voir des chrétiens aimer !»

Chevetogne, 30 septembre 1996 (CIP)

Le 29 septembre, il y a eu 25 ans que Dom Michel Van Parys était élu à la

tête du monastère de Chevetogne, près de Ciney. De ce monastère, élevé en

1990 au rang d’abbaye, Michel Van Parys est désormais le Père Abbé. A

l’occasion de son jubilé, qui sera fêté en communauté le 5 octobre, il a

confié à l’agence CIP son regard sur les années parcourues et sur

l’engagement oecuménique des moines de Chevetogne.

Gantois d’origine, âgé aujourd’hui de 54 ans, Michel Van Parys n’avait pas

20 ans quand il est entré dans la vie religieuse. Comment cet ancien élève

des Jésuites a-t-il opté pour la voie bénédictine et pour Chevetogne?

« L’intuition première qúon reçoit, c’est le désir de servir le Christ dans

une vie contemplative. Quant à la voie bénédictine, elle est liée pour moi

à Chevetogne. J’ai découvert la question de l’unité durant mes études

secondaires. J’avais aussi été frappé par le Christ dépeint dans les romans

de Dostoïevsky : il y avait là pour moi un regard autre et vrai, propre à

élargir nos approches étroites. Car il y a dans le christianisme une

pluralité d’approches du Christ. A Chevetogne, j’ai trouvé une communauté

qui misait sur cette ouverture à la diversité et manifestait son intérêt

pour les Eglises non catholiques. C’était aussi une manière de sortir du

cocon catholique, dont je sais apprécier la grandeur, mais aussi

reconnaître les limites. Mieux connaître le Christ ne saurait se faire, à

mes yeux, sans le rencontrer chez d’autres chrétiens. Cela reste vrai 35

ans après. »

Trente paire d’yeux

C’est en 1925 que Dom Lambert Beauduin, moine au Mont-César à Louvain,

fonda en 1925 le prieuré d’Amay-sur-Meuse dans le diocèse de Liège. Ce

prieuré, devenu monastère autonome, fut transféré en 1939 sur les hauteurs

de Chevetogne, qui offrait plus d’espace à une communauté en expansion. La

communauté compte aujourd’hui 31 frères, âgés de 25 à 73 ans : dix

nationalités, trois continents. « Vous ne sauriez croire la richesse

qúapporte la lecture d’un même événement par trente paire d’yeux ! », dit le

Père Michel.

Les moines se rattachent à deux traditions liturgiques. Ils optent pour le

rite latin ou le rite byzantin après les premières années de formation.

« Respecter l’autre, entrer en dialogue avec lui, c’est faire un effort pour

entrer dans sa culture », souligne le Père Michel. Le dialogue entre latins

et byzantins est d’ailleurs loin de couvrir tout l’Orient chrétien :

« L’Eglise latine et l’Eglise byzantine sont les héritières d’une même

culture ancienne, qui a mûri autour du bassin méditerranéen. Des

différences les séparent, mais c’est sur le même terrain. Ainsi, si les

théologiens latins sont plus déductifs et les byzantins plus sensibles à

une approche globale, les uns et les autres se réfèrent au même héritage

culturel. Il en va autrement pour les chrétiens de tradition copte ou les

chrétiens de culture syriaque : ici, l’héritage greco-latin n’est plus

évident. »

Par son intérêt pour la tradition byzantine, la communauté de Chevetogne

apporte une contribution majeure au rapprochement avec l’Eglise orthodoxe.

Mais pourquoi l’Eglise latine et l’Eglise byzantine, si proches parentes,

ne sont-elles pas sur la même longueur d’onde? « Bien qúelles soient soeurs

jumelles, il reste entre elles une ignorance très grande. Plus encore chez

les orthodoxes que chez les catholiques », note le Père Michel.

Inculturation

Tous les oecuménistes le découvrent tôt ou tard : les malentendus

historiques entre Eglises sont foncièrement liés à des questions de langage

et de culture. Toute conviction mûrit et s’exprime nécessairement dans une

culture concrète : c’est ce qúon appelle aujourd’hui l’inculturation.

Le Père Michel cite divers exemples : « La liturgie byzantine a hérité de

l’extraordinaire dramaturgie grecque de l’Antiquité. Les moines latins, de

leur côté, ont lu les auteurs antiques parce que, pour bien comprendre la

Bible, il fallait saisir la grammaire : c’est capital dans la vie d’un

moine, qui consacre autant de temps à lire la bible qúà chanter l’office.

Autre exemple : en traduisant la bible et la liturgie en copte,

c’est-à-dire dans une forme évoluée de l’égyptien d’autrefois, l’Eglise

copte a pu tout à la fois évangéliser les populations rurales et

sauvegarder leur identité culturelle. Dans les Balkans aussi, l’Eglise a

été la trésorière de la culture, sous la domination ottomane comme à

travers le communisme. »

« Un christianisme dégagé de toute culture serait vide. Aussi vide qúune

évangélisation qui laisserait de côté les détresses humaines. La pureté du

christianisme n’est pas à chercher dans une prétendue absence d’influence

extérieure, mais dans une conversion permanente à refaire à chaque époque. »

La joie avant l’ascèse

Les moines de Chevetogne se rattachent à deux groupes liturgiques. Mais ils

célèbrent trois fois par semaine la messe conventuelle : « On a découvert

qúil faut prier ensemble pour vivre ensemble », relève leur Père abbé.

« La tradition bénédictine, observe-t-il, est très incarnée dans un lieu.

Une vie spirituelle a besoin de créer son environnement et celui-ci doit

être beau. On ne peut l’organiser n’importe comment, mais il faut soutenir

la nature : il y va de la qualité de la vie.

« L’héroïsme à jet continu ne tient pas. Mener une vie spirituelle sur la

pointe des pieds est impossible : on ne peut qúattraper des crampes. Il y a

certes une ascèse dans la vie spirituelle. Mais elle n’est pas là comme

exercice pour obtenir la joie. C’est la joie qui est au départ, la joie de

découvrir l’amour et le pardon de Dieu. Tous les parents peuvent faire une

expérience analogue : on ne fait pas des sacrifices pour avoir des enfants;

on consent à des sacrifices parce qúon a la joie d’avoir des enfants ! »

Père spirituel

« Le Père Michel, c’est notre père à tous ! », disent avec gratitude les

moines de Chevetogne. Commentaire du Père abbé : « La communauté qui élit

son supérieur choisit quelqúun qui puisse l’accompagner de façon

paternelle. Or, quand j’ai été élu prieur, j’étais un des plus jeunes : 29

ans. On ne m’a évidemment pas choisi pour jouer au papa !

« Pour devenir père, il faut d’abord être frère et être capable d’être fils.

Dans une communauté monastique, on est frère de tous les autres que l’on

n’a pas choisis, et l’on est fils spirituel d’un moine et de la communauté

elle-même. On se reçoit donc constamment des autres. « On n’a pas choisi le

meilleur, seulement le moins mauvais ! » m’a dit un aîné, après mon

élection. J’en fais l’expérience quotidienne : mes défauts, mes fragilités,

mon péché pèsent aussi sur mes frères. J’ai donc besoin de leur

miséricorde. Et je leur suis reconnaissant : ils sont patients avec moi ! »

« Mais d’abord, nous sommes tous enfants de Dieu. Mes frères ne sont pas mes

moines ni ma communauté : la tête de la communauté, c’est le Christ. Je

suis au service de l’attachement de tous au Christ. Cela exige du père de

la communauté une conversion permanente. Avec les années, on apprend

heureusement à ne pas se projeter dans les autres, surtout pas dans les

plus jeunes. Je pense aussi que ce sont les fils qui font les pères. Le

prophète Malachie n’annonçait-il pas la venue du temps où le Père doit se

convertir aux fils, et les fils au Père ? »

« Je suis devenu moine pour devenir plus humain, pour devenir bon, poursuit

le Père Michel. C’est toujours ainsi que j’envisage ma vie monastique. Il

en va de même sur le plan oecuménique : il s’agit de faire se rencontrer

des personnes, avec leur histoire, leur culture, leurs problèmes d’Eglise

et de société. Alors, les partenaires du dialogue deviennent des visages

concrets les uns pour les autres, et non plus seulement des masques. »

La mémoire des fondateurs

La communauté de Chevetogne reste marquée par le charisme du fondateur et

de ses premiers compagnons. Le Père Michel y tient d’autant plus qúau fil

des années, il a vu la communauté se renouveler aux trois quarts.

« J’ai vécu le Concile Vatican II comme jeune moine. Les francs-tireurs ont

gagné la bataille après avoir été longtemps dans les tranchées. Dom Lambert

Beauduin, notre fondateur, s’était vu imposer vingt ans d’exil par Rome. Il

n’est rentré à Chevetogne qúen 1951, et y est mort en 1960, peu après

l’annonce du concile. D’autres noms seraient à citer : les Pères Olivier

Rousseau, Clément Lialine, Théodore Belpaire, Théodore Strotmann, Bruno

Reynders… Bien sûr, depuis 1990, le monastère de Chevetogne a été élevé

au rang d’abbaye, ce qui atteste sa pleine reconnaissance par Rome. Mais

que le chemin fut long et difficile ! Je le dis sans gloire : ce n’est pas

moi qui ai consenti les sacrifices de la génération fondatrice. Ceux qui

m’ont précédé ont vu arriver cinq fois de suite un décret de Rome pour

supprimer notre revue « Irenikon », et deux fois un décret pour supprimer

carrément le monastère. Grâce à Dieu, ils n’ont jamais été appliqués ! »

Dom Michel a souvent médité sur l’expérience de Dom Lambert : comment cet

homme a-t-il pu tenir le coup ? « Le risque était grand que, devant

l’adversité, la communauté se replie et devienne une secte. Le fondateur a

maintenu le cap, heureusement, sur une perspective fondamentale: les moines

ont à mener ensemble une vie de prière, de travail, d’étude, d’hospitalité

et de contacts, non pour convertir les autres à leur propre mentalité

ecclésiale, mais pour que tous apprennent à chercher le Christ ensemble.

« Dom Lambert avait une véritable mystique de l’Eglise. Il en parlait comme

d’une mère : l’Eglise est le lieu où l’amour de Dieu pour les hommes se

fait tangible. Il a souffert pour elle sans s’aigrir, grâce à son amour.

Grâce aussi à son humour, qui est une autre forme de la sainteté. Ainsi, en

pénitence depuis deux ans dans un monastère français, il avait appris que

l’instigateur de ses ennuis à Rome était lui-même tombé en disgrâce au

Vatican. Il aurait aussitôt suggéré que celui-ci le rejoigne pour que tous

deux puissent mettre en commun leur expérience ! »

L’Eglise : pas évidente !

« L’Eglise ne fait pas partie des évidences, aime à dire le Père Michel.

Elle est aussi objet de foi : je crois en l’Eglise, dit le Credo. L’Eglise

est une affaire d’hommes et de femmes qui s’efforcent de répondre à l’amour

de Dieu, et qui y réussissent tant bien que mal. Le bon blé côtoie donc

l’ivraie, sans que nous ayons nous-mêmes à faire le tri. La tentation est

grande de vouloir une Eglise de purs, une Eglise qui marche bien ou qui

triomphe de tout en faisant table rase du passé ou en faisant taire des

voix discordantes. Bien sûr, comme tout corps social, l’Eglise a besoin

d’une autorité qui dise ce qui est conforme ou non à la foi. Mais tous les

moyens demeurent relatifs par rapport au but : la gloire de Dieu. L’Eglise

doit sans cesse se convertir. La Réforme protestante nous a fait retrouver

une intuition profonde : l’Eglise est constamment jugée par la Parole de

Dieu. C’est aussi une conviction bien ancrée dans la tradition monastique.

« Le concile Vatican II nous a énormément apporté. Il est extraordinaire

qúon ait réussi à donner un grand coup de balai pour libérer l’Eglise de

contraintes qui l’empêchaient de se convertir. Mais l’histoire nous apprend

qúaprès chaque remue-ménage conciliaire, il faut de 30 à 50 ans pour

digérer. Peut-être est-il déjà temps de convoquer un nouveau concile ? En

tout cas, il nous faut apprendre à aimer l’Eglise avec ses défauts. C’est

dans le dialogue respectueux que se fait le chemin vers l’unité. Nous

sommes à la fois unis et divisés. Mais l’unité est plus fondamentale :

avant tout, nous sommes rassemblés par le même Seigneur. »

La tentation identitaire

A l’heure du dialogue entre les cultures et de l’oecuménisme, n’est-il pas

paradoxal de voir percer les revendications d’identité ? « Oui, chacun est

tenté de se crisper sur son identité. Sur le terrain oecuménique, chaque

communauté sent bien que l’unité a un prix et devine qúelle y perdra

quelques plumes. En soi, ce n’est pas négatif : on peut accepter de perdre

si, par ailleurs, il y a promesse de dépassement. Mais c’est plus difficile

à vivre qúà penser. Et c’est plus difficile encore pour les communautés :

elles sont autrement plus égoïstes que les personnes !

Comment expliquer ces crispations identitaires ? « La religion touche au

plus profond du coeur humain : à l’amour, à la vie, à la mort. La religion

se vit dans l’expérience sensible. Mais elle peut aussi s’y noyer ! C’est à

cela qúil faut remonter pour comprendre les réflexes identitaires.

« Schématiquement, on peut dire que l’Europe occidentale, catholique et

protestante, a vécu le choc de la modernité à travers une sécularisation

lente, même si le phénomène s’est accéléré depuis 1968. Il n’en va pas de

même en Europe centrale et orientale, où l’on a vécu pendant plusieurs

décennies en régime de sécularisation forcée. Depuis dix ans et surtout

depuis 1989, le communisme a implosé. A mon avis, avant tout pour des

raisons spirituelles : vivre dans le pur matérialisme est impossible. Il

est significatif que, dans le monde communiste, ce soient des scientifiques

tels que le physicien Sakharov qui ont proclamé : le progrès matériel est

impossible sans valeurs humaines.

« En Europe centrale et orientale, cette évolution se vit à un rythme si

rapide qúelle donne le vertige. Nombre d’électeurs, d’ailleurs, ne s’y

retrouvent plus : en Pologne, en Lituanie ou en Hongrie, on a voté

récemment pour des communistes… qúon venait d’écarter du pouvoir !

« Autre exemple : en Russie, l’Etat a restitué à l’Eglise orthodoxe quelque

300 monastères en ruine. Lors d’un voyage à Moscou, j’ai fait part de mon

étonnement : les orthodoxes ne pourraient-ils pas construire davantage

d’églises s’ils cessaient d’affecter une partie des ressources à la

restauration de coupoles en or ? Mais, je me suis rendu compte que s’ils

veulent un avenir, les orthodoxes se doivent de sauvegarder les vestiges du

passé ! Celui qui ne cultive pas les racines du passé n’a pas non plus

d’avenir. »

L’Eglise et la culture

Par sa défense d’une culture particulière, l’Eglise ne risque-t-elle pas de

favoriser un dangereux nationalisme ? « Personne ne peut être vaguement

internationaliste, répond le Père Michel. Les gens ne veulent ni de

l’internationale du pouvoir politique, ni de l’internationale du pouvoir de

l’argent. Or, c’est ce qúon leur a trop longtemps proposé. Du même coup,

tout culture nationale a été réduite à l’état de folklore. En Europe

centrale et orientale, c’est par l’Eglise que la culture s’est maintenue.

Parce qúelle s’occupe de la personne humaine dans toutes ses dimensions. »

« Promotrice de culture, l’Eglise joue donc un rôle dans l’identité

nationale d’un peuple. Or, il y a quelques années, au cours d’une visite à

Moscou, j’avais été très frappé par la montée du nationalisme dans le monde

russe. Je rentrais à Chevetogne un soir d’élections en Belgique. Le

lendemain, tout le monde pouvait constater… qúen Belgique même, les

partis extrémistes et nationalistes avaient fait un bon en avant ! Accuser

les autres de nationalisme sans s’interroger soi-même sur ses implications

peut donc être hypocrite. Mieux vaut tirer parti de cette expérience, à mon

avis, pour réflechir à une double question : est-il possible de donner à

chaque identité culturelle une forme étatique ? Et si, comme je le crois,

ce rêve est politiquement irréalisable, comment valoriser suffisamment

l’identité culturelle des uns et des autres ? »

« Ici encore, l’expérience oecuménique est éclairante : ce n’est pas en

gommant les différences qúon arrive à l’unité. On ne fait alors que réduire

à l’uniformité, ce qui est l’antichambre du cimetière. Notre expérience

oecuménique nous apprend, au contraire, que plus quelqúun a une identité,

plus il peut s’ouvrir aux autres. L’enjeu du dialogue entre les Eglises

n’est pas la fusion, mais la communion. »

En toute humanité

« Servir la communion » est une expression clé pour le Père abbé de

Chevetogne : « Nous servons la communion par le partage de ce que nous

vivons : la liturgie, la bible, la communauté, la prière, l’hospitalité.

Chaque fois, on reçoit quelque chose de l’unité. Mais il y a ascèse : le

dialogue ne va pas sans courant d’air et sans une certaine insécurité

psychologique.

« Pour nous, bénédictins, l’hospitalité est très importante. Elle ne

consiste pas seulement à offrir le vivre et le couvert, mais à montrer,

comme dit la règle de saint Benoît, « toute humanité ». Car l’humanité

commence par l’hospitalité. Dans la visite du frère, je reçois la visite de

Dieu. Je découvre ainsi que je suis moi-même cherché par Dieu, alors que je

croyais m’être mis tout seul à sa recherche ! »

Chevetogne, un pont

Depuis plusieurs années, les moines de Chevetogne jouent un rôle de pont

entre les communautés catholiques « uniates » de rite byzantin et les

communautés orthodoxes. A la différence de l’Eglise maronite au Liban ou de

l’Eglise syro-malabare en Inde, qui se sont unies en bloc à Rome dans le

passé, plusieurs Eglises orientales catholiques, nées en Europe de l’Est et

au Proche-Orient après le Concile de Trente (1545-1563), ne sont entrées

que partiellement en communion avec Rome. L’union ne valait que pour

quelques diocèses, non pour la plupart, toujours rattachés à l’Eglise mère.

« C’est ce qui s’est passé pour les Eglises grecques-catholiques d’Ukraine,

de Roumanie, de Slovaquie, ainsi que pour l’Eglise arménienne catholique,

l’Eglise syrienne catholique et l’Eglise syro-malankare, qui se rattache à

la tradition syriaque orientale. D’où le nom d’uniates donné à ces Eglises.

« L’histoire a légué des blessures, doublées d’amertumes, commente le Père

Michel. Aux yeux des orthodoxes, le caractère ecclésial des Eglises

catholiques orientales pose question ! Cependant les catholiques orientaux

d’aujourd’hui n’y sont pour rien : ils héritent d’une situation antérieure.

D’autre part, l’existence de communautés grecques-catholiques a aussi

incité les Eglises orthodoxes mères à développer leur culture propre. Les

orthodoxes reprochent volontiers à ces catholiques leur prosélytisme. Les

catholiques répondent : va-t-on nous interdire l’action socio-caritative ?

Les orthodoxes précisent : vous avez profité, à nos dépens, de notre

faiblesse historique. Les catholiques rétorquent : notre présence sur votre

terrain répond à notre souci d’une présence universelle. Il y a donc deux

voix différentes : il faut pouvoir les écouter toutes les deux.

« En Europe centrale, par ailleurs, il y a eu, sur ordre de Staline,

intégration forcée des Eglises grecques-catholiques dans l’Eglise

orthodoxe. L’Eglise orthodoxe a accepté cette intégration. Peut-être y

a-t-elle été forcée. Cela aussi a laissé des blessures chez les catholiques

byzantins.

« Aujourd’hui, les grecs-catholiques ont l’impression d’être « victimes » de

l’oecuménisme. La solution implique plusieurs aspects. D’un point de vue

historique, il faut savoir reconnaître que l’Eglise latine porte de grandes

responsabilités envers les orthodoxes comme envers les grecs-catholiques.

La vérité historique impose aussi de reconnaître lucidement que l’union

avec Rome (l’uniatisme) a porté des fruits, a suscité un élan missionnaire

et a développé un intérêt catéchétique. Mais l’avenir passe par le respect

rigoureux des principes de la liberté religieuse. Celle-ci est un droit et

un devoir fondamental. Nous ne devons plus essayer de faire pression sur

les gens pour qúils passent d’une Eglise à l’autre. De part et d’autre, il

faut savoir aussi reconnaître les erreurs commises.

« De notre côté, à Chevetogne, nous avons accepté depuis 1955 une

responsabilité majeure à l’égard des catholiques byzantins : nous formons,

via le Collège grec à Rome, les futurs prêtres pour ces communautés dans un

esprit de réconciliation. Il y a actuellement 35 séminaristes de Roumanie,

Bulgarie, Italie du Sud, Grèce, Jordanie, Syrie, Liban et Israël. Il est

essentiel d’objectiver le passé en apprenant à lire ensemble son histoire.

C’est ainsi que des études sérieuses sur Luther et Calvin ont permis aux

catholiques de mieux comprendre la Réforme protestante.

« Le vrai progrès dans la marche vers l’unité des chrétiens se réalise quand

tous prennent conscience que la communion qúils recherchent jusque dans

l’eucharistie n’est pas un aboutissement, mais doit déboucher sur une prise

en charge commune de l’annonce de l’Evangile et une meilleure rencontre des

besoins spirituels du monde moderne. Or, face à ces besoins, aucune

communauté croyante ne peut prétendre qúelle suffit à la tâche !

« Celui qúon appelle le pape de l’Eglise copte, Chenouda III, disait encore

récemment : Occupez-vous davantage du Christ des Eglises, que des Eglises

du Christ. De fait, il s’agit de devenir icône de Dieu. Ce dont les gens

ont besoin, c’est d’espérance. Dans les Actes des Apôtres, on parle du

christianisme non pas comme d’une doctrine, mais comme d’une voie dans

laquelle on entre parce qúon y voit d’autres vivre en aimant et en

manifestant leur espérance. A Chevetogne, notre vie communautaire nous

convainc chaque jour que l’oecuménisme n’est pas qúaffaire d’ajustement

entre doctrines. Bien sûr, il faut faire oeuvre de vérité dans le dialogue.

Mais il s’agit surtout de s’aimer : c’est à l’amour que vous aurez les uns

pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples, disait

Jésus. »

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/voir-des-chretiens-aimer/