Multinationales: la Chancellerie fédérale critique les Eglises

La Chancellerie fédérale critique l’engagement des Eglises lors de la campagne pour des «Multinationales responsables», en automne 2020. Une position qui conforte les actions actuelles en justice pour limiter l’expression politique des acteurs religieux.

La Chancellerie fédérale juge «pour le moins limite» l’engagement des organisations religieuses dans la campagne de l’initiative pour des «Multinationales responsables», refusée à la majorité des cantons le 29 novembre 2020. C’est ce qu’exprime la Chancellerie fédérale dans un document adressé au Tribunal fédéral (TF) quelques jours avant le scrutin et que l’hebdomadaire romand Le Matin Dimanche a pu consulter.

L’organe central de l’administration fédérale qui coordonne les travaux du Conseil fédéral et prépare ses séances rappelle que les Églises ne sont pas des acteurs politiques comme les autres. Si on ne peut pas les qualifier d’entités étatiques au sens propre, elles restent des éléments centraux de la société civile auxquels l’État accorde des privilèges. Ces privilèges sont ainsi assortis de conditions, souligne la Chancellerie fédérale. Certes, les acteurs reconnus juridiquement d’utilité publique ont la possibilité d’intervenir dans une campagne, mais seulement s’ils sont directement concernés par le scrutin. Pour les Églises, un engagement sur les grandes questions éthiques est également accepté. La Chancellerie juge cependant «discutable» que de telles conditions aient été réunies dans la campagne pour des «Multinationales responsables«.

Implication intensive des Eglises

Pour mémoire, la Conférence des évêques suisses (CES) et l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) ont à plusieurs reprises exprimé publiquement leur soutien à l’initiative. Des paroisses de diverses confessions, dans plusieurs lieux de Suisse, ont également pris fait et cause pour le ‘oui’ notamment en affichant des banderoles, parfois sur les clochers. Sur ce point, la Chancellerie fédérale note aussi que l’implication politique doit être «retenue», alors que «les Églises ont parfois utilisé des méthodes de publicité particulièrement intensives». L’organe pointe aussi du doigt le fait que ni les sources de financement de ces actions ni les montants utilisés n’ont été communiqués, alors que les Églises ont le droit de prélever des impôts. La Chancellerie demande finalement au TF de se prononcer pour savoir si cette «implication intensive» peut être considérée comme «admissible».

Discussion dans l’Eglise catholique

Cet engagement sans précédent des Eglises a certes irrité dans les milieux opposés à l’initiative. Les jeunes du Parti libéral radical (PLR) ont en particulier déposé plusieurs recours, notamment au TF, pour limiter l’expression politique des Eglises. La position de la Chancellerie vient ainsi certainement donner de l’eau à leur moulin, d’autant plus que l’organe se veut «le garant des droits politiques».

Du côté des Eglises, le texte de la Chancellerie est toutefois interprété de façon plus nuancée. Interrogé par Le Matin Dimanche, Daniel Kosch, secrétaire général de la Conférence centrale catholique romaine (RKZ), estime que l’organe fédéral «reconnaît le droit des Églises de s’exprimer sur des sujets éthiques. La tonalité du texte est donc bien plus positive que les critiques que vous soulevez.» Le responsable de la faîtière des corporations ecclésiastiques admet toutefois que la façon de faire des Eglises mérite une discussion. Le sujet est d’ailleurs à l’ordre du jour de la réunion de coopération entre la CES et la RKZ, qui se déroule le 8 février, confirme la Conférence épiscopale à cath.ch.

Le Tribunal fédéral pour classer l’affaire?

Du côté réformé, Rita Famos, président de l’EERS, souligne que «depuis des décennies, nous participons au débat politique en amenant des idées et en publiant des prises de position théologiques et éthiques. C’est ainsi que nous contribuons à l’émergence d’un vrai débat démocratique». Pour elle, cela correspond à la formulation de la Chancellerie fédérale selon laquelle les acteurs reconnus juridiquement d’utilité publique peuvent défendre leur point de vue avec objectivité et ainsi contribuer à la formation de l’opinion politique. Quant à savoir s’il y a eu exagération, elle explique au Matin Dimanche qu’elle laisse la justice trancher. La pasteure bernoise jugeait cependant fin décembre sur les ondes de la radio alémanique SRF2 que les Eglises étaient allées «trop loin».

Il n’est pas sûr au final que le Tribunal fédéral clarifie la situation. Selon l’hebdomadaire alémanique Schweiz am Wochenende, les juges chercheraient à classer les recours des jeunes PLR, sous motif qu’il font partie des gagnants de la votation. (cath.ch/matindimanche/arch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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