Flavio Cotti, un politique imprégné de valeurs chrétiennes

Le politicien tessinois Flavio Cotti, conseiller fédéral de 1987 à 1999, est décédé le 16 décembre 2020, à l’âge de 81 ans. Son engagement politique était fermement ancré dans des valeurs d’inspiration chrétienne et humaniste.

Par Raphaël Zbinden, avec CdT et catt.ch

Flavio Cotti est mort des suites d’une infection au Covid-19, après avoir été admis à la clinique Santa Chiara de Locarno (TI). De 1987 à 1999, le démocrate-chrétien tessinois a dirigé les deux départements des Affaires étrangères et de l’Intérieur.

A la tête de la diplomatie helvétique dès 1993, Flavio Cotti s’est efforcé de consolider la position de la Suisse dans le monde en menant une politique d’ouverture, affirme l’ATS. Il y a connu son apogée en 1996, avec la présidence suisse de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Au Département de l’Intérieur, il s’est surtout fait connaître comme ministre de l’environnement. Il a créé en 1988 l’Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP). Il a provoqué une levée de boucliers des partis de droite, en plaçant à la tête de l’OFEFP Philippe Roch, alors directeur du WWF.

Une profonde éthique chrétienne

Flavio Cotti est né le 18 octobre 1939, à Prato Sornico, au nord-ouest du Tessin. Après une carrière politique dans ce canton, il a gravi les échelons politiques à Berne, d’abord comme conseiller national (à partir de 1983) puis au Conseil fédéral, devenant président de la Confédération à deux reprises – en 1991 et 1998. Au cours de ses douze ans de mandat de conseiller fédéral, il a dirigé le Département fédéral de l’intérieur (DFI) de 1987 à 1993, puis le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) jusqu’en 1999.
En 1996, en tant que chef de la diplomatie suisse, Flavio Cotti a assumé la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Son année de présidence a coïncidé avec la mise en œuvre de l’accord de paix de Dayton (qui a mis fin à la guerre civile en Yougoslavie), les premières élections en Bosnie et les efforts de paix dans le Caucase. Il a également dû négocier les premiers accords bilatéraux avec l’Union européenne (UE), jusqu’à leur conclusion, en décembre 1998. CATT

«Avec la disparition de Flavio Cotti, la Suisse et le Tessin perdent l’une des plus importantes personnalités politiques de la seconde moitié du XXe siècle», écrit Luigi Pedrazzini, ancien conseiller d’Etat tessinois, dans le journal Corriere del Ticino. Le membre du Parti démocrate chrétien (PDC) rappelle que Flavio Cotti était actif à tous les niveaux de la politique, marquant durablement ses fonctions de ses qualités professionnelles et de son engagement politique fermement ancré dans des valeurs d’inspiration chrétienne et humaniste.

La défense des femmes

Le journaliste du CdT Moreno Bernasconi souligne que Flavio Cotti était «éduqué au respect de la création. Un trait qui lui venait de sa sensibilité à l’égard de la Doctrine chrétienne sociale». Moreno Bernasconi rappelle également à quel point les positions de l’ancien conseiller fédéral étaient à bien des égards avant-gardistes, notamment concernant les droits des femmes. Ne craignant pas de se mettre à dos les franges les plus conservatrices de son propre parti et de son électorat, il avait été toute sa vie un ardent défenseur du suffrage féminin. Il avait en outre essuyé un camouflet, en décembre 1987, suite au refus par le peuple de la révision de l’assurance maladie et maternité. (cath.ch/cdt/catt/arch/rz)

Nous transmettons ici une interview réalisée suite à une rencontre, en 1990, au Palais fédéral, entre Flavio Cotti et les journalistes Jacques Berset (Agence Apic) et Sandra Lo Curto. Le conseiller fédéral y évoque notamment sa foi.

«On ne fait pas de la politique seulement pour aller au paradis»

«Je suis né dans une famille croyante, mais pas bigote», affirme le Conseiller fédéral Flavio Cotti, parlant de son enfance. Le chef du Département fédéral de l’Intérieur est né le 18 octobre 1939 à Muralto, près de Locarno, dans une famille de commerçants du Val Maggia.

Monsieur le Conseiller fédéral, je suppose que vos parents étaient très croyants. Que pouvez-vous raconter de votre enfance?
Flavio Cotti: Mon père mourut alors que j’étais encore jeune: c’était un homme croyant, mais pas dans le sens qu’il courait à l’église à chaque son de cloche. Ma mère aussi est profondément croyante. Mais il s’agissait plutôt d’une religiosité spontanée, quasi innée, – une religiosité qui nous a certainement marqués, moi et mon frère -. Ainsi, quand plus tard nous avons vécu de nouvelles expériences religieuses, la «semence» que nous avions reçue jusqu’à la fin de l’enfance est restée au plus profond de notre personnalité.

Et c’est quelque chose que vous avez également transmis à votre fille Maria Chiara?
Nous avons éduqué notre fille Maria Chiara sans aucune contrainte. Mais je note simplement que ma fille – qui voit que la foi de ses parents n’est pas une religiosité formelle ou conditionnée par l’esprit de notre temps partage avec nous ces principes. Cette «semence» dont nous parlions auparavant, il semble que ma fille la porte également en elle.

Pour revenir à l’enfance, j’ai été d’abord quatre ans à Ascona, dans un collège catholique dirigé par les bénédictins d’Einsiedeln, et puis quatre ans à Sarnen. Ces deux étapes, mais surtout les études à Sarnen effectuées entre 16 et 20 ans, ont profondément marqué mon existence. C’est là qu’ont été jetées les bases de la cohabitation entre raison et religion. Nous philosophions sur Dieu et Saint Thomas n’était pas pour nous un inconnu. Puis je suis allé à l’Université de Fribourg et là, j’ai naturellement vécu une grande ouverture.

A Sarnen, l’éducation reçue était encore plutôt de type conservatrice, mais là je dois nuancer, car je me rappelle encore l’ouverture, la manière positive pour l’époque, tolérante, avec laquelle le jeune professeur d’histoire présentait la Réforme. A Fribourg, s’ouvrait toute grande la perspective d’une plus grande liberté dans le domaine religieux.

Quand j’étudiais à Fribourg Jean XXIII était pape. Ce n’était pas seulement le «bon pape», comme on l’appelait, mais il était aussi le pape de l’ouverture, le pape de la liberté, qui avait réconcilié la doctrine catholique avec la société moderne. Et cela me semble fondamental. A Fribourg, nous respirions l’esprit de cette époque et nous étions souvent en contact avec des jeunes catholiques italiens et français.

Je dis «nous», car nous étions tout un groupe de jeunes gens, spécialement des Tessinois, qui se considéraient comme «catholiques libéraux», dans le sillage d’une tradition importante de la culture catholique.

Dans quelle mesure la foi a influencé les choix que vous avez faits dans la vie?
Cela découle de la manière dont je comprends le concept de «catholicisme libéral» : par exemple, j’ai compris très vite qu’il existe une «autonomie des laïcs». Cette idée, je l’ai rencontrée pour la première fois à Sarnen, à la lecture du livre Théologie des réalités terrestres du théologien hollandais Gustav Thils. Ces «réalités terrestres» étaient dans les années passées considérées uniquement comme moyen pour la recherche de la perfection de l’existence humaine. Avec l’approfondissement de la pensée théologique, ces «réalités» ont alors acquis leur valeur propre, immanente. Cela appraissait clairement chez Thils.

Un exemple très moderne de cette nouvelle approche serait représentée par exemple aujourd’hui par la manière de se référer à l’environnement. Les vieilles doctrines, les anciennes interprétations purement littérales de la mission de «dominer la terre» cèdent aujourd’hui le pas à une nouvelle conception de la nature. Une nature dont on ne peut abuser, qui ne représente pas seulement un instrument, mais qui possède justement des valeurs immanentes propres.

De ces réflexions, on peut tirer facilement les conclusions pour la politique, conclusions auxquelles nous étions arrivées à l’époque sans problème, malgré tous les préjugés culturels et qui peuvent se résumer en une phrase: la politique a une valeur en soi. Et dans la politique, il y a l’autonomie et la responsabilité des laïcs en tant qu’individus, ou si l’on préfère, des individus en tant que citoyens. On peut également en tirer que le travail politique possède une haute valeur en soi.

Depuis décembre 1986, vous êtes conseiller fédéral. Dans quelle mesure votre long chemin politique, peut-être parfois aussi fatiguant, vous a-t-il changé, si tant est qu’il vous ait changé?
J’ai changé certainement. A propos de cette autonomie des laïcs dont on parlait tout à l’heure, je dirais que mes convictions se sont encore accentuées. A vingt ans, je disais déjà: l’Evangile n’est pas un programme politique, l’Evangile ne pourra jamais se substituer à un programme de parti. L’Evangile doit être considéré comme une stimulation, une inspiration, une orientation éthique. Comme conseiller fédéral, je ne peux dire simplement: je suis pour la 10ème révision de l’AVS parce que l’Evangile me le dit…

L’Evangile peut être une base, un filtre décisif pour le comportement de tous les jours, mais il ne pourra jamais être une indication directe pour un choix politique particulier décidé une fois pour toute. Il revient finalement à ma conscience, qui se base ici sur l’Evangile, de soutenir un objectif politique plutôt qu’un autre. Cela vaut également pour l’Eglise. Dit brutalement ou simplement, il ne revient pas à l’évêque de juger ce qui est juste ou faux du point de vue concret de la politique. Cela n’a pas toujours été ainsi.

Il y a encore cent ans, par exemple, le pape (Pie IX) interdit au peuple italien de participer activement à la vie politique en leur disant: «Non expedit» (»Il ne vaut mieux pas»). De cette façon, on exhortait les catholiques à boycotter les élections, parce que les libéraux avaient conquis l’Etat pontifical.

Cela signifie donc que le catholique doit rester critique même en face de sa propre Eglise?
Absolument. Vous connaissez peut-être l’histoire de Alcide De Gasperi, le grand président italien, le co-fondateur de la Communauté Européenne, quand en 1953, le pape Pie XII lui proposa une liste commune des démocrates-chrétiens avec les néo-fascistes. Il s’agissait de barrer la route de la Cité éternelle au péril rouge. De Gasperi s’y opposa en toute autonomie. Pour l’homme politique, croyant fervent, ce refus avait été précédé d’un combat intérieur, parce que De Gasperi, qui avait travaillé 25 années au Vatican en tant que bibliothécaire, durant la période fasciste, était lié personnellement d’amitié avec Pie XII. Ce fut l’une des expériences les plus amères de sa vie parce qu’il avait désobéi au pape. Mais il le fit en application des principes que je viens de décrire.

Cet exemple me confirme une fois de plus dans l’opinion que le laïc catholique doit rester autonome dans ses choix séculiers. Prenons l’exemple actuel de la problématique du sida. Vous savez que l’Eglise catholique est opposée à la contraception artificielle. Par conséquent, comme homme politique catholique, je devrais donc être opposé à la campagne publicitaire qui conseille les préservatifs.

Mais si je cherche, d’un point de vue de l’éthique, de concilier la doctrine de l’Eglise avec le danger énorme d’une vaste épidémie du virus du sida, comme ministre de la santé, je me sens obligé de tout faire ce qui est en mon pouvoir pour organiser de façon efficace la lutte contre cette maladie. C’est pour ainsi dire le choix du moindre mal. Et il est d’autre part connu que la doctrine catholique est plus nuancée à ce propos que les représentations superficielles qu’en donnent les médias.

A partir de tels exemples, on peut se demander que signifie le concept de démocratie de type chrétien. Mais pour aborder ce thème de façon exhaustive, il faudrait trop de temps. Mais j’aimerais rappeler quand même que le mouvement catholique suisse était dès le début de l’Etat fédéral.

Je crois ne pas me tromper en disant que le premier pays en Europe où le catholicisme accepta la démocratie sans réserve fut la Suisse. Certes, la démocratie-chrétienne aux débuts était un parti conservateur, mais c’était aussi un parti ouvert à la vision démocratique. Dans notre pays en particulier, il est encore indispensable que nous tenions en haute estime les valeurs de la démocratie, de la tolérance, du respect de l’autre. En fin de compte, nous vivons dans une société qui ne pourrait être davantage pluraliste.

Si vous deviez choisir entre le mot chrétien et le mot démocrate, lequel mettriez-vous en premier?
A dire vrai, je les mettrais vraiment sur un même plan. Je ne pourrais en effet pas voir quelle signification aurait le concept «chrétien» s’il était séparé du mot «démocratique». Je me demande comment on peut être chrétien sans être démocratique. Je n’arrive pas à l’imagine.

Je suis convaincu que cette conception de la démocratie imprégnée par les valeurs chrétiennes représentent à notre époque une chance exceptionnelle. Les événements en Europe de l’Est signifient l’effondrement d’une certaine conception du socialisme et ils ont aussi été rendus possibles grâce aux idées démocrates chrétiennes. Les succès démocrates-chrétiens en Europe de l’Est ont un parallèle direct avec la remontée de la partie occidentale du continent après la Deuxième guerre mondiale. De nombreux grands reconstructeurs de l’Europe occidentale étaient démocrates-chrétiens, comme par exemple De Gasperi, Adenauer, Schumann.

Si la faillite des régimes de l’Est a sans aucun doute démontré la validité de nos démocraties occidentales, on ne peut nier que ces mêmes démocraties peuvent encore être grandement améliorées. Notre société a encore besoin d’esprit critique et être prête à s’améliorer, avant tout en ce qui concerne la solidarité avec les pauvres et les démunis. Cette solidarité explicite ne peut dériver forcément de la doctrine libérale. La solidarité est, selon moi, la direction du futur, et c’est là que sont les chances de la pensée démocrate-chrétienne.

Etes-vous optimiste sur la jeunesse, qui formera les hommes politiques de demain?
Je crois profondément dans les jeunes d’aujourd’hui. Les jeunes Suisses sont sains, tournés vers l’avenir, et peut-être – ce n’est pas un mal, plus réalistes que nous l’étions dans notre jeunesse. Et c’est également le cas du point de vue religieux: je constate un vif intérêt pour le fait religieux. Selon moi, cet intérêt croissant ne se traduit pas nécessairement par des bancs remplis dans les églises.

Certainement que cela est lié à la société de consommation. Il est évident que l’esprit de sacrifice se manifeste davantage dans les temps difficiles. Mais il serait triste de dire que c’était mieux quand c’était pire!

Le progrès et la croissance économique nous ont apporté – ne l’oublions pas – des conditions de vie objectivement bien meilleures qu’il y a cent ans, quand en Suisse les gens mouraient de faim à cause d’une sécheresse qui durait quatre ou cinq mois !

Le danger existe-t-il que le bien-être pousse les gens à abandonner les valeurs spirituelles?
C’est malheureusement souvent le cas, mais je ne pense pas que cela doit être nécessairement toujours ainsi! Le danger que le bien-être fasse oublier les valeurs spirituelles est un fait. Mais je ne pense pas que ce processus corresponde nécessairement à la nature humaine. Sinon, on devrait aller jusqu’au bout du raisonnement. Il faudrait alors dire: devenons pauvres comme il y a cent ans pour récupérer nos valeurs spirituelles désormais perdues. Cela n’est pas sérieux! Il existe une «obligation éthique» de l’homme de sauvegarder les valeurs spirituelles malgré l’amélioration matérielle de sa situation personnelle.

L’actuel découpage des diocèses en Suisse n’est pas satisfaisant du point de vue des nécessités pastorales. Seriez-vous partisan d’un évêché à Zurich ou à Genève?
Il me paraît évident que chaque Eglise, dans chaque pays du monde, devrait pouvoir s’organiser comme elle l’entend, dans le respect de la législation en vigueur dans les différents pays. Mais nous savons bien qu’il y a de nombreuses traditions héritées du passé, de nombreuses influences de caractère historique qui ne peuvent pas être complètement laissées de côté. Ainsi, je pense que l’Eglise catholique fait bien de planifier sa propre organisation en toute liberté et que l’Etat devrait lui laisser sa pleine liberté dans ce domaine. Mais cette dernière devrait également tenir un peu compte des situations historiques.

L’histoire a toujours montré que ce qui est difficile de faire aujourd’hui, peut se faire sans aucun problème dans 10 ou 20 ans. Mais en principe, je le répète, chaque Eglise doit pouvoir s’organiser comme elle l’entend, que ce soit l’Eglise catholique dans les cantons protestants ou l’Eglise protestante dans les cantons catholiques. apic/be

Rédaction

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