Homélie du 8 novembre 2020 (Mt 25, 1-13)

Abbé Marc Donzé – Monastère du Carmel, Le Pâquier, FR

« Rien ne sert de courir, il faut partir à point. »

C’est la leçon d’une fable célèbre de Jean de La Fontaine : le lièvre et la tortue. Vous connaissez sûrement l’histoire. Les deux animaux se défient pour une course. La tortue parie qu’elle va gagner. Le lièvre, sûr de sa supériorité, se moque d’elle. La tortue se met en route tout de suite. Le lièvre, lui, insouciant, s’amuse, se baguenaude, se divertit. Tout à coup, il se réveille et se met à courir, à sauter, à gambader. Trop tard. La tortue vient de franchir la ligne d’arrivée. « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ».

Ce souvenir poétique et scolaire a provoqué en moi un écho avec la parabole des dix jeunes filles, que l’on vient de lire. Autrefois, on l’appelait la parabole des vierges sages et des vierges folles ; c’était plus joli.

Les jeunes filles insouciantes, les vierges folles – celles qui manquent d’huile – me font penser au lièvre. Comme lui, elles s’amusent, se divertissent et ne pensent pas à l’essentiel. Quand sonne l’heure du réveil, l’heure de la noce, l’heure de la fête de l’amour, elles ne sont pas prêtes. Elles me font penser à toutes ces personnes qui courent, qui sautent, qui virevoltent, qui surfent sur la vague, pour occuper l’existence. C’est superficiel, c’est si simple et c’est loin d’être désagréable. Peut-être est-ce aussi notre manière de vivre, parfois !

Faire provision de sagesse pour la fête de l’amour

Avec persévérance, comme la tortue qui marche longuement, les jeunes filles prudentes, les vierges sages font provision d’huile. L’huile de la lampe, c’est le symbole de la sagesse. Elles font donc provision de sagesse pour la fête de l’amour.

Mais, qu’est-ce que la sagesse ? Souvent, nous avons l’image de l’enfant sage, qui ne fait pas de bruit, qui obéit, qui fait plaisir. L’enfant adapté, comme disent certains psychologues. Et même l’adulte adapté : celui qui ne dérange pas, qui suit le courant, qui se conforme à tout, ou presque. Si c’est cela la sagesse, ce n’est pas très attirant.

Cultiver la Sagesse : faire une rencontre

Mais l’Écriture sainte nous dit autre chose. « La Sagesse – avec un grand S – est resplendissante… elle apparaît avec un visage souriant ». La Sagesse, c’est l’attention à l’enjeu profond des événements, c’est le respect des personnes même les plus faibles, c’est, pour le dire avec saint François d’Assise, considérer toute personne et toute chose comme un frère, une sœur. Tutti fratelli… e sorelle. Et tout au fond, même si ce n’est pas explicitement conscient, cultiver la Sagesse, c’est faire une rencontre. « Au détour des sentiers, elle nous apparaît avec un visage souriant ». Et c’est le visage de l’Amour divin. Sans masque, assurément…

Nous voilà donc invités à aller à la rencontre de la Sagesse – avec un grand S. Ce n’est aucunement ennuyeux… c’est passionnant et c’est original pour chacun, puisque nous sommes tous différents.

La Sagesse pousse à l’action

La rencontre de la Sagesse illumine le cœur et l’esprit, mais pas seulement ; elle pousse aussi à l’action. Considérer les autres comme frères et sœurs, c’est une attitude quotidienne, qui peut aller très loin, jusqu’au baiser au lépreux, comme le fit François. La Sagesse en action peut même inciter à des décisions qui apparaissent aux gens raisonnables – ou soi-disant tels – comme folles.

Un exemple concret – et célèbre – pour ces temps de pandémie. Un exemple immense, mais qui peut donner à penser. Le jeune Louis de Gonzague, de très noble famille italienne, devenu jésuite, vécut au temps de la peste. Par amour pour ses frères et sœurs en humanité, il décida de ne pas rester protégé dans sa maison religieuse, mais il alla soigner les pestiférés. Il savait que c’était dangereux, il le paya d’ailleurs de sa vie. Mais il fut follement fidèle à la Sagesse, dans sa vague la plus profonde.

Les vierges sages – et pleines du bel Amour – nous donnent donc l’inspiration de chercher quel est, pour chacun de nous, le chemin contemplatif et actif de la Sagesse.

Il faut veiller tout le temps

Mais alors, quand est-ce le bon moment pour le faire ? Peut-on s’attarder, comme le lièvre de la fable ? Pourtant l’Évangile nous dit : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour, ni l’heure ». On ne peut pas spéculer sur le bon moment de se mettre en route. « Veillez donc… ». Autrement dit, le bon moment, c’est maintenant, car il faut veiller tout le temps. C’est maintenant qu’il faut creuser le sens profond des événements. Et l’aujourd’hui nous offre tellement d’interrogations qu’il s’agit d’éclairer. Deux exemples : quel sens de la vie et de la destinée des hommes, quel sens du respect, quelles attitudes de solidarité éveillent en nous la pandémie de Covid-19, au-delà des simples recommandations élémentaires que nous devons respecter ? Ou comment voir l’autre comme un frère ou une sœur, surtout quand ce n’est ni évident, ni spontané ? La rencontre avec la Sagesse peut donc être très concrètement contemplative et active. Allons-y, c’est maintenant.

Cependant, pour bien des personnes, la question reste tout de même : quand arriveront le jour et l’heure (sous-entendu de la fin des temps) ? La première réponse est claire et Jésus l’a donnée lui-même : nul ne sait le jour, ni l’heure. Il est donc vain d’essayer de deviner le moment. Et tous ceux qui prétendent le connaître sont des charlatans et des faux prophètes.

Mais il est une deuxième réponse : le jour, c’est celui de la résurrection, pour chacune des personnes et pour l’ensemble de ceux qui auront, d’une manière ou d’une autre, consenti à l’Amour ou à la Sagesse. La résurrection, voilà l’illumination fondamentale, le cœur de la Sagesse, comme l’atteste saint Paul.

Si le point d’arrivée de cette vie est un grand trou noir, pourquoi ne pas s’éclater, comme on le dit populairement ? Mais si le point d’arrivée est la fête de l’Amour, dans la lumière de la Résurrection, pourquoi ne pas faire provision de l’huile de la Sagesse jour après jour. En plus, c’est beau, c’est passionnant, puisque la Sagesse est resplendissante. Et même dans les jours les plus graves, elle insère un petit rayon de lumière. Amen.

32e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Sagesse 6, 12-16; Psaume 62, 2, 3-4, 5-6, 7-8; 1 Thessaloniciens 4, 13-18; Matthieu 25, 1-13

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