«Spiritus Domini n’est pas un nouveau pas vers le diaconat féminin»

Avec la publication du motu proprio Spiritus Domini, le 10 janvier 2021, le pape François a modifié le Code de droit canon, ouvrant officiellement les ministères du lectorat et de l’acolytat aux femmes. Selon Martin Klöckener, professeur de sciences liturgiques à l’Université de Fribourg, le changement corrige finalement une incohérence de la réforme des ordinations et institutions voulue par le pape Paul VI en 1972. Sa portée pour les paroisses en Suisse reste cependant incertaine.

«Mieux vaut tard que jamais», pourrait-on penser. Avec la suppression de la désormais vieille formulation «laïcs hommes», le nouveau canon 230 du Code de droit canon (CDC) définit l’accès des femmes aux ministères du lectorat et de l’acolytat à travers un acte liturgique spécifique: l’institution.

Visée originale non atteinte

«Pour nos régions, je ne considère pas cette décision comme très audacieuse. Elle aurait dû être prise depuis les années 1970», affirme Martin Klöckener. Il n’est pas surpris de la résolution prise par le pape François.

Car à partir des années 1970, la discussion théologique avait déjà montré la contradiction implicite du motu proprio (texte rédigé de la propre décision du pape) Ministeria quaedam de Paul VI, qui introduisait les deux ministères uniquement pour les laïcs hommes. Une décision qui avait été considérée par certains comme problématique et ambivalente.

Je ne doute pas que pour l’Église dans certains pays la décision est audacieuse: l’Eglise universelle connaît des cultures et des vitesses différentes

«Déjà à l’occasion de la publication du motu proprio de Paul VI, cette difficulté théologique avait été vivement discutée, sans avoir des conséquences concrètes, se souvient le liturgiste. La règle a plutôt été insérée dans le Code de droit canonique (CDC, 1983, can. 230), ce qui a déterminé la situation problématique jusqu’au 11 janvier 2021».

Résultat d’une telle incohérence originale? Dans la plupart des Églises locales, l’institution à ces deux ministères n’était donnée qu’aux candidats au diaconat et à la prêtrise – à l’encontre de l’intention originale de Paul VI.

Autres chemins pour les laïcs

Martin Klöckener
Martin Klöckener est directeur de l’Institut de sciences liturgiques à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg | © Regula Pfeifer

Les Eglises locales ont donc trouvé d’autres solutions pour leur vie pastorale et liturgique. «Elles ont introduit un service de lecteurs qui existe presque partout, mais sur la base d’une institution donnée par le curé dans une paroisse précise. En même temps, elles ont aussi désigné des auxiliaires de la communion, hommes et femmes, avec un mandat de l’évêque ou du vicaire général, mais pour un temps limité», précise le liturgiste allemand.

Même si de nombreuses paroisses connaissaient donc la pratique, la décision de conférer aux femmes ces deux fonctions liturgiques est un fait marquant dans l’intégration de celles-ci dans la vie ministérielle et liturgique de l’Eglise catholique.

«Je ne doute pas que pour l’Église dans certains pays la décision du pape est audacieuse: l’Eglise universelle connaît en effet des cultures et des vitesses assez différentes».

Un petit changement textuel, un grand impact ecclésial?

Offrir aux laïcs des deux sexes la possibilité d’accéder à l’acolytat et au lectorat, «augmentera la reconnaissance de la précieuse contribution que depuis longtemps de très nombreux laïcs, y compris des femmes, offrent à la mission de l’Église», écrit le pape François.

Des ministères laïcs distincts des ministères ordonnés, mais complémentaires et constitutifs de la vie ministérielle de l’Eglise. Le pontife atteste de cette façon que certains ministères officiellement institués par l’Église catholique se fondent dans le sacrement du baptême et sont donc ouverts à tous.

Quelles institutions pour les laïcs?

Le pape reconnaît, d’une part, la pratique de confier les deux ministères laïcs à des femmes et des hommes indistinctement. D’autre part, il renforce la dignité du baptême comme source d’engagement dans la vie de l’Eglise. De cela découle la responsabilité de l’annonce de l’Evangile.

Ne faudrait-il pas plutôt réfléchir à comment développer les ministères laïcs dont nous avons effectivement besoin?

«Le pape l’affirme dans le contexte du synode sur l’Amazonie, ce qui me semble très juste, annote Martin Klöckener. Dans nos régions, il faudrait toutefois bien évaluer de quelle manière des laïcs institués, hommes et femmes, contribuent à l’évangélisation. Pour l’avenir, on pourrait se demander si, par exemple, les catéchistes devraient être institué(e)s dans une célébration liturgique sous la présidence de l’évêque pour donner encore plus de poids à cette mission importante. Mais là, se posent des questions essentielles: veut-on donner à ces personnes une institution à vie? Est-ce qu’elles-mêmes l’accepteraient? Ou faudrait-il créer encore d’autres types d’institution comme ils en existent ça et là?»

Les questions autour des ministères laïcs demeurent. Elles devront être résolues principalement en fonction des pratiques existantes depuis plusieurs décennies.

Qu’est-ce qui va changer en Suisse?

«Si dans certains commentaires on peut lire que le pape admet maintenant des femmes au service de l’autel, c’est faux, précise Martin Klöckener. Il s’agit ici d’un cas très précis où il se pose la question du besoin dans nos diocèses d’un élargissement de ces ministères laïcs. Les diocèses suisses ont-ils effectivement besoin de ce type de lecteur et d’acolyte mandatés à vie lors d’une célébration liturgique sous la présidence de l’évêque? Ne faudrait-il pas plutôt réfléchir à la façon de développer les ministères laïcs dont nous avons effectivement besoin?», s’interroge le professeur.

Ce motu proprio a aussi une signification symbolique: celle de reconnaître plus clairement le rôle des femmes dans l’Eglise

Il reste que le timing de la publication de Spiritus Domini ne semble pas anodine. «Il est le fruit des derniers synodes, en particulier de celui sur l’Amazonie, explique Martin Klöckener. Les discussions récentes concernant le rôle de la femme dans l’Église ont probablement favorisé la décision du pape. De ce point de vue, le motu proprio a aussi la signification symbolique: celle de reconnaître plus clairement le rôle des femmes dans l’Eglise».

L’effet concret de ce nouveau document dans les paroisses suisses dépendra du profil qu’on voudra donner à ces ministères des laïcs. «Il faut bien réfléchir à un changement éventuel de la pratique existante, avertit Martin Klöckener. Pour certaines régions du monde, ce motu proprio pourrait encourager de nouveaux chemins dans la vie de l’Église. Pour nos régions, en revanche, on pourrait avoir l’impression que c’est une bonne chose que le pape règle un ancien problème canonique, mais que le motu proprio arrive beaucoup trop tard».

Nouveaux ministères laïcs

«En effet, pour les lecteurs et lectrices ›normaux’, ainsi que pour les auxiliaires de la communion, une telle institution me semble être moins adéquate, affirme Martin Klöckener. Cependant, si les évêques profitent de l’occasion pour instituer d’autres ministères laïcs – ce que Ministeria quaedam prévoyait déjà – on pourrait y voir une vraie chance. De toute façon, la Conférence des évêques suisses (CES) devra discuter de la question. Une position cohérente des diocèses et une pratique pas nécessairement uniforme, mais néanmoins bien accordée serait souhaitable».

Le nouveau motu proprio règle une erreur du passé. Penser qu’il s’agit d’une nouvelle étape vers le diaconat féminin signifierait surestimer ce document»,

Une discussion qui n’est toutefois pas nouvelle. Déjà au cours des années 1970, la CES avait demandé au Siège Apostolique de pouvoir introduire une institution de laïcs sur la base du motu proprio de Paul VI. Sans succès.

«Malgré le fait que ce document avait ouvert des portes, le Siège Apostolique avait refusé la demande, rappelle Martin Klöckener. Cela a eu pour conséquence que certains diocèses ont introduit, par l’autorité des évêques, les institutions que l’on connaît aujourd’hui en Suisse, surtout dans les diocèses alémaniques, et également en Allemagne et en Autriche».

Un pas vers le diaconat féminin?

Après la publication du document, certains ont vu dans la décision de François une ouverture vers le diaconat féminin. Une interprétation sur laquelle Martin Klöckener reste très prudent.

«Le pape distingue clairement entre le sacerdoce baptismal et le sacerdoce ministériel. Il souligne leur cohérence, mais en même temps leur spécificité», clarifie le théologien, en précisant qu’admettre des femmes à des ministères laïcs et leur ordination sont des questions théologiques tout à fait différentes.

«A mon avis, le nouveau motu proprio guérit seulement une faute du passé concernant les ministères laïcs, mais il n’est pas une nouvelle étape dans la discussion du sacrement de l’ordre. Des attentes de ce type seraient une surestimation de ce document», conclut Martin Klöckener. (cath.ch/dp)

Les femmes et les ministères laïcs
Par la publication de Spiritus Domini, le pape François met à jour et «corrige» le motu proprio Ministeria quaedam (1972) du pape Paul VI, qui avait supprimé les ordres mineurs (ostiaire, lecteur, exorciste, acolyte). Hérités de l’Eglise ancienne, ils avaient perdu leur sens et étaient devenus de simples étapes vers le sacerdoce, sans fonction réelle. En même temps, Paul VI institua le lecteur et l’acolyte comme nouveaux ministères laïcs. Il donna ainsi une nouvelle importance à ces services qui, d’une certaine façon, devaient prendre les charges du sous-diacre, également supprimé. Le document prévoyait toutefois que seulement des hommes pouvaient accéder à ces deux ministères et ceci à perpétuité. De plus, la présidence de la célébration de l’institution revenait à l’évêque.
«On peut comprendre ces caractéristiques par le fait que ces nouvelles institutions remplaçaient des fonctions de clercs. Mais théologiquement, ils étaient inconséquents, précise le professeur Martin Klöckener. Car un service laïc a son fondement dans le baptême, et pour cela il ne peut pas être limité à un seul sexe».
Depuis 1973, des femmes peuvent donc assumer la fonction d’auxiliaire de la communion. Mais il s’agit là d’un «service liturgique extraordinaire», sans distinction entre hommes et femmes. En ce qui concerne la lecture de la Parole de Dieu, ce ministère liturgique a été introduit à des rythmes différents dans les diocèses, n’ayant toutefois jamais été réglementé de façon précise. Avec l’admission progressive de laïcs, le ministère des femmes lectrices s’est aussi lentement établi – ceci surtout après la suppression de l’interdiction à entrer dans l’espace liturgique déclarée en 1975. Finalement, le service de filles comme servantes d’autel a débuté aussi dans les années 1970 – dans les régions germanophones plus vite que dans les pays francophones. Mais c’est seulement en 1992 que le Saint Siège a admis officiellement ce service pour le femmes, selon la décision des Conférences épiscopales respectives.

Ministères laïcs institués en Suisse
Une statistique précise concernant le nombre de ministres laïcs institués n’est pas disponible en Suisse. Cependant, tous ceux qui depuis 1972 ont été ordonnés diacre et prêtre ont reçu l’institution au lectorat et à l’acolytat dans deux célébrations distinctes sous la présidence d’un évêque. L’on ne sait pas exactement si, en Suisse, d’autres personnes laïques ont été instituées selon Ministeria quaedam. Les institutions d’agents pastoraux et d’agentes pastorales existant actuellement dans certains diocèses helvétiques ne rentrent pas dans cette catégorie, étant de droit diocésain. (cath.ch/dp)

Davide Pesenti

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/spiritus-domini-nest-pas-un-nouveau-pas-vers-le-diaconat-feminin/