Depuis le 4e siècle, les fidèles se préparent à la fête de Pâques par un temps de jeûne. Dans certains diocèses, les auteurs de péchés particulièrement graves – apostasie, meurtre, hérésie ou adultère – se confessaient alors devant leur évêque. Ils étaient ensuite recouverts de cendres puis expulsés de l’église pour un temps de pénitence. Ils y étaient réadmis le Jeudi-Saint, après avoir reçu l’absolution.
Les pénitents vivaient en marge de leur famille et du reste de la communauté chrétienne pendant les quarante jours du Carême (d’où l’expression de ›quarantaine’). Cette pratique pénitentielle impliquait généralement de s’abstenir de viande, d’alcool, de bain. Il était également interdit de se faire couper les cheveux, de se raser, d’avoir des relations sexuelles et de gérer ses affaires.
Cette utilisation de cendres en symbole de pénitence trouve ses origines dans l’Ancien Testament : «Fille de mon peuple, ceins le cilice, roule-toi dans la cendre» enjoint le Seigneur à Jérusalem pour sa repentance (Jr 6,26). Ce symbole est aussi repris par le Christ : «Si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et Sidon, il y a longtemps qu’elles auraient fait pénitence avec le sac et la cendre» (Mt 11,21).
La cendre est indissociable de la poussière – les traducteurs grecs de la Bible emploient souvent un mot pour l’autre. Dans la Genèse Dieu met en garde Adam: »Tu es poussière, et à la poussière tu retourneras». La cendre est l’état auquel retourne le pécheur qui se détourne de Dieu. C’est donc en se couvrant la tête de cendres que les pécheurs reconnaissent leur état et deviennent des pénitents.
Au Moyen-Age, c’est la dimension personnelle du péché, plutôt que son caractère public, qui fut objet d’insistance. Par conséquent, les traditions associées au mercredi des cendres furent appliquées à tous les adultes de la paroisse, mais sous une forme mitigée.
Le rite de l’imposition des cendres sur la tête des pénitents, geste d’une grande portée symbolique, se propagea rapidement en Europe. En 1091, le concile de Bénévent (sud de l’Italie) décréta ainsi que «le mercredi des Cendres, tous les clercs et laïcs, hommes et femmes, recevront les cendres». Au XIIe siècle, ce rite est attesté à Rome, mais ce n’est qu’au siècle suivant que le pape lui-même se soumettra à cette démarche pénitentielle.
Les pratiques en usage étaient proches de celles que nous connaissons aujourd’hui. Les cendres proviennent de la combustion des rameaux bénits le dimanche des Rameaux de l’année précédente. «L’année dernière, à la fin du Carême, nous étions tous là pour fêter les Rameaux et dire au Christ que nous étions prêts à le suivre jusqu’à la croix, rappelle à Croire.com le Père P. Sébastien Antoni. Et puis ces rameaux que nous avons ramenés chez nous se sont desséchés, comme nos belles résolutions… Ils seront donc brûlés et serviront à marquer sur nos fronts l’entrée dans le temps de pénitence du carême».
Le rite catholique autorise deux formules pour l’imposition des cendres. A celle de la Genèse «souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière», on peut préférer celle de l’évangile de Marc: «Convertissez-vous et croyez à l’Evangile» qui met en valeur un aspect plus positif du carême.
La date du mercredi des Cendres a formellement été établie par le pape Grégoire Ier en 591, afin de compter 40 jours de jeûne avant Pâques, en mémoire des quarante années de traversée du désert par les Hébreux et des quarante jours du Christ au désert. Comme les dimanches – marqués par la joie de la Résurrection – ne pouvaient être comptés dans cette période de pénitence, il a été décidé que l’entrée en carême serait avancée au mercredi précédent le premier dimanche. (cath.ch/croire.com/mp)
Le lundi pur des orthodoxes
On ne fête pas le mercredi des cendres dans l’orthodoxie. Le grand carême orthodoxe commence par le lundi pur, Kathari deftera chez les Grecs. Les femmes nettoyaient tous les ustensiles pour les préparatifs du repas lavaient les maisons pour les purifier de toute souillure, et dans les villages, les églises et les habitations étaient repeintes à la chaux. Après avoir festoyé pendant la période du carnaval, les orthodoxes font la purification de leur corps, de leur esprit et de leur habitation.
Le lundi pur est chômé en Grèce et c’est l’occasion d’un déjeuner composé de plats traditionnels excluant toutefois la viande. Partout dans le pays, sont organisés des banquets et des pique-niques, au cours desquels on déguste le «langada», sorte de pain traditionnel sans levain. On fait aussi voler des cerfs-volants multicolores, semblables à de grands soleils.
Le jeûne du grand carême orthodoxe est l’expression de la lutte spirituelle de l’Église en marche vers le Royaume céleste. On s’abstient de tout produit animal, de graisse et de vin, tous les jours sauf le samedi et le dimanche. Pendant cette période, aucun mariage religieux, baptême ou fête ne peuvent avoir lieu.
Il n’y a pas non plus de célébration de l’Eucharistie les jours de jeûne, du lundi au vendredi. En effet l’eucharistie est incompatible avec le jeûne, car elle a un caractère festif et joyeux. Cependant les mercredis et vendredis soir il y a un office de communion appelé «liturgie des présanctifiés». On communie au Corps et au Sang du Christ consacrés le dimanche précédent. Dans le rite romain, la liturgie des présanctifiés n’a persisté que le Vendredi-Saint.
Cette année, le Grand Carême orthodoxe, qui suit le calendrier julien, se déroulera du 15 mars au 13 avril, soit quatre semaines après le carême des catholiques qui répond au calendrier grégorien. MP
Pas de cendres, ni de jeûne chez les protestants
Essentielle pour les catholiques et les orthodoxes, la montée vers Pâques par les privations du carême revêt une moindre importance pour les protestants. Partant du principe que chacun est touché par la grâce inconditionnelle de Dieu, nul besoin d’entrer en pénitence, en jeûnant notamment, pour attirer ses faveurs.
Depuis quelques années cependant, l’idée existe que ce temps peut être mis à part pour des gestes particuliers, comme jeûner pour la planète. Le protestantisme propose plutôt de vivre cette période librement en effectuant des actions de solidarité ou en prenant le temps de réfléchir sur le sens de sa foi. Pendant ces 40 jours qui rappellent la période du Désert, il s’agit de méditer à nouveau les souffrances du Christ, avant sa mort puis sa résurrection au troisième jour.
A noter aussi que la Fédération protestante de France, organise des conférences de carême depuis 1928, pour faire écho au carême catholique et faire entendre une prédication autour de l’Évangile. MP
Maurice Page
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