Agnès Charlemagne: «La foi ne se transmet pas, elle se reçoit»

Comment se fait-il que le christianisme parle si peu aux jeunes d’aujourd’hui? Voilà une question qui fait cheminer la Française Agnès Charlemagne depuis plusieurs années. Dans le livre Je t’écoute (ed. Crer), elle ouvre des pistes très concrètes pour aider les adultes à accompagner les jeunes dans leur quête spirituelle.

Par Vincent Delcorps/Cathobel

Avant d’ouvrir le livre, l’œil s’arrête sur la couverture. Avec étonnement! «Je t’écoute», indique le titre. «Petit guide pour transmettre la foi entre les générations», poursuit le sous-titre. La foi pourrait-elle donc être transmise? Et surtout, pourrait-elle être transmise par la seule écoute? «Le sous-titre porte une sorte d’entourloupe ou de mensonge», sourit Agnès Charlemagne. «La foi ne se transmet pas, elle se reçoit.»

Agnès Charlemagne, auteure de la méthode «T’es où?»| DR

Pourquoi ce sous-titre?
A cause de l’éditrice! Elle m’a dit que toutes les personnes désireuses de partager leur foi avec leurs enfants ou leurs petits-enfants portaient en elles cette espèce d’intuition: «Il faut transmettre la foi pour que le jeune devienne croyant». Et même: «Si le jeune n’est pas croyant, c’est de ma faute». D’où le sous-titre.

Qui ne vous plaît donc pas trop…
Personnellement, j’aurais préféré quelque chose comme «Anti-manuel pour recevoir la flamme vive par la rencontre et le dialogue». En même temps, le livre s’adresse aux personnes qui entendent transmettre leur foi, et il est très important de prendre les gens là où ils sont. Ce sous-titre ne me déplaît donc pas forcément. Il permet d’entendre la tristesse des parents et grands-parents dont les enfants n’ont pas la foi. Et ça, c’est un phénomène majeur: non seulement, la foi ne se transmet pas, mais en plus, de nos jours, les enfants la refusent.

Que voulez-vous donc dire à tous ces parents et grands-parents? Qu’ils doivent d’abord se mettre à l’écoute?
En France, j’anime des formations à destination des animateurs en pastorale qui sont en contact avec les jeunes. Ils me disent souvent: «Si on libère la parole, les jeunes vont me poser des questions. Or, je n’ai pas étudié la théologie, je ne me sens pas compétent pour leur répondre…». Notre éducation a mis l’accent sur la performance et la réussite. L’un des travers de cette éducation est cette idée selon laquelle à chaque question il y aurait une réponse. Qui, elle-même, permettrait à l’enfant d’accéder à la deuxième question. En fait, on transforme ce qui devrait être un dialogue en un quizz! Pourtant, Jésus fait exactement l’inverse. Dans l’Evangile, il demande aux gens: «Que veux-tu savoir? Que veux-tu que je fasse pour toi?» Le premier chapitre de mon livre est intitulé «Se taire». Ce n’est pas là une forme de stratégie; c’est juste comme ça que ça marche! Il faut se taire pour apprendre la question de l’autre. Et surtout, il ne faut pas y répondre.

«Non seulement, la foi ne se transmet pas, mais en plus, de nos jours, les enfants la refusent.»

Vraiment?
Y répondre, c’est dévier l’autre de sa propre question. C’est lui donner notre réponse, mais pas la sienne. C’est le distraire. Sa question est le premier pas d’une promenade. Cela n’a pas de sens d’essayer d’emmener le jeune sur le terrain de notre propre promenade.

Il faut donc plutôt l’accompagner, l’inviter à faire lui-même ses découvertes? C’est ça?
Je dirais surtout qu’il faut être là. Et renvoyer une attitude de confiance. C’est important, ça: quand ils voient poindre la subversion, la majorité des parents et grands-parents s’inquiètent. Et tentent de se rassurer: «Ohlala, tu es en train de décrocher. Il faut absolument que tu viennes avec moi à la messe dimanche…» Lorsqu’un enfant commence à se poser des questions, il faut lui dire que sa quête est passionnante. «Tu as chopé une belle question; c’est un poisson qui va t’emmener très loin.» Il faut également le remercier: «Merci car grâce à toi, je vais aussi me poser cette question». Il ne s’agit donc pas seulement d’accompagner le jeune, mais aussi de se laisser accompagner par lui. Maintenant, force est de constater qu’au XXIe siècle, les enfants formulent leurs questions d’une manière tout à fait différente que par le passé. Ce qui fait que les parents ne s’y retrouvent plus. Ils ont l’impression que les questions qui émergent sont de l’ordre du refus. En fait, les jeunes d’aujourd’hui entrent dans la même demeure que leurs prédécesseurs, mais pas par la même porte.

Pourquoi ce qui marchait au XXe siècle ne marche-t-il plus aujourd’hui? Et au fond, est-ce que ça marchait vraiment au XXe siècle?
Belle question. Chacun pourrait se la poser. Par le passé, les questions étaient toujours posées de la même manière, et les réponses étaient toujours profilées de la même façon. Ça a favorisé un sentiment de reconnaissance et d’identité très fort: le cadre était partout le même, avec les mêmes objets, la même musique… Au milieu de ce cadre, moyennant un cheminement intérieur personnel, une question intime pouvait émerger. Mais ceux qui n’ont pu faire ce chemin n’ont gardé que le cadre. Un cadre qui pouvait se révéler rassurant et pratique. Mais qui était surtout un vernis. Le monde d’aujourd’hui n’est plus le même. On voyage comme on respire, on est sans cesse confrontés à des personnes et religions différentes… On ne retrouve plus à l’extérieur ce que les parents nous ont transmis.

«Si la manière de les formuler a évolué, les questions des jeunes n’ont pas changé.»

Quand vous vous mettez à l’écoute des jeunes, que vous disent-ils?
Si la manière de les formuler a évolué, les questions des jeunes n’ont pas changé. Ils s’interrogent sur la violence, la guerre, l’égoïsme, la mort, le mal, les miracles, le sens de la vie… C’est très basique.

Pensez-vous que le christianisme puisse encore parler à un jeune d’aujourd’hui?
Posons la question autrement: qu’est-ce qui fait que le christianisme, source tellement abondante et éternelle, ne parle plus à aucun des jeunes que je rencontre? C’est une question que nous devons nous poser. On ne peut pas accuser les jeunes de ne pas répondre à une source qui ne leur parle plus.

Je vous retourne la question: pourquoi cette religion ne leur parle-t-elle plus?
Il y a plusieurs éléments. Je crois que le langage est une barrière colossale. Le langage de l’Eglise est plein de mots incompréhensibles, tels que miséricorde, salut ou résurrection. En plus, il fait fortement référence à l’effort et à la souffrance. Ce n’est pas très vendeur! Pas plus que les images: voyez les Christ en croix, par exemple. Si vous allez voir du côté du bouddhisme, la porte d’entrée est très différente. Là, il est d’abord question d’abondance. Evidemment, ceux qui creusent se rendront compte que l’effort demandé est immense. Mais ceux qui demeurent à la première marche ne perçoivent que ce qui est attirant.

«Il faut rendre la parole de Dieu attirante. Ce qu’elle est d’ailleurs censée être: la Bible, ce sont des histoires qu’il faudrait se raconter le soir au coin du feu, comme avant»

Si vous étiez évêque, quel type de mesure prendriez-vous?
Je développerais la méthode «T’es où?» (voir encadré) de manière plus généreuse. Je vois que cette méthode porte ses fruits. Il faut permettre aux jeunes d’être entendus dans leurs questions, de se rendre compte qu’une question en entraîne une deuxième, d’écouter la question de leurs voisins… Ils se rendent compte alors qu’il est possible de se poser une même question de bien des manières. En fait, toutes ces questions les passionnent, mais elles sont tellement taboues qu’ils n’en parlent jamais. Il faut donc libérer la parole. C’est le début d’une appropriation. Ensuite, il faut rendre la parole de Dieu attirante. Ce qu’elle est d’ailleurs censée être: la Bible, ce sont des histoires qu’il faudrait se raconter le soir au coin du feu, comme avant. Il faut donc partir des questions des jeunes, avant de montrer que celles-ci sont universelles et que toutes les civilisations se les sont posées.

Les évêques ne le font pas?
Pas du tout! Partout où je passe, je vois des évêques et des prêtres qui commencent par la Parole de Dieu. Dès ce moment, les oreilles se ferment. Surtout que cette Parole est présentée comme une vérité déjà acquise, alors qu’il s’agit d’abord d’une recherche symbolique. Jésus qui demande à boire ou qui marche sur l’eau… Qu’est-ce que cela veut dire? Mes parents pouvaient traduire cela d’une certaine manière, mais cette manière ne peut être la mienne, et encore moins celle de mes enfants. Chaque génération doit mettre son propre sous-titrage sur ces mythologies. Et puis, il faut aussi expliquer que ce sont bien des mythologies! Les évêques ont raison de conserver le rite, la théologie et la Parole de Dieu. Mais il faut continuer à travailler celle-ci, pour que les jeunes se l’approprient.

«L’Evangile ne va pas disparaître du jour au lendemain, et il y aura toujours des groupes qui se réuniront autour de la Parole de Dieu.»

En même temps, il y a aussi pas mal de jeunes qui aiment les certitudes. Et qui les questionnent d’ailleurs moins que leurs parents…
Pour le coup, les adultes sont responsables. Comme on n’a pas proposé à ces jeunes un cadre qu’ils puissent s’approprier, ils n’ont gardé que le cadre imposé. C’est un besoin basique de l’homme de rechercher une sécurité. Il faut donc offrir un cadre sécurisant à l’enfant. Par exemple en lui disant: «Je serai toujours là si tu veux me poser une question; j’aime discuter avec toi». C’est là une forme de sécurité, mais d’un autre ordre que: «Voici ce en quoi tu dois croire».

Etes-vous inquiète de constater que le patrimoine chrétien se transmet si peu?
Je ne suis jamais inquiète. L’inquiétude est la source de beaucoup d’échecs. En revanche, la confiance ouvre bien des portes. L’Evangile ne va pas disparaître du jour au lendemain, et il y aura toujours des groupes qui se réuniront autour de la Parole de Dieu. Qu’ils soient ou non croyants. Cette Parole fera donc toujours son travail. Il faut faire confiance à l’Esprit Saint, qui sait très bien comment répondre à nos quêtes. Mais il est temps de se rendre compte que l’Esprit Saint ne s’adresse pas que dans les églises. Ni seulement aux croyants. Peut-être s’adresse-t-il même davantage à ceux qui ne se disent pas chrétiens. Là aussi, il y a une erreur à ne pas commettre: les évêques ne doivent pas attendre que les gens se disent croyants pour s’adresser à eux. Le pape François nous invite à aller dans les périphéries. Et pas pour convaincre les périphéries, mais pour vivre la rencontre dans ces lieux de bazar. (cath.ch/cathobel/vd/bh)

La méthode «T’es où?»
Artiste et théologienne, pédagogue, formatrice et auteure: c’est par bien des voies qu’Agnès Charlemagne travaille la question de l’éveil à la foi auprès des plus jeunes. Inspirée par l’approche Montessori, elle a mis au point une méthode pour accompagner les ados dans leur quête intérieure. Baptisée «T’es où?», celle-ci met l’accent sur la parole, la rencontre, et entend partir de la réalité du jeune. Un des objectifs: lui montrer que ses questions rejoignent les récits de la Bible. Cette graphiste et théologienne, formée à l’Institut de sciences et de théologie des religions à Marseille, Agnès Charlemagne parcourt la France pour former des intervenants en pastorale. Elle est auteure de plusieurs livres notamment de Comment parler de spiritualité avec les adolescents? (Ed. Salvator).

Rédaction

Portail catholique suisse

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