Patriarcat de Moscou: le schisme s’aggrave dans le monde orthodoxe

«La situation très dangereuse, critique, désolante. Le monde orthodoxe est en train de se diviser, le schisme ne fait que s’aggraver», lance le métropolite Hilarion de Volokolamsk.

Dans une interview au journal grec «Katimerini», le président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou ne mâche pas ses mots: «C’est le patriarche Bartholomée de Constantinople qui est à l’origine de cette division!»

Hilarion s’en prend au patriarche Bartholomée de Constantinople

Le «numéro deux» du Patriarcat de Moscou affirme que l’Eglise orthodoxe russe «observe avec regret et tristesse le développement de ce schisme, mais elle n’y participe pas». Le métropolite Hilarion relève que le schisme a lieu en dehors de ses limites canoniques.

«Quand on nous dit qu’il faudrait songer à des solutions de compromis, nous nous disons d’abord:  le Seigneur nous a confié une Eglise qui existe depuis plus de mille ans, c’est une Eglise unie, dont la juridiction canonique s’étend à la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et d’autres Etats limitrophes. Nous avons reçu cette Eglise en héritage de nos ancêtres, avons-nous le droit de dilapider cet héritage, de le redistribuer ou, comme on dit, de le bousiller?»

«L’Eglise ukrainienne ne veut pas l’autocéphalie»

Le président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou constate que l’épiscopat russe et l’épiscopat ukrainien sont unis «malgré les relations difficiles qui existent actuellement entre les deux pays au niveau politique».

Il souligne qu’accorder l’autocéphalie à l’Eglise ukrainienne ne résoudrait aucun problème: «Pourquoi devrions-nous imposer l’autocéphalie à l’Eglise ukrainienne, si elle n’en veut pas? L’Eglise ukrainienne a déclaré clairement, par la voix de l’ensemble de son épiscopat, qu’elle est entièrement satisfaite de son actuel statut d’auto administration. L’idée d’autocéphalie, dans le peuple de Dieu, est extrêmement impopulaire, d’autant plus qu’elle a été complètement discréditée par les schismatiques!»

La communion des Eglises orthodoxes se déchire

La communion des Eglises orthodoxes dans le monde continue en effet à se déchirer suite à la création en décembre 2018 de l’Eglise orthodoxe autocéphale d’Ukraine (EOd’U). Cette Eglise non canonique, qualifiée de «schismatique» par le Patriarcat de Moscou, a été reconnue par quelques Eglises orthodoxes. Après le Patriarcat de Constantinople, l’Eglise de Grèce et le Patriarcat d’Alexandrie, l’Eglise grecque-orthodoxe de Chypre a aussi, pour Moscou, rompu la communion eucharistique avec l’Eglise orthodoxe russe.

En juin 2013, le Patriarche Cyrille a visité le monastère russe Saint-Pantéléimon du Mont Athos. Tout à gauche, le métropolite Hilarion | © Mospat

«Ce que font nos frères de l’Eglise de Chypre, de l’Eglise grecque, de l’Eglise d’Alexandrie, ils l’auront sur la conscience, et ils auront à en répondre devant Dieu. Dans l’Eglise russe, nous répondrons devant Dieu de ce que nous aurons veillé à l’unité de notre Eglise ou de ce que nous l’aurons détruite».

Pas de reconnaissance des «schismatiques ukrainiens»

Mais Hilarion tient à dire «que nous ne rompons pas la communion avec les Eglises, nous restons en communion avec tous les hiérarques des Eglises orthodoxes locales qui défendent la Tradition canonique de l’Eglise et ne reconnaissent pas les schismatiques ukrainiens. Nous ne rompons la communion qu’avec les primats et les hiérarques qui entrent en communion avec les schismatiques, et nous le faisons parce que c’est ce que nous commandent les saints canons: nous ne pouvons faire comme si ces gens avaient été canoniquement consacrés, comme si l’on pouvait entrer en communion eucharistique avec eux!»

«Le patriarche de Constantinople a fermé la porte»

Le Patriarcat de Moscou se dit ouvert au dialogue, «mais le patriarche de Constantinople lui a fermé la porte.  Quand le patriarche Cyrille est allé à Constantinople, en août, pour rencontrer personnellement le patriarche Bartholomée, ils ont discuté pendant deux heures. J’ai assisté à cette rencontre, pendant laquelle le patriarche Cyrille a exposé la situation réelle à son interlocuteur. Le patriarche Bartholomée a été mal informé, d’une part par les schismatiques ukrainiens, d’autre part par les autorités ukrainiennes de l’époque, et par des conseillers incompétents. Il croyait fermement que dès qu’il signerait le ›tomos’ (décret)  d’autocéphalie, beaucoup de hiérarques de l’Eglise ukrainienne rejoindraient immédiatement la nouvelle ›église’».

Le président ukrainien Petro Porochenko octroie l’Ordre du Mérite de première classe au patriarche Bartholomée pour sa reconnaissance d’une Eglise ukrainienne indépendante | © Mykhailo Markiv www.president.gov.ua

Le patriarche Bartholomée avait déclaré au patriarche Cyrille que, d’après ses renseignements, 25 hiérarques étaient déjà prêts à rejoindre l’Eglise orthodoxe autocéphale d’Ukraine (EOd’U). Le patriarche Cyrille lui avait répondu qu’il n’y en aurait qu’un ou deux.

Un faible «pourcentage de traîtres»

«Et, effectivement, sur près de cent hiérarques, seuls deux évêques – un ordinaire et un vicaire – ont rejoint la prétendue église fondée autour des schismatiques. Dans la communauté des disciples de Jésus-Christ, il y avait douze apôtres, dont un Judas. Dans l’Eglise ukrainienne, nous avions presque cent hiérarques (ils sont plus de cent aujourd’hui), dont deux ont trahi.   Le pourcentage de traîtres, dans notre Eglise orthodoxe ukrainienne, est donc encore plus faible…»

De fait, poursuit Hilarion, l’Eglise ukrainienne existe toujours. «C’est une très grande Eglise, qui compte douze mille cinq cents paroisses, plus de deux cent cinquante monastères, des milliers de clercs, plus de cent hiérarques, des millions de fidèles. L’épiscopat, le clergé et les laïcs forment une communauté très soudée et personne ne veut adhérer à une prétendue ›église’ autocéphale, fondée à partir de structures schismatiques. 

«Il y a eu irruption du Patriarcat de Constantinople sur le territoire canonique de l’Eglise orthodoxe russe.»

Métropolite Hilarion

En Ukraine, dénonce le «numéro deux» du Patriarcat de Moscou, «il y a eu irruption du Patriarcat de Constantinople sur le territoire canonique de l’Eglise orthodoxe russe. Constantinople assure maintenant qu’en fait, pendant plus de trois cents ans, l’Eglise orthodoxe ukrainienne a fait partie du Patriarcat de Constantinople et n’avait été transférée sous la juridiction de Moscou que provisoirement».

Mais, affirme Hilarion, le Patriarcat de Moscou a publié un volume entier de documents qui prouvent que, pendant plus de trois siècles, l’Eglise ukrainienne a bien fait partie du Patriarcat de Moscou.

«Voyez les calendriers de l’Eglise constantinopolitaine pour les années 2018, 2017, 2016 et toutes les années précédentes – vous constaterez que l’Eglise orthodoxe ukrainienne, dirigée par Sa Béatitude le métropolite Onuphre, fait partie du Patriarcat de Moscou. Le Patriarcat de Constantinople n’est pas mentionné. Et tout à coup, le patriarche Bartholomée nous annonce qu’il s’agit finalement du territoire canonique du Patriarcat de Constantinople!»

Les statistiques officielles ukrainiennes

«Le patriarche de Constantinople dit maintenant qu’il ›ne supporte que par condescendance’ la présence en Ukraine de Sa Béatitude le métropolite Onuphre et de l’Eglise dont il est à la tête. Impossible de se représenter une situation plus absurde…»

Kiev Cérémonie de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine affiliée au Patriarcat de Moscou | © twitter

Citant les statistiques officielles, celles que publient les organes civils ukrainiens, le métropolite Hilarion relève que suivant ces données, «l’Eglise orthodoxe ukrainienne, qui est une Eglise autoadministrée dans le cadre du Patriarcat de Moscou, compte 12’500 paroisses, tandis que les deux juridictions schismatiques n’en ont à elles deux que 6’000. En ce qui concerne les monastères, l’Eglise orthodoxe ukrainienne en compte plus de 250, et ce sont de grands monastères, la laure des Grottes de Kiev, la laure de Potchaïev, la laure de Sviatogorsk, qui sont dans l’Eglise canonique. Les juridictions schismatiques ne comptent, dans le meilleur des cas, que quelques dizaines de monastères».

«Les schismatiques ne connaissent pratiquement pas le monachisme»

«Il vous suffirait de visiter ces monastères pour voir où il y a des moines et où il n’y en a pas. Le monachisme en Ukraine n’existe aujourd’hui réellement que dans l’Eglise orthodoxe canonique – les schismatiques ne connaissent pratiquement pas le monachisme. Pour se rendre compte de la fréquentation des églises, je pense qu’il suffit de venir à Kiev, d’entrer un dimanche à la laure des Grottes et de voir combien de personnes assistent à l’office».

Onuphre, métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine | © orthodoxie.com

Le président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou rappelle aussi que chaque année, à la veille de la Journée du Baptême de la Russie, a lieu une immense procession, organisée par l’Eglise orthodoxe ukrainienne canonique. «Ce sont des dizaines et des centaines de milliers de personnes qui marchent. La procession rassemble ce jour-là environ 300’000 fidèles. Il y a des chiffres, il y a des vidéos, il y a la statistique ukrainienne officielle. Nous nous appuyons sur la réalité, et non sur des imaginations».

«Quant aux persécutions contre le clergé de l’Eglise canonique, en effet, il y a eu persécution sous la présidence de Porochenko. Des églises ont été attaquées, des prêtres ont été attaqués. Là encore, il y a des documents qui le prouvent: des chiffres officiels, des vidéos de ces raids, des violences commises sur les ecclésiastiques». (cath.ch/mospat/katimerini/be)

Jacques Berset

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