Le Père Patrick Desbois aux côtés des Yézidis survivants de Daech

« Les Yézidis étaient à Daech ce que les juifs et les tsiganes étaient aux nazis: des peuples considérés comme inférieurs », lâche le Français Patrick Desbois, prêtre du Prado, qui a publié à la mi-octobre 2020 « Les larmes du passeur – Au cœur des missions pour sauver les esclaves yazidis ».

Six ans après le génocide perpétré en Irak par les terroristes de l’Etat islamique (Daech) contre la minorité yézidie, les survivants tentent toujours de retrouver les corps de leurs proches. Les enquêteurs de l’ONU ont déjà exhumé des dizaines de fosses communes près des villages yézidis de la région des Monts Sinjar, au nord-ouest de Mossoul, non loin de la frontière syrienne.

Un nouveau génocide au XXIe siècle

Le Père Patrick Desbois est connu pour avoir mis en lumière « la shoah par balles » perpétrée contre les juifs et les roms par les Einsatzgruppen et d’autres unités allemandes dans différents pays d’Europe de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet ancien directeur du Service national pour les relations avec le judaïsme (SNRJ) de la Conférence des évêques de France (de 1999 à 2016), a lancé, en été 2015, l’initiative Action Yazidis pour récolter les preuves du génocide des Yézidis commis par les terroristes de l’organisation de l’Etat islamique (Daech).

Fondateur de l’organisation chrétienne Yahad – In Unum (associant le mot hébreu «Yahad», signifiant «ensemble» avec l’expression latine «In Unum», «en un»), le Père Patrick Desbois, avec la collaboration de Nastasie Costel, descendant de déportés roms d’origine roumaine et président de Roma Dignity, a interrogé des centaines de témoins yézidis libérés des griffes de ceux qui se prétendaient des « soldats de Dieu ». « Plus de 380 hommes, femmes et enfants ont été interviewés dès leur libération afin de documenter la topographie, les acteurs et le déroulement des crimes ».

Convertis de force à l’islam

Depuis le printemps 2015, tous deux ont parcouru les camps de réfugiés abritant les victimes de Daech. «Dix-huit camps qui s’étirent jusqu’à la frontière turque de l’Irak. Certains camps sont isolés, loin de tout (…) d’autres installés à côté d’une immense réserve d’ordures. Les plus grands comprennent 25’000 personnes ».

Ces yézidis tombés aux mains de Daech avaient dû répéter, sous peine de mort, la chahada, la profession de foi qui atteste la conversion à l’islam, et suivre pendant des semaines ou des mois des cours dans les écoles islamiques de l’organisation de l’Etat islamique (Daech).

L’héroïsme de l’homme ordinaire face à la barbarie 

Pendant trois ans, le Père Patrick Desbois a recueilli les confidences des passeurs qui ont libéré les otages yézidis aux mains des terroristes de Daech qui exterminaient cette minorité religieuse honnie. Des civils, révoltés par les atrocités commises contre ces populations, ont créé des réseaux de sauvetage. Le livre « Les larmes du passeur » est le récit détaillé de l’engagement de ces «Justes» modernes qui, traqués par Daech, ont infiltré les communications du groupe, recruté des informateurs jusqu’aux confins de la Syrie et sont parvenus à sauver des centaines de vies, grâce à « l’héroïsme de l’homme ordinaire face à la barbarie ».

Daech voulait effacer l’identité yézidie

Le pseudo « califat islamique » de Daech s’était emparé, dès août 2014, des villages de la communauté kurdophone des Yézidis, où les djihadistes ont commis un véritable génocide, faisant des milliers de victimes. Voulant effacer l’identité yézidie, les djihadistes de Daech  leur ont imposé, dès le début, la conversion forcée à l’islam, l’enlèvement de femmes et de filles qu’ils revendaient comme esclaves sexuelles à d’autres djihadistes, notamment étrangers. 

Irak Temple de la communauté yézidie, près de Mossoul | © Jacques Berset

Après avoir séparé les hommes et les enfants de plus de 14 ans, souvent directement exécutés, les djihadistes ont envoyé les plus jeunes garçons dans des camps d’endoctrinement et d’entraînement militaire, notamment à Tall Afar, dans le gouvernorat de Ninive, pour les transformer en «lionceaux du califat». Nombre de ces enfants yézidis, transformés en chair à canon après leur avoir lavé le cerveau, sont morts au cours d’opérations militaires.

Accusés d’être des «adorateurs du diable»

La communauté kurdophone des Yézidis, parmi les populations les plus anciennes de la Mésopotamie, pratique un monothéisme qui puise une partie de ses croyances dans le zoroastrisme, la religion de la Perse antique. Malgré leur croyance en un Dieu unique, qu’ils appellent Xwedê, les Yézidis ont toujours été méprisés par leurs voisins musulmans, qui les accusent d’être des «adorateurs du diable». Certains d’entre eux ont prêté main forte aux djihadistes ou se sont joints à eux, ce qui retient les survivants de retourner dans certains de leurs villages, traumatisés par ce qu’ils ont vécu et ayant perdu la confiance dans leurs voisins musulmans.

Des pratiques barbares codifiées

Les pratiques barbares des djihadistes étaient codifiées dans un fascicule affirmant que l’esclavage, la capture et l’asservissement des femmes et des enfants yézidis servaient notamment de récompenses pour ses propres combattants. Ces écrits justifiaient l’humiliation de cette «communauté d’infidèles» avec des arguments religieux tirés de leur propre interprétation d’un islam «wahhabite».

Des cellules clandestines de Daech, l’Etat islamique, sont toujours actives en Syrie et en Irak | Thierry Ehrmann/Flickr/CC BY 2.0

Des cellules terroristes continuent à opérer en Syrie et en Irak

Six ans ont passé depuis les massacres des Monts Sinjar, et si le «califat » de Daech a disparu, écrit le fondateur de Yahad – In Unum, le cauchemar des Yézidis n’est pas terminé : des cellules terroristes continuent à opérer en Syrie et en Irak, et 2’600 Yézidis sont toujours considérés comme disparus. Des familles arabes ont changé le nom d’enfants kidnappés en bas âge, ce qui rend les recherches difficiles. « Malgré ce défi, des innocents continuent d’être libérés en 2020 ».

Jour après jour, le Père Desbois a enregistré les témoignages des victimes, mais aussi des passeurs, qui ont aidé certaines d’entre elles à échapper aux griffes de l’organisation terroriste. Il leur consacre un livre, «Les larmes du passeur» (éditions du Rocher, 2020), préfacé par Béate et Serge Klarsfeld, les fameux « chasseurs de nazis ». (cath.ch/be)

Jacques Berset

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