Le Déserteur – une énigme en images

Non, je ne fais pas référence à une chanson de Boris Vian. Même s’il m’arrive de la fredonner: «Monsieur le Président, je vous écris une lettre que vous lirez, si vous avez le temps». Le Déserteur dont je parle est un mystérieux peintre, ou plutôt un imagier, comme il se définissait lui-même. Il pratiquait son art dans une ou deux communes du Valais central au milieu du 19ème siècle. On le retrouva sans vie, le 9 mars 1871, dans une grange proche de Veysonnaz.

J’ignorais tout de ce personnage jusqu’au jour où je rencontrai l’Abbé Henri Bonvin, alors curé de Fully. Ce prêtre exerça d’abord son ministère à Nendaz où il flaira, je ne dirai pas la bonne affaire, mais la réelle valeur des images pieuses peintes par Le Déserteur et disséminées dans la région. Sa collection fut léguée par la suite à un musée sédunois. Soixante plus tard, Le Déserteur frappe à nouveau à ma porte sous la forme d’une BD parue fin 2020 aux Editions Favre et signée par Simon/Daniel Varenne.

On ne sait rien des origines de ce personnage appelé «Le Déserteur», si ce n’est qu’il naquit et grandit à Colmar, portait une identité d’emprunt (Charles Frédéric Brun) pour faire oublier sans doute son authentique patronyme. Taiseux, vivant dans les bois, couchant en toute saison sur le foin ou la paille, il avait cependant le port digne, la conversation d’un homme cultivé. Surtout, il avait «les mains blanches» qui le rendait plus apte à manier le pinceau ou la plume qu’à traire les vaches et les chèvres. Rien d’un rôdeur ou d’un trimardeur inquiétant, bien que la proximité de policiers le faisait déguerpir sur le champ.

«Une passion le dévorait: peindre des images pieuses qu’il colportait chez les paroissiens des alentours.»

A deux reprises, il séjourna en Valais. D’abord sur les hauts de Salvan, protégé par des chanoines de l’abbaye de Saint-Maurice – ces prêtres avaient-ils percé son secret? – puis, quelques années plus tard, à Nendaz. Entre-temps, il avait erré en Savoie, sans laisser de traces.

Une passion le dévorait: peindre des images pieuses qu’il colportait chez les paroissiens des alentours. C’était sa façon d’honorer l’assiette de soupe qui l’empêchait de mourir de faim. Un art sans doute naïf, se moquant des perspectives et des paysages, se limitant à faire revivre ses saints préférés dans un décor conventionnel, mais aussi fruit de son imaginaire pieux et débordant. Un peintre plus proche des moines iconographes que des portraitistes de la Renaissance.

Mais qui donc est Le Déserteur? On a vu en lui un officier, un notaire et même un évêque fuyant la justice pour un homicide. La BD le présente comme un pénitent expiant un crime connu de lui seul. Sa piété, simple comme ses images, le rapprocherait d’un franciscain mendiant, exhortant à la prière et à la conversion. Il pourrait être aussi le «ravi» de la crèche. Mais ses traits sont trop figés pour en faire un santon.

Le Déserteur demeure une énigme. A chacun de la résoudre à sa guise. Peut-être sous les traits d’un réfugié dont on ne sait rien de l’histoire, mais qui nous émeut et finit par nous convertir.

Guy Musy

6 janvier 2021

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