«Il faut voir le monde avec des yeux nouveaux», déclare le pape 1/2

Afin que l’humanité se ne laisse pas «piéger dans le labyrinthe de l’accusation et de la contre-accusation», le pape François appelle dans son dernier livre, Un temps pour changer – début décembre 2020 – à s’engager «dans le conflit et le désaccord»: une nouvelle pensée pour transcender cette division.

 Le livre Un temps pour changer (Flammarion), rédigé alors que l’encyclique Fratelli tutti est terminée, pose une question similaire: que faire de la crise actuelle? Écrit à la première personne, ce livre de 220 pages donne l’impression que le successeur de Pierre, par l’intermédiaire du journaliste britannique Austen Ivereigh, s’adresse directement à son lecteur. Dans un style direct, le pape souligne combien la crise sanitaire actuelle est un «moment de Noé», c’est-à-dire l’occasion d’un «débordement qui doit amener à ébranler toutes les fausses certitudes et permettre au monde de sortir meilleur de cette période difficile».

«Mon souci en tant que pape a été d’encourager de tels débordements au sein de l’Église, en revigorant l’ancienne pratique de la synodalité», souligne le pape. La synodalité, explique-t-il, est un remède contre l’esprit de conflit et les polarisations stériles. Et cela vaut au-delà de l’Église: au lieu de se laisser piéger dans le labyrinthe de l’accusation et de la contre-accusation, les hommes doivent s’engager dans le conflit et le désaccord afin de trouver en leur cœur une nouvelle pensée qui peut transcender cette division. «Cette approche synodale est une chose dont le monde a maintenant grand besoin», insiste-t-il.

La synodalité est une recherche, au sein de l’Église, de «l’harmonie qui permet de mieux articuler les singularités». C’est le cas en musique avec les différentes tonalités. Il s’agit de laisser chacun des «nombreux peuples de Dieu» exprimer «sa véritable catholicité et la beauté de ses nombreux visages différents». Cela demande des médiateurs et reste le seul chemin qui mène à une véritable réconciliation, souligne le pontife.

L’Union européenne, modèle profane de synodalité

En exemple non-religieux de synodalité, le 266e pape met en avant l’Union européenne qui, par son projet originel mais aussi par son récent plan de sauvetage contre le coronavirus, tente d’harmoniser les différences. Dans l’Église, le pape François rappelle les grands fruits qu’il a observé lors des trois synodes de son pontificat – sur la famille, les jeunes et l’Amazonie – fruits qui sont d’abord issus, selon lui, de la sagesse du peuple de Dieu, mais aussi d’une expérience de conversion propre au processus synodal.

Les discussions intenses, les interférences de groupes de pression, les bruits, l’apparition d’agendas et idéologies cachés observés pendant ces synodes sont aussi les fruits de la démarche synodale, relève le pontife. Ce n’est pas seulement grâce à une écoute mutuelle respectueuse que le processus permet d’harmoniser. Il faut aussi se laisser déborder par l’Esprit saint: «Notre Dieu est un Dieu de surprise, toujours en avance sur nous». Le pape François souligne enfin que tout processus synodal demande de la patience, surtout quand les temps sont difficiles. Face à la tempête, explique-t-il, il faut «monter le camp ensemble, en attendant que le ciel ne se dégage».

Guardini et la polarisation du monde

La conception théologique du conflit et de sa résolution par le pape François est issue de sa lecture du théologien Romano Guardini, et d’une thèse non terminée sur cet aspect de son œuvre. L’Italien encourage à faire une distinction entre les polarités fructueuses ou «contrapositions» (par exemple local/global ou tout/partie) aux contradictions (par exemple bien/mal). Le problème dans un conflit est la tentation de politiser les contrapositions en prenant parti pour un camp de façon artificielle, ou en niant le conflit tout simplement par «faux irénisme ou relativisme ». Le réconciliateur, au contraire, doit endurer le conflit en l’affrontant de face.

«Depuis Vatican II, nous avons eu des idéologies révolutionnaires suivies d’idéologies restauratrices», déplore le pontife, les deux étant caractérisées par leur rigidité. Il y voit l’origine des nombreux scandales dans les communautés catholiques issues de cette époque: «tôt ou tard, il y aura une révélation choquante concernant le sexe, l’argent et le contrôle des esprits» dans ces mouvements qui refusent d’évangéliser «en communion avec le Corps» de l’Église.

Le pape François fustige l’arrogance de ceux qui croient «que l’Église a besoin d’être sauvée d’elle-même», ceux qui disent qu’il y a trop de «confusion» ou encore ceux qui «prétendent que tant que l’Église n’aura pas ordonné de femmes prêtres comme preuve de son engagement pour l’égalité des sexes», on ne pourra pas compter sur leur implication. L’Église n’est «pas une citadelle de pureté» mais «une école de conversion où la grâce abonde en même temps que le péché et la tentation». Aussi le pape appelle-t-il à ne pas la condamner et la mépriser, mais à en prendre soin.

Des mesures pour venir au service du peuple

Cette réalité s’exprime dans ce que le pape François appelle la «mystique du peuple», qui demande de faire appel à l’unité dans la diversité, et rejette l’idée de l’existence d’un sur-peuple ou de sous-peuples. Elle est cependant mise à mal par les divisions politiques qui viennent se servir du peuple plutôt que de le servir. Pour cela, le pape François insiste sur la nécessité d’avoir des hommes politiques mais aussi des mouvements populaires qui défendent pour le peuple «les trois T que sont la terre, le toit et le travail ».

Le pape propose alors plusieurs mesures concrètes: ouvrir davantage de terres aux exploitants, développer des objectifs de développement durable pour 2030, pour la Terre; humaniser l’environnement urbain, notamment les zones périphériques, pour le toit; explorer les concepts de revenu de base universel, mais aussi travailler moins pour que plus de personnes puissent accéder au travail. Il s’agit de «transcender le cadre étroit et individualiste du paradigme libéral sans tomber dans le piège du populisme», insiste-t-il.

Les «anticorps du virus de l’indifférence»

Notre époque, et particulièrement la crise, demande de se mettre au service des plus faibles, radicalement, déclare le pape: «il vaut mieux mourir après une courte vie au service des autres qu’après une longue vie à résister à cet appel». Ceux qui vivent selon ce principe aujourd’hui sont «les saints ordinaires, les anticorps du virus de l’indifférence».

Le pape François insiste sur la nécessité de voir avec des yeux nouveaux, et pour cela, de se rendre dans les périphéries, car le monde apparaît «plus net depuis les marges». En exemple, le pape François cite les «pauvres Ouïghours», les Yézidis, les chrétiens d’Égypte ou du Pakistan, mais a particulièrement insisté sur les Rohingyas, «groupe le plus persécuté sur Terre en ce moment». (cath.ch/imedia/cd/bh)

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