«Il faut voir le monde avec des yeux nouveaux», déclare le pape 2/2

Contre les polarisations stériles et l’esprit de conflit qui anime le monde et l’Église, le pape propose une tradition chrétienne comme remède: la voie synodale. Un projet qu’il explique dans Un temps pour changer, son dernier livre à paraître début décembre 2020.

Le livre Un temps pour changer (Flammarion), écrit alors que l’encyclique Fratelli tutti est terminée, pose une question similaire: que faire de la crise actuelle? Écrit à la première personne, ce livre de 220 pages donne l’impression que le successeur de Pierre, par l’intermédiaire du journaliste britannique Austen Ivereigh, s’adresse directement à son lecteur.

Discerner, c’est d’abord toucher la réalité

Discerner invite parfois à faire des compromis, explique le pontife, «c’est même parfois la seule chose que tu peux faire». Cependant un compromis est une solution temporaire, un «modèle d’attente» qui demande de poursuivre le discernement. Le pontife s’en prend alors à l’expression «valeurs non-négociables», soulignant que toutes les vraies valeurs sont non-négociables. «On débat des concepts mais on discerne le réel».

Il condamne par ailleurs un «quiétisme existentiel» – origine des fondamentalismes – qui ferme la porte à la discussion, car «une pensée féconde doit toujours rester inachevée». Ces forteresses de certitude, dans l’Église notamment, sont à l’origine de l’allergie du pontife pour les moralismes et autres «-ismes». Ce rejet va de pair avec celui du relativisme selon le pontife, «camouflage intellectuel de l’égoïsme». Ces écueils de la post-vérité doivent être dépassés par une attitude intégrant la Tradition sans en faire un musée, mais en l’ouvrant à l’Esprit Saint par le discernement.

Les médias ont un rôle dans notre compréhension de la réalité, indique le pontife. Tout en soulignant le mérite des ceux qui explorent les périphéries, il met en garde contre les pathologies médiatiques: «désinformation, diffamation, fascination pour le scandale et le caniveau». Il critique durement les médias qui déforment les faits pour plus d’audimat ou faire avancer une idéologie, s’attaquant aussi à «certains médias soi-disant catholiques qui prétendent sauver l’Église d’elle-même».

La crise, selon le pontife, montre cependant les limites des médias, car «rien ne peut supplanter l’engagement immédiat dans la complexité de l’expérience d’autrui». «Il est risqué de le dire car je pourrais être mal compris, prévient-il, mais le mode de communication dont nous avons le plus besoin est le toucher». Racontant l’expérience qu’il a eue au contact de personnes aveugles, le chef de l’Église rappelle que «le toucher est le seul sens que la technologie n’a pas encore imité».

#Metoo, George Floyd, leadership des femmes

La crise sanitaire a aussi été l’occasion d’une inflation des abus selon le pape François, qui condamne une nouvelle fois tous les abus dans et hors de l’Église, qu’ils soient sexuels, ou de pouvoir et de conscience. Il salue le «mouvement #MeToo», réaction contre «les péchés des puissants», et revient sur «l’horrible assassinat de George Floyd», survenue le 25 mai dernier, «coup d’envoi des protestations contre l’injustice raciale dans le monde entier ».

Le pontife met en garde contre le désir d’épurer le passé, dénonçant les déboulonnages sauvages de statues. «Amputer l’Histoire peut nous faire perdre la mémoire, qui est l’un des rares remèdes dont nous disposons pour éviter de répéter les erreurs du passé», souligne-t-il. Avant d’insister: «il y a un grand danger à me souvenir de la culpabilité des autres pour proclamer ma propre innocence».

Le Souverain pontife avertit contre le risque de tels réveils d’être «manipulés et utilisés à des fins commerciales». Il rapporte notamment l’existence d’un faux-dénonciateur d’abus sexuels qui utilisait les dénonciations de prêtres par abus pour servir sa carrière politique: «exploiter, exagérer ou déformer un malheur pour en tirer un avantage politique ou social est également une forme grave d’abus».

Selon le pontife, les gouvernements dirigés par des femmes «ont dans l’ensemble mieux ou plus rapidement réagi» à la crise sanitaire, «communiquant avec empathie» leurs décisions. Il s’agit d’une preuve de la force des femmes qu’il observe aussi dans l’apport des femmes économistes dont il a consulté les travaux, tels Mariana Mazzucato ou Kate Rawworth, ou chez les femmes qu’il a nommées au Vatican.

«Une erreur fonctionnaliste pourrait être de croire que l’intégration du point de vue des femmes revient nécessairement à nommer plus de femmes à des postes de direction», avertit néanmoins le pontife. Il considère que les femmes sont généralement de «meilleurs administrateurs que les hommes», soulignant notamment le rôle clé et peu valorisé de la «maîtresse de maison». «Dire [que les femmes] ne dirigent pas vraiment parce qu’elles ne sont pas prêtres, c’est du cléricalisme et c’est irrespectueux», s’indigne-t-il.

Le «projet Néhémie«

Le pontife souligne enfin que le Covid-19 pouvait être vécu comme temps d’arrêt, partageant ses propres expériences Covid. Et de les rapporter à sa situation actuelle: «À mon âge, je devrais avoir des lunettes spéciales pour voir quand le diable m’environne pour me faire trébucher à la fin, parce que c’est là où je suis: je suis à la fin de ma vie». Le temps actuel demande donc de faire un choix: «se laisser transformer ou s’enfoncer».

«J’en voix beaucoup qui s’enfoncent», déplore le primat d’Italie, regrettant que les erreurs de la crise financière de 2008 soient reproduites et dénonçant «l’hyper inflation de l’individu» dans nos sociétés. Le pape appelle dès lors à la mise en place d’un «projet Néhémie», du nom du prophète de l’Ancien Testament, qui, pour unir le peuple Juif, les rassemble autour du projet de reconstruction des murailles de Jérusalem. Il s’agit de faire sortir les peuples de la tristesse, insiste le pape, car «la joie du Seigneur est la force des peuples». (cath.ch/imedia/cd/bh)

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