Drôle de guerre

Est-ce ma formation scientifique? J’aime appeler un chat un chat. Or les commentateurs utilisent actuellement toutes sortes d’euphémismes (épidémie, crise sanitaire…) pour caractériser l’exceptionnelle gravité de la crise mondiale que nous traversons. Cette crise a des conséquences analogues à celle d’une guerre, excepté les destructions matérielles. Elle est sans équivalent depuis les années 1940. Qu’on en juge par ces quelques éléments.

En premier lieu, il faut mettre l’accent sur ses conséquences humaines. Plus de 400’000 morts aux U.S.A, plus de 200’000 au Brésil, plus de 100’000 en Grande-Bretagne, plus de 8’000 en Suisse. Les taux de mortalité ont augmenté de 10% en 2020 et l’espérance de vie a chuté d’un montant sans précédent depuis la 2ème Guerre mondiale. La situation n’est pas meilleure en Afrique et l’approvisionnement en vaccins de ce continent est problématique sans aide extérieure. A cela il faut ajouter les séquelles pour les personnes qui ont guéri du virus et les dépressions qui affectent les personnes les plus fragiles

Conséquences sociales ensuite. On peut en noter trois principales. Une nouvelle pauvreté qui affecte principalement les indépendants, les personnes à contrat précaire et les jeunes qui ont perdu leurs petits boulots. Vient ensuite un déséquilibre dans les familles. De nombreux couples sont fragilisés par la perte d’un être cher et l’incertitude du lendemain. La dernière conséquence concerne les jeunes aux études qui sont privés de cours en présentiel, de contacts et qui ont du mal à trouver un emploi à la fin de leurs cursus. Une guerre crée toujours une génération sacrifiée. Aujourd’hui c’est celle qui a eu 20 ans en 2020. Certes ceux qui ont la chance d’avoir une famille pourront compter sur l’aide de celle-ci pour rebondir. Mais un certain nombre d’entre eux auront des difficultés à le faire malgré les solidarités cantonale et fédérale.

«La crise mondiale que nous connaissons permet un pas de géant dans certaines technologies»

Conséquences économiques enfin. Les guerres creusent les dettes publiques. C’est le cas de la crise que nous connaissons aujourd’hui. Pour la Suisse, rien de vraiment grave, car elle était très peu endettée. Il n’en va pas de même pour ses voisins italien, espagnol et français. Certes l’aide de la Banque centrale européenne masque aujourd’hui la réalité de la situation. Mais qu’en sera-t-il à la sortie de la crise, quand il faudra remettre à plat les budgets européens? Les efforts risquent d’être douloureux, pour certains en particulier, en termes de temps de travail et d’âge de la retraite.

Du point de vue économique, il faut noter aussi les transformations que va connaître notre appareil de production et de distribution durant cette crise. Il y aura en 2021-22 des restructurations synonymes dans l’immédiat de pertes d’emploi. La numérisation s’accélère, de même que les achats par correspondance. Le commerce traditionnel va durablement en souffrir, de même que les emplois bancaires. Les activités du tourisme subiront durablement une baisse de régime. Et de nombreux services devront réduire leur voilure. Le rebond économique prévu en 2021 n’aura lieu au mieux qu’en 2022, une fois que la vaccination aura produit ses effets.

Mais toute médaille a son revers. La crise mondiale que nous connaissons permet un pas de géant dans certaines technologies. De même que la 2è guerre mondiale avait donné la diffusion de la pénicilline, de même cette guerre, qui ne dit pas son nom, nous apporte une génération de vaccins inédits, conçus en 9 mois, vaccins dits à ARN- messager. L’inventivité humaine a fait une fois de plus des merveilles. De même cette crise a engendré des logiciels inédits qui permettent de faire des réunions à distance. Après avoir été accros de Skype, nous le sommes devenus de Zoom. Et nous avons tous constitué des groupes sur Whatsapp. La société ne reviendra pas sur ces avancées.

Tous ces éléments montrent que la crise est trop profonde pour que l’après-crise soit un copier-coller de l’avant-crise. Nous aurons nécessairement changé et la société aura changé. L’Esprit nous aidera à accueillir ces choses nouvelles. Mais nous devrons tous réfléchir aux conséquences de ces nouveautés sur notre vie personnelle et communautaire. L’Eglise institutionnelle devra nous y aider et pour ce faire changer son regard sur ses fidèles. Elle devra accepter leurs capacités d’initiative et, dans ce but, réformer ses structures. Les années post-crise seront décidément passionnantes!

Jean-Jacques Friboulet

3 février 2021

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/blogsf/drole-de-guerre/