Azerbaïdjan: la dangereuse rhétorique religieuse du président Aliev

Alors que de sanglants combats se poursuivaient le 15 octobre 2020 entre les troupes azerbaïdjanaises et les forces armées arméniennes du Haut-Karabakh, Ilham Aliev, président de la République d’Azerbaïdjan, a utilisé une dangereuse rhétorique religieuse islamique pour mobiliser le monde musulman derrière son combat de reconquête.

Dans une interview accordée à Bakou à la chaîne de télévision française d’information internationale en continu France 24, il a accusé les Arméniens de garder des cochons dans les mosquées d’Agdam (une ville fantôme depuis sa prise en juillet 1993 par les forces armées arméniennes de la République du Haut-Karabakh, de Fuzuli, prise par les Arméniens en 1993), et de Shusha (Chouchi – prise le 9 mai 1992).

Mosquée Juma d’Agdam | © Armen Manukov wikipedia CC BY-SA 3.0

Des porcs dans les mosquées?

« Non seulement ils les ont presque détruites [ces mosquées, ndlr], mais ils y gardent des animaux. Ils y gardent des porcs, insultant ainsi les sentiments de tous les musulmans, et pas seulement les nôtres! », a-t-il martelé, espérant avec cette argutie susciter l’indignation dans tout le monde musulman.

Interrogé sur le bombardement d’églises au Haut-Karabakh, qui ne sont clairement pas des objectifs militaires, Ilham Aliev affirme en préambule que l’Azerbaïdjan est « un pays avec un très haut niveau de tolérance religieuse », attesté par les plus grandes organisations internationales y compris les Nations Unies.

La cathédrale Saint-Sauveur – Ghazanchetsots en arménien – une des plus grandes églises du monde arménien, à Chouchi, dans la République du Haut-Karabakh, a été frappée le 8 octobre 2020 à deux reprises par les tirs des forces azerbaïdjanaises.

Cathédrale Saint-Sauveur – Ghazanchetsots en arménien – une des plus grandes églises du monde arménien | CC BY-SA 2.0 Vladimer Shioshvili, wikipedia

« Nous avons besoin d’enquêter là-dessus, nous ne sommes pas sûrs de ce qui s’est passé », a déclaré Aliev. Qui affirme avoir des doutes que ce bombardement ait pu être mis en scène par les Arméniens eux-mêmes, « afin de nous en faire porter le chapeau ». Le président azéri affirme que ses troupes ne visent pas les monuments historiques et religieux.

« Très haut niveau de dialogue interculturel et interreligieux »

Le président azéri se réfère également, dans son interview à France 24, à la visite du pape François à Bakou le 2 octobre 2016. A cette occasion, souligne Ilham Aliev, le pontife a relevé « le très haut niveau de dialogue interculturel et interreligieux » en Azerbaïdjan. Et de mentionner l’existence de l’église arménienne qui se trouve au centre de Bakou, qu’il a fait restaurer.  « Nous l’avons protégée en tant qu’héritage du peuple arménien. Dans cette église, nous conservons plus de 5’000 livres anciens en langue arménienne », a-t-il déclaré.

Le président azéri omet cependant de parler du fait qu’il ne reste quasiment plus d’Arméniens à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, pays où ils étaient certainement plusieurs centaines de milliers à l’époque soviétique, avant de fuir les pogroms anti-arméniens de janvier 1990. Ces massacres survenaient après les pogroms de Sumgait de février 1988, dans le contexte du conflit du Haut-Karabakh, qui entraîna également l’expulsion ou la fuite de centaines de milliers d’Azéris et de Kurdes musulmans de localités d’Arménie et du Haut-Karabakh.(cath.ch/be)

Jacques Berset

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