel. La Congrégation se met au travail pour valider l’enquête. Le pape déclare finalement Marthe Robin vénérable. On s’active alors pour préparer la béatification, mais de mauvaises nouvelles contrarient le processus.

Les milliers de pages de l’enquête franchissent les Alpes et atterrissent à la Congrégation pour la cause des Saints. Nouvelle étape, nouveau postulateur, comme il est parfois d’usage. Le Père Ravanel passe la main au Père Bernard Peyrous, prêtre de la communauté de l’Emmanuel.  

Experte dans le discernement des causes, la Congrégation commence d’abord par étudier la validité de l’enquête, vérifiant notamment la pluralité des témoins entendus. En 1998, la Congrégation romaine promulgue un décret qui ratifie le bon respect des règles.

La positio prend en compte les hypothèses du Père Conrad

Puis commence en 1998 la rédaction de la positio par un rapporteur – qui appartient à la Congrégation – et le postulateur. Le binôme opère comme on rédige une thèse, avec le rapporteur en directeur de thèse et le postulateur en doctorant, explique un membre de la Congrégation pour la cause des saints que I.MEDIA a contacté sur ce dossier. Le rapporteur veille ainsi à ce qu’aucun élément important du dossier de l’instruction ne soit omis ou bien exagéré.  

Contactée par I.MEDIA, la Congrégation pour la cause des saints explique que «tout ce qui est contenu dans le rapport d’expert du Père de Meester (336 pages) et tout ce qu’il a lui-même exposé devant le Tribunal diocésain au cours de son audition (72 pages), avec son argumentation et ses observations écrites, sont intégralement rapportés dans l’imposante positio».

Elle ajoute que la positio contient également «des documents visant à faire la lumière sur les problématiques signalées, par exemple une expertise graphologique, une évaluation médicale, etc.»

Les théologiens valident en connaissance de cause

En 2010, la positio, sorte de résumé de 2’000 pages de l’enquête diocésaine, est finalisée. Le recueil est alors soumis en 2012 à neuf théologiens qui prennent le temps de l’étudier séparément. Ces théologiens ont accès à l’ensemble des éléments de l’enquête – contrairement aux experts de la phase diocésaine qui ne travaillaient que dans leur champ d’activité; ainsi, le Père de Meester n’a pas eu accès aux autres rapports d’expertise.

Puis les théologiens se réunissent autour du Promoteur de la foi. Chacun lit son avis et donne son intention de vote: «affirmatif», «négatif» ou «suspensif» – lorsqu’un ou plusieurs éléments du dossier sont à approfondir. Après une discussion, le collège de théologiens vote. Dans le cas où les deux tiers des votes sont favorables, la cause est transmise aux cardinaux et évêques membres de la Congrégation.

Dans le cadre du procès de Marthe Robin, il ne nous est pas donné de savoir avec quelle majorité sa cause l’a emporté ni d’affirmer si des approfondissements ont été demandés par les théologiens. Néanmoins, il est probable que cela ait été le cas à ce stade puisque sept expertises supplémentaires ont été requises lors de la phase romaine.

Le pape François, en dernier juge, proclame Marthe Robin Vénérable

L’étape des théologiens franchie, la positio arrive en 2014 chez les cardinaux et évêques membres de la Congrégation. Encore une fois, impossible de savoir quelle fut la teneur des échanges lors de l’étude de la positio par les prélats.

Mais leur décision finale est positive puisque, cette même année, le pape François, en dernier juge, proclame Marthe Robin vénérable. L’Eglise catholique reconnaît alors l’héroïcité des vertus de la mystique de la Drôme, c’est-à-dire la perfection de l’amour humain et chrétien, et son déploiement dans toute la vie.

Les Foyers s’activent pour préparer la prochaine béatification…

À cet instant, rien ne semble plus s’opposer à une béatification de Marthe Robin. L’Eglise a tranché et a clos un dossier qu’elle n’ouvrira plus. Autrement dit, plus rien ne peut remettre en cause sa qualité de vénérable. Désormais, un nouveau dossier doit sanctionner un miracle pour valider une béatification.

Selon nos informations, un miracle est alors à l’étude. Il semble qu’il ait eu lieu dans le cadre d’une prière charismatique. En 2015, du côté de Châteauneuf-de-Galaure, on s’active pour préparer la prochaine béatification. «Il y a eu une certaine précipitation, peut-être un manque de prudence et d’humilité», reconnaît un membre des Foyers de Charité.

Le cofondateur des Foyers de Charité accusé d’abus sexuel

Car une série d’événements va venir freiner puis bloquer le processus – officiellement toujours en cours. Le premier intervient en 2016 quand le cardinal Ricard, archevêque de Bordeaux, en lien avec les responsables de la communauté de l’Emmanuel, indique prendre «des mesures conservatoires» à l’égard du père Peyrous, alors postulateur de la cause, «à la suite de gestes gravement inappropriés vis-à-vis d’une femme majeure». Un nouveau postulateur doit reprendre le dossier. Sophie Guex, membre des Foyers de Charité est nommée deux ans plus tard, en 2018.

Autre révélation qui concerne davantage le dossier Marthe Robin. Au printemps 2020, les Foyers de Charité révèlent les résultats d’une enquête indépendante sur le cofondateur de l’œuvre. Une enquête faite à la demande du Modérateur des Foyers de charité. Elle établit que le Père Finet a posé des gestes gravement déviants sur des élèves durant une période allant de 1945 à 1983. «26 femmes, principalement des anciennes élèves de Châteauneuf-de-Galaure, alors âgées pour la plupart de 10 à 14 ans, ont dénoncé le comportement du Père Finet au cours de confessions», indique le communiqué.

«Marthe n’était ni une voyante ni une magicienne»

Ces annonces sur le père spirituel de Marthe Robin – révélations actuellement contestées en justice par un collectif d’anciennes élèves des Foyers de Charité – sèment le trouble. «Comment Marthe Robin, dont on dit qu’elle sondait les cœurs, ne s’est pas aperçue des dérives du cofondateur?» se demandent légitimement bon nombre de catholiques.

À cette question, le modérateur des Foyers de Charité, le Père Moïse Ndione répond dans l’hebdomadaire Famille Chrétienne: «Marthe n’était ni une voyante ni une magicienne, et ceux qui le pensent se trompent.» A cet instant, si l’on répète que ces révélations n’auront pas d’effets sur la procédure de béatification en cours, certains, même au sein des Foyers, en doutent.

Enfin, le troisième événement venant bousculer le dossier Marthe Robin est évidemment la sortie du livre de Conrad de Meester, le 8 octobre dernier. Développant ses premières thèses des années 1990 dans un ouvrage rédigé jusqu’en 2019, année de sa mort, le Père Conrad de Meester dit révéler une vaste imposture en dressant le portrait d’une «princesse du mensonge».

«Ce qui nous arrive, c’est Hiroshima et Nagasaki»

«Après la bombe sur le Père Finet, voilà le livre du Père de Meester. Ce qui nous arrive, c’est Hiroshima et Nagasaki», lâche Marie-Hélène Gaillard, petite-nièce de Marthe Robin, révoltée par ces «révélations qui sonnent comme une insulte». Une insulte contre sa grande tante mais aussi «contre l’Eglise qui, à travers le travail de la Congrégation pour la cause des Saints, se serait trompée». Mais est-ce seulement possible? 

Retrouvez le dernier épisode de noter série vendredi 16 octobre. Il développera les enjeux que soulève l’affaire Marthe Robin et tentera de répondre à cette question: Marthe Robin peut-elle encore être béatifiée?

I.MEDIA

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