Raphael Rauch, kath.ch, traduction et adaptation Bernard Litzler
Dans le cadre du centenaire des relations diplomatiques entre la Suisse et le Saint-Siège et en vue de la visite officielle en Suisse du cardinal Secrétaire d’Etat Pietro Parolin, la rédaction alémanique de kath.ch a pu rencontrer le conseiller fédéral Ignazio Cassis, chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). L’entretien a eu lieu à Berne.
Comme Tessinois, vous êtes automatiquement catholique, n’est-ce pas?
Oui, nous, les Tessinois, sommes fondamentalement catholiques, parce que la Réforme n’a pas vraiment pris racine chez nous. Nous en avons débattu publiquement à l’occasion du 500e anniversaire de la Réforme [en 2017, ndlr]. C’était important car beaucoup de gens ne connaissent plus le contexte historique.
Les seuls réformés que j’ai connus comme enfant étaient des personnes qui avaient quitté la Suisse alémanique pour le Tessin. Les enfants réformés ne devaient pas suivre d’enseignement religieux à l’école. Ils avaient une heure de libre à la place. J’étais un peu envieux à l’époque.
Quel rôle la religion a-t-elle joué dans votre enfance?
Nous étions une famille catholique typique. J’ai trois sœurs. Ma mère nous emmenait à l’église tous les dimanches. Mon père y allait rarement. J’ai même été servant de messe. Avant, il n’y avait pas d’internet. Il y avait l’école, la famille et l’église.
« Comme enfants de choeur, nous goutions en cachette le vin de messe à la sacristie. »
Vous avez aimé être servant de messe?
Oui… Nous avons même parfois fait des choses interdites, par exemple, goûter le vin de messe en cachette à la sacristie. Et quand je faisais balancer l’encensoir, je voulais naturellement faire le plus de fumée possible.
Quand votre foi enfantine a-t-elle changé ou évolué?
Bien sûr, la foi change quand on grandit. Je suis devenu parrain de confirmation à 20 ou 21 ans. C’était une responsabilité particulière. Je me suis senti devenir adulte sur le plan religieux.
Vous êtes Conseiller fédéral, mais vous avez été d’abord médecin. Vous savez que les gens ont non seulement besoin de soins, mais ont aussi des besoins spirituels. Quel rôle les Eglises peuvent-elles jouer dans la pandémie actuelle?
Les Eglises doivent non seulement continuer à s’occuper de la vie spirituelle, mais aussi l’intensifier. Dans les moments d’angoisse, se recentrer est particulièrement important.
Comment trouvez-vous le pape François?
J’ai eu le privilège de le rencontrer personnellement, lors d’une audience privée pendant une demi-heure. C’était très cordial. Ce qui m’a le plus frappé, c’est sa modestie. Il ne se comporte pas comme un dieu, mais comme un homme ordinaire. Nous avons parlé de la Garde suisse, des problèmes concrets et des défis sociaux. Il rayonnait toujours le calme. Il m’a beaucoup impressionné.
« Une majorité catholique au Conseil fédéral ne préoccupe pratiquement plus personne aujourd’hui. »
Que signifie pour vous être un conseiller fédéral catholique?
Je ne me suis jamais posé la question. Pour moi, être catholique signifie être authentique et rester fidèle à mes valeurs. Nous sommes actuellement quatre conseillers fédéraux catholiques sur sept: Viola Amherd, Alain Berset, Karin Keller-Sutter et moi-même. Le fait que ce n’est pas un gros problème prouve que nous sommes un Etat sécularisé. Une majorité catholique au Conseil fédéral n’intéresse pratiquement personne aujourd’hui, même si notre Etat fédéral est né d’une guerre de religions. Au début de la Suisse moderne, il n’y avait presque que des conseillers fédéraux réformés.
Vous êtes membre du PLR. Or de nombreux membres de votre parti sont opposés à l’impôt ecclésiastique…
Je répondrais par une anecdote. Lorsque j’étais membre de l’assemblée législative de ma ville natale, la question de l’impôt ecclésiastique s’est posée à un certain moment: fallait-il continuer à donner une partie de l’impôt civil à l’Eglise ou non? La discussion a été rapidement close. Nous avons choisi le statu quo. Dans mon canton d’origine, même les communes à majorité PLR ne sont pas gênées par cela.
Pourtant beaucoup de vos collègues de parti voient les choses différemment.
Lorsqu’il s’agit de discussions de ce type, je me demande si sommes-nous vraiment complétement sécularisés ? Les valeurs chrétiennes ne nous imprègnent-elles pas beaucoup plus que nous le pensons? Les valeurs de la Suisse sont pénétrées des valeurs du christianisme. Ce n’est pas une coïncidence si la première phrase de la Constitution fédérale dit: « Au nom du Dieu Tout-Puissant ! ». On a certainement cette phrase en tête, mais on l’oublie rapidement.
Les Eglises suisses soutiennent l’Initiative pour les multinationales responsables. En tant que Conseiller fédéral, mais aussi en tant que libéral radical vous êtes contre cette initiative soumise au vote le 29 novembre. Pourquoi?
Le Conseil fédéral rejette l’initiative, bien qu’il en partage l’objectif fondamental. Mais le problème de cette initiative est la question de la territorialité. Le Conseil fédéral trouve problématique que les tribunaux suisses jugent ce qui se passe dans d’autres pays. Cela viole le principe de territorialité et ouvre la boîte de Pandore. Que se passerait-il si demain des tribunaux étrangers jugeaient des affaires concernant notre pays?
« Nous voulons la paix, mais aussi la sécurité »
Vous allez aussi vous confronter, le 29 novembre, à l’initiative sur l’interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre. Pourquoi vouloir exporter des armes vers des pays en guerre civile?
Personne ne veut et ne peut exporter des armes vers des pays en guerre civile. L’actuelle loi sur le matériel de guerre de 1996 l’interdit déjà, mais l’industrie est autorisée à exporter dans des conditions très restrictives parce que nous avons une armée qui dépend de l’industrie de l’armement. Nous voulons la paix, mais aussi la sécurité. C’est un conflit d’objectifs et cela fait partie intégrante d’une démocratie.
Mais que gagne la Suisse en exportant des armes ? En dehors des intérêts économiques…
Elle est en sécurité. La Suisse doit garantir la sécurité de sa population. L’armée est un instrument pour cela. De plus, en moyenne européenne, nous exportons très peu d’armes et sommes plus impliqués que la moyenne dans les processus de paix.
Le pape François se montre favorable à une union civile pour les couples de même sexe. Qu’en pensez-vous?
Je suis très heureux que l’Eglise s’ouvre à cette question et prenne en compte l’évolution de la société. C’est un signal important.
Quand le mariage pour tous sera-t-il introduit en Suisse?
Je ne sais pas. La pression est forte. Il viendra probablement tôt ou tard. Nous devons encore discuter de la voie exacte à suivre au Conseil fédéral. Le diable se cache dans les détails. Mais nous sommes d’accord avec cette orientation: le Conseil fédéral veut éliminer l’inégalité de traitement actuelle pour les couples de même sexe et soutient le projet de loi sur le « mariage pour tous ». J’avais déjà fait campagne pour cela en tant que parlementaire. (kath.ch/rr/bl)
Maurice Page
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