Pologne: l’Eglise confrontée à un mouvement d’apostasie

Le soutien de l’Eglise catholique à la nouvelle loi anti-avortement, conjugué à plusieurs scandales d’abus sexuels, provoque une hausse de la défiance vis-à-vis de l’institution, illustrée par une vague de départs. Ceux-ci demeurent toutefois marginaux dans un pays encore majoritairement catholique.

Le «compteur d’apostasies», lancé sur le Web début décembre en Pologne, ne cesse de tourner, recensant le nombre de personnes ayant choisi de renoncer publiquement à la religion catholique. Alors que le nombre de 1 000 s’affichait à Noël, le voici déjà à plus de 1 500 à la mi-janvier.

Si certains cas remontent au début des années 2000, la plupart datent de 2020, voire 2021. Cette année, des scandales pédophiles à répétition, largement relayés par les médias, et surtout la réaction enthousiaste de l’épiscopat à l’annonce de la quasi-interdiction de l’IVG, en octobre, ont suscité la colère d’une large partie de la société. Selon les données de l’institut CBOS, depuis mars 2020, le pourcentage de jugements favorables portés sur l’action de l’Église est tombé de 57 à 41 %, alors que 47 % des personnes interrogées la désapprouvent : du jamais-vu depuis 1993.

«En Pologne, l’Eglise catholique décide de tout, depuis la procréation jusqu’à la possibilité de travailler le dimanche, s’insurge Anna Dziewit-Meller, autrice et journaliste. Je ne veux plus de croix accrochées dans tous les lieux publics, de prêtres qui entrent sans frapper dans les salles des cliniques d’obstétrique… Je suis favorable au libre accès à l’avortement.»

«Pour rester fidèle à moi-même, je devais sauter le pas !»

Fin octobre, Anna Dziewit-Meller a annoncé sur son compte Instagram sa prochaine apostasie et, dans la foulée, la fin de sa collaboration avec Tygodnik Powszechny, hebdomadaire catholique représentant «l’aile libérale» de l’Eglise polonaise. «J’ai senti que pour rester fidèle à moi-même, je devais sauter le pas, confie-t-elle. En Pologne, la religion a été vendue à la politique», ajoute la jeune femme, dans une allusion à la proximité entre l’épiscopat et le parti au pouvoir.

Comme elle, des centaines de Polonais ont décidé d’exprimer leur colère et leur désaveu à l’égard de l’institution, qui rassemble officiellement 92 % de la société. Des dizaines de groupes, privés ou publics, ont vu le jour sur les réseaux sociaux et comptent aujourd’hui des milliers de membres. De nombreux sites expliquent comment faire la démarche et proposent des modèles de «déclaration», document que l’on doit présenter au curé de sa paroisse.

«Nous avons été contactés par le fondateur d’un site. En un mois, son modèle a été téléchargé par 25 000 personnes», se souvient Agata Diduszko-Zyglewska, journaliste et activiste engagée depuis quelques années dans la dénonciation de la pédophilie des prêtres. Cet automne, avec Robert Biedroń et Joanna Scheuring-Wielgus, responsables politiques de la coalition La Gauche, Agata Diduszko-Zyglewska a été à l’origine du «compteur d’apostasies». «L’idée était de répertorier tous ces gens, de leur montrer qu’ils ne sont pas isolés. Et nous ne pouvons pas faire confiance à l’Église pour communiquer à ce sujet.

«Un phénomène relativement marginal»

En effet, l’Eglise catholique en Pologne ne dispose pas de données complètes. Entre 2006 et 2009, il y a eu en Pologne 1 057 apostasies, en 2010 459. Par la suite, l’Institut statistique de l’Église catholique (ISKK), estimant qu’il s’agissait «d’un phénomène relativement marginal», n’a pas poursuivi de recherches sur ce sujet. Pourtant, cette année, elles vont reprendre. «Nous entendons beaucoup parler de l’apostasie, et de plusieurs sources», reconnaît le directeur de l’ISKK, le père Wojciech Sadłoń, même si, selon lui, ce mouvement «n’aura pas d’impact significatif sur les statistiques», en tout cas pas dans l’immédiat. «En trente ans, la proportion de personnes qui se déclarent comme athées en Pologne est passée de 1,3 % à 3 %», fait-il valoir.

Le mouvement actuel s’inscrit dans le courant des changements de pratiques religieuses, visibles en Pologne depuis trente ans et marqués par une baisse du nombre de fidèles pratiquant régulièrement, de 50 % en 1980 à 36 % aujourd’hui.

Le profil de l’apostat polonais: jeune et urbain

«Les personnes qui partent aujourd’hui, dans la plupart des cas, de toute façon ne participaient plus depuis longtemps à la vie de l’Église, ajoute le père Sadłoń. C’est la manifestation de leur attitude négative vis-à-vis de la présence de l’Église dans l’espace public, manifestation d’autant plus forte que, contrairement à l’Allemagne, elle ne leur apporte aucun avantage pratique.»

Quel est le profil type des apostats polonais ? Il s’agit le plus souvent de jeunes des villes grandes et moyennes, encore que, comme soulignent les créatrices du «compteur», d’autres catégories soient également bien représentées. «L’Eglise fonde son droit de réguler la vie des Polonais sur le fait que la société est majoritairement catholique. Mais c’est un fantasme, lance Agata Diduszko-Zyglewska. La plupart d’entre eux ne pratiquent pas et leur baptême n’a été qu’un automatisme.» (cath.ch/lcx/afp/mv/wr/cp)

Carole Pirker

Portail catholique suisse

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