Mexique: décès du Père Pantoja, ange gardien des migrants venus du Sud

Depuis des années dans le collimateur des narcotrafiquants qui règnent en maîtres au Mexique, le Père Pedro Pantoja Arreola, défenseur passionné des pauvres et des migrants d’Amérique centrale, n’est pas tombé sous les balles des ›sicarios› (tueurs à gages) du Cartel de Los Zetas. Il est décédé du coronavirus.

Agé de âgé de 76 ans, le fondateur de la Casa del Migrante de Saltillo, dans l’Etat mexicain de Coahuila, est décédé des suites de complications dues au Covid-19. Responsable de la Maison du Migrant de Saltillo, dans une région frontalière avec le Texas, le Père Pedro Pantoja a reçu des prix et des reconnaissances, tant au Mexique qu’au plan international, pour son action en faveur des plus faibles. Il s’agissait d’un prêtre aimé et très respecté par la communauté.

Père Pedro Pantoja, fondateur de la Casa del Migrante de Saltillo | © Jacques Berset

« Je ne dors jamais plus d’une nuit à la même place »

« Je ne dors jamais plus d’une nuit à la même place. Les tueurs des Zetas, l’organisation la plus violente du Mexique, cherchent à m’éliminer…», confiait le Père Pedro Pantoja à cath.ch, qui visitait les Casas del Migrante depuis le Chiapas, à la frontière guatémaltèque, au sud du Mexique, jusqu’au « Mur de Trump », à Tijuana, qui boucle la frontière avec les Etats-Unis. 

«Pour les migrants, le Mexique est un territoire de mort, une immense fosse commune», lançait d’emblée le responsable de la Casa del Migrante, en recevant à Saltillo,  il y a tout juste deux ans, une délégation de l’ONG internationale Aide à l’Eglise en Détresse (ACN) qui visitait les œuvres d’entraide de l’Eglise mexicaine.

Les tueurs des Zetas

Dans l’enceinte de ce lieu d’accueil aux hauts murs bardés de barbelés et de caméras de surveillance, des croix peintes en noir sur le sol attirent l’attention. Elles rappellent le sort de 72 migrants centro- et sud-américains assassinés dans une grange de San Fernando, dans l’Etat frontalier de Tamaulipas, en août 2010, par les tueurs des Zetas.

«Ils avaient refusé de transporter de la drogue ou de travailler pour le cartel comme ›sicarios›. Le Nord et le Nord-Est du Mexique sont le paradis des Zetas, le pire des cartels du pays, qui bénéficie de la complicité de nombreux politiciens et de policiers».

Naufragés de la chaîne d’immigration clandestine

Le centre, fondé en 2002, héberge pour quelques jours ou semaines des naufragés de la chaîne d’immigration clandestine qui traverse le Mexique, depuis le Guatemala, sur des milliers de kilomètres. Issu lui-même d’une famille de paysans très pauvres qui avait dû quitter son village de San Pedro del Gallo, dans l’Etat de Durango, pour échapper aux morsures de la faim, le Père Pantoja se qualifiait lui-même de « migrant toujours en chemin ».

« J’ai été migrant en Californie où j’ai travaillé avec César Chávez, un syndicaliste paysan qui organisait les travailleurs agricoles d’origine mexicaine, les ›chicanos› ». Pedro Pantoja avait alors vingt ans. «C’était avant de devenir prêtre, il y a plus de quatre décennies!»

Un prêtre militant

Etudiant chez les jésuites, Pedro Pantoja a travaillé comme ouvrier métallurgiste pour payer ses études, avant de recevoir une bourse. Après une licence en psychologie, il obtint une maîtrise en sciences sociales de l’UNAM, l’Université nationale autonome du Mexique, avant de suivre un cours postgrade en sciences sociales à l’Université de Nanterre, en France.

Saltillo Des migrants honduriens miment leur arrestation après avoir franchi illégalement la frontière des Etats-Unis | © Jacques Berset

Avec l’aide d’un groupe de volontaires, cet adepte de la théologie de la libération offrait depuis bientôt 30 ans un refuge aux migrants centroaméricains qui veulent, souvent en vain, passer la frontière bien gardée des Etats-Unis, où ils tentent de rejoindre des parents déjà installés dans «l’Eldorado » voisin.

« Abraham était, lui aussi, un migrant! »

Le centre offre non seulement un toit et des repas, mais dispose d’un service de santé, fournit des conseils juridiques, un soutien psychologique, une aide humanitaire, des habits et des chaussures offerts par la population de la ville. Les migrants peuvent téléphoner en toute sécurité à leurs proches restés au pays ou déjà passés aux Etats-Unis.

Au début, l’aide aux migrants était très mal perçue dans la population et auprès des autorités. «Ce sont des drogués, des illégaux, pouvait-on entendre. Nous étions l’objet d’insultes et de menaces, même de la part de la communauté catholique locale. En réponse, je leur ai relu le Livre de la Genèse, au chapitre 12, où le Seigneur dit à Abraham de quitter son pays, sa parenté et la maison de son père… Abraham était, lui aussi, un migrant!»

Rackettés sur la route par le crime organisé

Après des années de lutte, le Père Pantoja a réussi à obtenir un soutien politique. Des avocats et des psychologues viennent, bénévolement, dans leur temps libre, offrir leurs services à la Casa del Migrante. Aujourd’hui, une centaine de volontaires, souvent des gens simples, viennent quotidiennement donner un coup de main. Il faut savoir que beaucoup de jeunes Centroaméricains arrivent au centre blessés ou malades, après plusieurs milliers de kilomètres d’une périlleuse pérégrination.

Nombreux sont ceux qui ont été rackettés sur la route par le crime organisé, voire par les policiers qui exigent de l’argent à chaque contrôle routier. «J’ai créé cette maison pour mettre un frein aux viols et aux assassinats, car des bandes organisées séquestrent les migrants, les torturent pour obtenir les adresses des parents aux Etats-Unis et exiger une rançon», rappelait-il à cath.ch.

Les femmes migrantes paient le prix le plus élevé

Les cartels réclament pour leur libération le versement de plusieurs milliers de dollars, parfois jusqu’à 10’000 dollars… « Ceux qui ne paient pas ou ne veulent pas travailler pour eux comme «sicarios» sont assassinés, jetés sous le train. Certains ont eu les jambes coupées. Les femmes migrantes paient le prix le plus élevé: sur 100 qui arrivent à Vera Cruz, sur le Golfe du Mexique, seules 10 parviennent à Saltillo. Qu’est-il advenu des autres? Elles ont été capturées par le crime organisé, livrées à la prostitution, vendues comme esclaves, quand elles n’ont pas été assassinées…», déplorait-il.

Tijuana, à la frontière entre le Mexique et le Etats-Unis, Centre d’accueil de migrants des Salésiens | © Jacques Berset

En raison de la pandémie du coronavirus et des mesures sanitaires subséquentes, il n’a pas été possible d’organiser les obsèques de ce prêtre qui avait donné sa vie pour les plus pauvres. Sa dépouille a été incinérée.

Hommage appuyé

La veille au soir, dans un message envoyé par le biais des réseaux sociaux, le diocèse de Saltillo avait communiqué la nouvelle de la mort du prêtre suite à un arrêt cardiaque. Il lui a rendu un hommage appuyé.

Le Père Pantoja avait commencé à se sentir mal au début décembre et un test avait révélé sa positivité au Covid-19. Pendant plusieurs jours, il avait été soigné à domicile, puis son état avait empiré, entraînant son transfert dans un hôpital privé du nord de Saltillo.

Bien que les médecins aient enregistré une légère amélioration, vendredi 18, ses conditions se sont aggravées, débouchant sur un infarctus. Signe du destin ? Sa mort est survenue au cours de la Journée internationale des Migrants. Le Père Pantoja rappelait sans cesse que les migrants « ne sont pas des délinquants, ils se déplacent parce qu’ils sont poussés par la violence, l’insécurité et la faim ». (cath.ch/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/mexique-deces-du-pere-pantoja-ange-gardien-des-migrants-venus-du-sud/