L'eau, nouveau canal diplomatique du Vatican 3/5

À l’occasion du discours au corps diplomatique prononcé le 8 février 2021 par le pape François au Vatican, I.Média revient sur les cinq dossiers qui ont marqué l’année 2020 et devraient continuer à faire l’actualité en 2021. Après la Chine et le Soudan du Sud, la nouvelle diplomatie de l’eau.

Le 30 mars dernier, la publication par le Dicastère pour le service du développement intégral d’un document, Aqua fons vitae, était globalement passée inaperçue du grand public. Pour autant, cette discrétion, qui s’explique surtout par la concomitance de la crise sanitaire, ne signifie pas que l’initiative soit restée sans fruits. Dans le sillage de l’encyclique Laudato si’, dont on a fêté le cinquième anniversaire en juin dernier, ce document qui intégrait une réflexion sur toutes les dimensions de l’eau se révèle être aussi un instrument diplomatique original.

Si la diplomatie «traditionnelle» est le pré carré de la Secrétairerie d’État et en particulier de la seconde section de celle-ci, sous le contrôle de Mgr Paul Richard Gallagher, le soft-power du Saint-Siège peut compter depuis quelques années sur le Dicastère pour le service du développement humain intégral, le département de la Curie auquel le pape a confié la mission d’être le relais et l’amplificateur de l’ambition que porte l’Église d’un monde en paix et plus juste.

En ce sens, la publication d’Aqua fons vitae – en plus d’offrir aux relais chrétiens locaux des moyens de s’engager sur ces questions – s’inscrit dans un travail d’influence important du Saint-Siège auprès de réseaux de diplomatie informels, par l’intermédiaire des nombreuses instances multilatérales et d’associations de la société civile. Par ailleurs, cette préoccupation n’est pas apparue sui generis mais est la condensation du magistère des derniers pontifes à propos de l’eau, et en particulier de celui du pape François.

Un magistère pontifical sur l’eau

Depuis Laudato si’ en 2015, le pontife argentin s’est en effet exprimé à dix reprises sur le sujet, que ce soit à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau (2019) ou pour se faire le porte-parole de diverses causes liées à l’eau, comme les conditions de vie des marins – via le réseau de l’Apostolat de la mer Stella Maris – la pollution ou encore la sécurisation des migrations maritimes.

Cependant, c’est probablement dans son exhortation apostolique Queridia Amazonia (février 2020) – texte où la pensée du pape François épousait les méandres et affluents du grand fleuve pour se porter au plus proche des préoccupations des populations locales – que cette sensibilité thématique s’est le plus ressentie.

Une préoccupation qui s’est traduite concrètement par une quinzaine d’actions de la diplomatie vaticane au sein des instances multilatérales des Nations unies telles que la FAO (partenaire romain privilégié du Saint-Siège) ou l’UNESCO. Le Dicastère pour le service du développement humain intégral, à l’œuvre derrière chacune de ces actions, avait d’ailleurs de grandes chances de participer à la Conférence des Nations unies sur les Océans à Lisbonne (Portugal) en 2020 et au Forum Mondial de l’eau à Dakar (Sénégal) en 2021. Malheureusement, ces événements ont tous été annulés ou repoussés en raison de la crise sanitaire.

Une expertise vaticane

Le Saint-Siège peut aujourd’hui faire valoir une expertise sur ce sujet de société majeur. En mai 2020, le président sénégalais Macky Sall s’était entretenu avec le pape François au téléphone, et après l’avoir invité à se rendre dans son pays, s’était réjoui de la participation du Vatican au Forum de l’Eau. «Cette invitation solennelle est une première», a rapporté à I.Média un membre du Dicastère pour le service du développement humain intégral.

Autre signe que l’Église devient un relais important sur ce sujet: récemment, le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit humain à l’eau potable et à l’assainissement, le professeur Pedro Arrojo, a profité d’un webinar de la Commission Justice et Paix Espagne pour diffuser un appel contre la spéculation boursière sur l’eau qui a récemment débuté aux États-Unis.

Une diplomatie fraternelle

Parmi les mesures principales défendues par le Saint-Siège, on trouve la volonté de «renforcer la codification et la mise en œuvre – dans les conventions internationales et les législations nationales – de l’accès à l’eau potable en tant que droit humain fondamental et universel» ou la «résolution des conflits concurrentiels déloyaux dans le domaine de l’eau».

Dans Aqua fons vitae est d’ailleurs explicitement souligné l’existence d’une «valeur de l’eau pour la paix», celle-ci étant opposé aux tentatives de privatisation des richesses liées à l’eau voire de l’eau elle-même. Cependant, le Saint-Siège défend aussi une vision «positive» de l’eau comme élément central de socialisation et de construction d’une communauté. La diplomatie de l’eau du Vatican est ainsi l’illustration de l’ambition plus vaste de sollicitude fraternelle universelle que le pape François essaye de transmettre aux nations. (cath.ch/imedia/cd/bh)

Retrouvez le quatrième volet de notre série le 17 février: Le Saint-Siège, partisan du modèle européen.

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