Etats-Unis: Odin versus Jésus?

Parmi les partisans de Trump qui ont envahi le Capitole le 6 janvier 2021, la présence d’adeptes de cultes néo-païens a été remarquée. Des «spiritualités» alternatives qui ont le vent en poupe dans l’extrême droite américaine, et qui vont de pair avec un rejet du christianisme et de ses valeurs.

Une bataille des «fils de la Lumière» contre les «fils des Ténèbres». C’est ainsi que Mgr Carlo Maria Vigano voit les oppositions politiques qui s’intensifient depuis quelques années aux Etats-Unis. C’est en tout cas la vue que l’ancien nonce apostolique et grand contradicteur du pape François a partagée avec Donald Trump dans une lettre de soutien adressée au président en juin 2020, alors que les manifestations des «Black Lives Matter» battaient leur plein.

Le prélat américain perçoit en effet le président, qui quittera la Maison Blanche le 20 janvier prochain, comme le chef de file de la lutte contre un mouvement mondial visant à détruire les valeurs chrétiennes et l’Eglise catholique. Les «fils des Ténèbres» représentant, pour lui, les opposants au milliardaire new-yorkais, composés globalement des forces «de gauche», des «Black Lives Matter» aux démocrates, en passant par les chrétiens «modernistes».

Un viking au Capitole

Sans vouloir porter de jugement sur cette vision des choses, l’assaut du Capitole a donné quelques indices sur les identités des «fils de la Lumière». Les insurgés provenaient certes de milieux très divers. Au vu des inscriptions faisant référence à Jésus, il est certain que des chrétiens étaient dans la foule. Beaucoup d’entre eux provenaient de groupes évangéliques radicaux, qui ont toujours ardemment soutenu Donald Trump.

Certains manifestants du Capitole arboraient des slogans mentionnant Jésus | © Brett Davis/Flickr/CC BY-NC 2.0

Mais au moins un des participants de cet épisode historique –sans doute le plus emblématique – n’était pas chrétien. Jacob Chansley, le fameux trublion portant un bonnet affublé de cornes de bisons – qui est apparu dans les médias du monde entier – est en effet un adepte de «l’odinisme», selon le dieu germanique Odin. Une version néo-païenne de la religion nordique ancienne, qui prône la suprématie de la race blanche et entretient des liens étroits avec le néo-nazisme. Un des comparses de Jacob Chansley au Capitole, récemment arrêté, portait d’ailleurs un t-shirt avec l’inscription «Camp Auschwitz».

Le Soleil noir des Nazis

Des résurgences de ces cultes anciens sont documentées depuis le 19e siècle. Au milieu du 20e siècle, le régime nazi du IIIe Reich a été l’un des principaux «résurrecteurs» des religions nordiques. Il y voyait un outil pour souder le peuple allemand derrière une mythologie commune, cohérente, en outre, avec son idéologie raciste et guerrière. Le chantre de ce mouvement n’était autre qu’Heinrich Himmler, l’architecte de la «solution finale»- l’extermination des juifs d’Europe. Le château du Wewelsburg, le quartier général de la SS, en Westphalie, était le «temple» de cette nouvelle religion. On peut encore y voir des symboles de cette mystique nazie, notamment des fresques représentant des soleils noirs.

Le symbole mystique nazi du soleil noir est encore visible au Wewelsburg | domaine public

Selon l’historien américain William L. Shirer, le plan des SS consistait à détruire le christianisme en Allemagne et à le remplacer par cet ancien paganisme germanique. Les autres dirigeants nazis avaient des attitudes diverses face à la religion chrétienne et au paganisme. Mais beaucoup considéraient le christianisme comme une menace pour l’idéologie nazie. «Aux yeux de Hitler, le christianisme n’était une religion que pour les esclaves; il détestait son éthique en particulier», écrit l’historien britannique Allan Bullock, dans son livre Hitler ou les mécanismes de la tyrannie (1952). Aux yeux du dictateur, l’enseignement chrétien était une rébellion contre la loi naturelle de la sélection par la lutte et la survie du plus apte.

Un christianisme qui affaiblit l’Occident?

Une opposition entre les principes du christianisme et les idéologies d’extrême droite qui a survécu à la chute du IIIe Reich. Dans la seconde moitié du 20e siècle, un certain nombre d’intellectuels ont resuscité les thèses selon lesquels le christianisme affaiblirait la civilisation occidentale. Dans un article de 2001, l’éditorialiste américain Sam Todd Francis, qualifié de «roi-philosophe» de la droite radicale, écrivait: «Le christianisme est aujourd’hui l’ennemi de l’Occident et de la race qui l’a créé».

Des idées similaires émergent des écrits du philosophe et essayiste français Alain de Benoist, un éminent idéologue de l’inégalité raciale et du paganisme. Il écrit ainsi dans son livre Comment peut-on être païen? (1981): «Au christianisme, je reproche son universalisme (le ‘peuple de Dieu’ ne se confond avec aucun peuple), qui l’empêche, quand il est laissé à lui-même, d’assumer une dimension identitaire».

«Les formes racistes de néo-paganisme sont en train de surpasser les versions traditionnelles monothéistes de [l’idéologie] de la suprématie blanche»

Mattias Gardell

Bien d’autres idéologues, aux Etats-Unis et dans le monde, professent ces idées d’un universalisme chrétien profondément incompatible avec les idéaux inégalitaires de ce qu’on appelle communément «l’alt-right». Cette mouvance opaque américaine, qui se confond avec le suprématisme blanc, est perçue comme la principale instigatrice des événements du Capitole.

Une «alt-right» qui, selon Matthew Rose, chercheur agrégé au Berkeley Institute, (Bermudes), est profondément «antichrétienne». «Non par implication ou insinuation, mais par confession», écrit-il. Le politologue affirme, dans un article de 2018, que «ses principaux penseurs [de «l’alt-right»] affichent clairement leur rejet du christianisme et leur désir de convertir les croyants pour qu’ils s’éloignent de cette religion».

Paganisation en marche

D’éminents tenants de cette idéologie appellent, depuis quelques années, à l’adoption de cultes néo-païens, principalement nordiques, en lieu et place de la religion chrétienne. C’est le cas de Frazier Glenn Cross Jr., qui écrivait en 1999: «J’aimerais voir les 100 millions de chrétiens aryens d’Amérique du Nord se convertir à la religion établie par leur propre race et pratiquée durant des milliers de générations avant que les juifs n’inventent le christianisme: l’odinisme».

Le dieu nordique Odin retrouve de la popularité dans l’extrême droite américaine | Carl Emil Doepler (1824-1905)

Cette tendance à la «paganisation» de l’extrême droite aux Etats-Unis semble avoir le vent en poupe dans ces dernières décennies. En 2003, le professeur américain d’Etudes religieuses comparées Mattias Gardell remarquait que «les formes racistes de néo-paganisme sont en train de surpasser les versions traditionnelles monothéistes de [l’idéologie] de la suprématie blanche». Se référant à cette observation, la politologue et écrivaine de Boston Shannon Weber écrivait en 2018: «Aujourd’hui [ces formes racistes de néo-paganisme, ndlr.] sont encore plus répandues, alors que les suprématistes blancs exploitent l’instabilité politique alimentée par le sentiment anti-immigrant et anti-réfugiés en Europe, ainsi que la résurgence du racisme sous le mandat de Donald Trump aux Etats-Unis».

Des «enfants» pas si «lumineux»

A noter que Frazier Glenn Cross Jr. s’est principalement fait connaître par l’assassinat de trois personnes, devant un centre juif, au Kansas, en 2014. Le «guerrier spirituel» du Capitole Jacob Chansley est, lui aussi, inquiété par la justice américaine depuis le 14 janvier 2021, pour avoir voulu kidnapper et tuer des élus.

Le FBI, dans le texte du Projet Megiddo, mené à la fin du 20e siècle, a désigné les croyances odinistes comme «racistes» et ses membres comme susceptibles de commettre des actes terroristes aux États-Unis.

Contrairement au christianisme, l’odinisme ne proscrit pas le meurtre. Faut-il ainsi craindre que la médiatisation de ce néo-paganisme d’extrême droite amène de nouvelles «conversions» et une acceptation encore accrue de la violence sociale? Si personne n’est en mesure de l’affirmer, il faut en tout cas constater que, parmi les «fils de la Lumière» loués par Mgr Vigano, se trouvent un certain nombre de «moutons noirs». (cath.ch/ag/arch/rz)

Raphaël Zbinden

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