Sépulture des défunts: l’Eglise s'adapte à la pratique de la crémation

En Suisse, 90% des personnes décédées sont incinérées. Comment l’Eglise s’est-elle adaptée à cette évolution? Pourquoi la pratique de la crémation ne concerne que 40% de la population en France? Regards croisés de prêtres et de professionnels du funéraire.

Le chiffre est articulé par Edmond Pittet, directeur des Pompes funèbres à Lausanne, et en dit long sur l’évolution des pratiques funéraires: aujourd’hui en Suisse, 90% des personnes choisissent d’être incinérées. Même si elle a toujours indiqué sa préférence de l’inhumation, l’Eglise catholique tolère aujourd’hui pleinement cette pratique: «L’hostilité de l’Eglise pour la crémation est liée à une époque passée où des revendications de crémation étaient une manière d’affirmer qu’on ne croyait pas à la résurrection, précise Michel Salamolard, prêtre du diocèse de Sion. Aujourd’hui, l’Eglise ne s’oppose plus du tout à la crémation, en tout cas pas pour des raisons doctrinales de foi.»

«Depuis le concile Vatican II, confirme Edmond Pittet, je n’ai vu aucune retenue de la part de prêtres pour accompagner les familles dans ce cadre. Selon le souhait de la famille, le prêtre célèbre un service religieux soit à l’église, soit directement au crématoire.»

Reste que l’Eglise exige en théorie que les cendres du défunt soient conservées dans un lieu sacré et interdit la dispersion des cendres dans la nature. «L’Eglise ne peut pas interdire la dispersion des cendres, réfute le prêtre valaisan, Michel Salamolard. Elle ne peut que la déconseiller pour des raisons de décence ou par respect pour ce qui reste du corps humain, qui fut temple de l’Esprit saint.»

La Suisse, en avance sur la crémation

Si en Suisse, la pratique de la crémation est devenue largement majoritaire et intégrée aux pratiques cultuelles, en France, elle ne concerne pour l’heure que 40% des décès, selon Frédérique Plaisant, présidente de la Fédération française de crémation citée par le quotidien La Croix. Pour Dominique Ballif, assistant funéraire aux Pompes funèbres de Lausanne, cette différence s’explique par l’histoire de notre pays: «En Suisse, la crémation date de plus d’un siècle et concernait d’abord des personnes de traditions réformées. Mais depuis le concile Vatican II, autant les catholiques que les protestants optent pour la crémation.»

Selon Thierry Marti, qui gère les Pompes funèbres Mottiez, À Monthey (VS), cette différence de pratique tient aussi au fait que la France a ouvert le marché des pompes funèbres pour créer une saine concurrence et faire baisser les prix. Mais c’est l’inverse qui s’est produit, constate-t-il : «Vous rencontrez des vendeurs de mort qui font tout pour augmenter la facture. En cas d’inhumations, ils vendent des cercueils luxueux, des monuments funéraires en marbre et jusqu’aux forfaits d’entretien des tombes. Il s’agit d’une dérive commerciale de la mort qui n’a pas cours en Suisse.»

Manque de place et éclatement des familles

Son entreprise funéraire travaille avec plusieurs congrégations religieuses. Si la majorité d’entre elles continue à opter pour l’inhumation, deux ont choisi la crémation: «Ce sont aussi les communes qui nous encouragent à la crémation, en raison du manque de place dans les cimetières, précise le professionnel valaisan. En outre, vu l’éclatement géographique des familles, ne pas faire peser sur les descendants la responsabilité de devoir entretenir une tombe explique aussi ce choix.»

En Valais aussi, près de 90% des personnes décédées sont incinérées, selon Thierry Marti. Si 60 à 70% des décès continuent selon lui d’être accompagnés d’une célébration religieuse, les 30 à 40% restants se partageant entre célébrations laïques et absence totale de cérémonie d’adieux. En cause, les modalités d’adieux qui ont changé. «Les gens ne veulent plus une messe, mais juste une liturgie de la Parole. C’est une tendance très forte observée depuis avant l’apparition du Covid. Certains curés n’aiment pas cette façon de faire, mais c’est tout de même eux qui ont proposé cette solution. Ils préfèrent cela à rien du tout, car ils ont compris que sinon, les gens renoncent à toute cérémonie religieuse.»

Messe encore souhaitée en Valais

En général, nuance le prêtre valaisan Michel Salamolard, en Valais en tout cas, la messe est encore souhaitée. Là où des célébrations de funérailles ont été présidées par un diacre, ou par un(e) laïque, les échos sont plutôt favorables. Des gens m’ont dit que tel diacre (marié) ou tel laïc était plus en proximité, en compréhension, en empathie, faisait moins de «théorie» dans ses propos et commentaires.»

Dans le canton de Vaud, une famille sur deux ne souhaite plus d’obsèques religieuses, précise Dominique Ballif. L’assistant funéraire conduit ainsi trois à quatre cérémonies d’adieux laïques par semaine, dans le centre funéraire de Montoie à Lausanne, à la Chapelle d’Arcangier à Vevey, ou dans les chapelles de Beausobre à Morges ou de Saint-Roch à Lausanne. Et pour celles qui souhaitent encore une cérémonie religieuse, conclut le prêtre valaisan Michel Salamolard, «l’Eglise ne peut faire autrement que de suivre la volonté des personnes et des familles.» (cath.ch/cp)

Sépulture des défunts: l’Eglise tolère mais encadre la crémation
En octobre 2016, la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) a diffusé l’instruction Ad Resurgendumcum Christo, dans laquelle l’Eglise réaffirme sa préférence pour l’inhumation, qu’elle considère comme la voie privilégiée des catholiques. Si elle tolère la crémation depuis le 5 juillet 1963, lors du Concile Vatican II, elle exige en principe que les cendres du défunt soient conservées dans un lieu sacré (pas à la maison) et interdit la dispersion des cendres en pleine nature, pour éviter tout malentendu de type panthéiste, naturaliste ou nihiliste. L’Eglise préconise que le défunt, avant d’être incinéré, fasse l’objet de funérailles à l’église paroissiale. Dans la pratique, de nombreuses familles ne font plus la démarche de se rendre à l’église. En 2001, les évêques ont donc demandé que l’on propose une prière au crématorium. Le temps de prière peut être animé par un prêtre, un diacre ou un laïc missionné par le diocèse. (CP)

 

Carole Pirker

Portail catholique suisse

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