Jacques Arnould: «Le transhumanisme nous fascine»

Le théologien et scientifique Jacques Arnould a exposé, le 17 novembre 2020, par visioconférence, les thèses de son dernier livre «Quand les hommes se prennent pour Dieu», consacré au transhumanisme. Face aux prétentions technologiques nouvelles, la foi chrétienne est fortement questionnée.

La pandémie n’empêche pas la rencontre. Pour preuve, la visioconférence du cycle «Un auteur, un livre» organisée le 17 novembre dernier par les Genevois Marie Cénec et Dominique Mougeotte. Une vingtaine d’internautes ont pu suivre Jacques Arnould. Le thème de cette rencontre virtuelle?: Le récent ouvrage de l’historien des religions et théologien français Quand les hommes se prennent pour Dieu (Editions Salvator) dans lequel il confronte la tradition théologique chrétienne aux prétentions transhumanistes.

Jacques Arnould situe le premier emploi du mot transhumanisme dans les écrits du scientifique anglais Sorell Huxley. En 1957, ce dernier donne à ce terme, nouveau à l’époque, les contours «d’un homme restant homme et se transcendant dans son entier». Selon le savant britannique, la nature humaine est appelée à évoluer grâce aux progrès de la technologie.

Le transhumanisme fascine

«Mais où s’arrête la rénovation de l’individu et où commence la transformation?», demande Arnould. Nos lunettes ou nos appareils auditifs, nos prothèses de hanche, aujourd’hui courantes, sont déjà des formes «d’amélioration» de la personne. Une amélioration parfois étonnante: des athlètes handicapés dotés de prothèses perfectionnées peuvent aujourd’hui doper leurs performances sportives.

Mais les courants transhumanistes vont plus loin encore. Ils prétendent à l’immortalité, en dépassant la frontière ultime, la mort. Du coup, le transhumanisme revêt des aspects fascinants. Ses propositions nous attirent, mais nous en craignons les conséquences, car il nous amènerait à franchir des frontières actuellement infranchissables.

Le jardin d’Eden

Jacques Arnould s’interroge sur la manière dont les prétentions transhumanistes questionnent notre compréhension de Dieu et de l’humain croyant. Pour ce faire, l’éthicien recourt à la Bible. Premier texte cité: la Genèse et la chute d’Adam et Eve. Le transhumanisme n’est-il pas une forme de «retour au jardin d’Eden»? Nous allons créer l’immortalité, la beauté, etc. grâce à la technologie, et donc faire notre retour au Paradis. «Or Adam et Eve se sont fourvoyés», rappelle le théologien, ce que les transhumanistes feignent d’ignorer.

Mais le désarroi de nos lointains parents est aussi le nôtre, actuellement. Car Dieu nous laisse faire. Face à l’humanité dans ses prétentions, il reste «nu, désarmé». De fait, «dans ces courants transhumanistes, lance Jacques Arnould, on ne considère plus la vie comme un don, mais quelque chose à prendre, à posséder, comme Eve prend le fruit défendu. Or la vie nous est donnée», fondamentalement, rappelle le théologien.

Jacob et la lutte avec l’Ange

Dans la Genèse, Dieu chasse Adam et Eve du Paradis. Les expulsés doivent alors oublier ce lieu parfait. «Nous aussi, nous pouvons rêver d’une autre humanité, transformée par la technologie, comme certains ont rêvé du Nouveau Monde. Mais ça ne marchera pas», tranche Jacques Arnould. Nous avons quitté le monde parfait et nous devons vivre dans un monde imparfait.

Autre recours biblique, la lutte entre Jacob et l’Ange au passage de Yabboq. Ce texte riche évoque le franchissement de la frontière, la transgression. «Pour nous, chrétiens, cela nous contraint à nous interroger sur ce qui est sacré».

La résurrection pour un humain transformé

En territoire transhumaniste, la question du prochain se pose également avec acuité. Qui est mon prochain transhumaniste? La complexité des technologies mises en œuvre et le coût d’une telle transformation corporelle les réservent à une élite. Par ailleurs, un transhumain est-il encore mon prochain? Et l’humain modifié, transformé, reste-t-il «créé à l’image et à la ressemblance de Dieu»?

Ultimement, pour Jacques Arnould, la résurrection promise par le Christ est directement mise en cause par les prétentions des courants transhumanistes. Si l’humain, par nature mortel, vise à l’immortalité grâce à la technologie, il se confronte à la compréhension chrétienne. Car le Christ est précisément celui qui a franchi les frontières et même celle de la mort. La technologie, elle, ne permettrait qu’un prolongement de la vie terrestre, mettant en danger le nombre d’humains sur terre. De son côté, le Christ nous porte vers cette frontière, où il faut poser un acte de foi. A Marthe, la sœur de Lazare, Jésus demande: «Crois-tu cela?».

Au final, la conférence genevoise, rendue possible grâce à la visioconférence, a renvoyé à des questions fondamentales sur l’acte de croire, pandémie ou pas. (cath.ch/bl)

Ecrivain, penseur et éthicien
Jacques Arnould, 59 ans, possède une double formation de scientifique et de théologien. Il travaille actuellement comme éthicien au Centre national d’études spatiales (CNES) en France.
Comme auteur, il s’est fait connaître depuis plusieurs années par ses livres. Parmi les titres: Dieu versus Darwin: Les créationnistes vont-ils triompher de la science?, Albin Michel (2007), Par des terres qui te sont inconnues. Pierre Teilhard de Chardin, aventurier du passé et de l’avenir, Cerf (2017), La Lune m’a dit. Cinquante ans après le premier homme sur la Lune, Cerf (2019). BL

Bernard Litzler

Portail catholique suisse

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