L'Opus Dei, au-delà des clichés et des fantasmes

Le nouvel évêque de Coire, Mgr Joseph Bonnemain, est membre de l’Opus Dei. Cette appartenance a réveillé, notamment dans les médias, de vieux clichés et fantasmes sur cette prélature personnelle. Petite mise au point.

Par Raphaël Zbinden avec Raphael Rauch, kath.ch

L’Opus Dei (l’Œuvre de Dieu, en latin), également appelée «Prélature de la Sainte Croix et Opus Dei», est une institution de l’Église catholique romaine fondée en 1928 par le prélat espagnol Josemaría Escrivá de Balaguer.

L’Opus Dei a fait l’objet de nombreuses controverses, notamment en ce qui concerne son aspect secret, son influence politique, ainsi que sa prétendue puissance financière. Des représentations entre autres popularisées par le romancier américain Dan Brown, dans son Da Vinci Code. Dans ce livre de fiction, l’organisation n’hésite pas à faire assassiner des personnes dans le but de cacher au monde les preuves que Jésus a eu une descendance. Des images qui restent toujours bien ancrées dans les esprits, malgré les intenses efforts de communication et de transparence menés par la prélature, suite à l’important succès qu’ont connu le roman et le film réalisé d’après ce dernier.

Compromission avec des dictatures?

L’Opus Dei reste fortement associée, dans l’opinion publique, non seulement à un catholicisme rigoriste, mais aussi à la compromission avec des pouvoirs d’extrême droite. Elle est notamment accusée d’avoir soutenu le régime du général Franco, en Espagne. Un épisode qui a marqué une génération entière, dans le pays.

Effectivement, le dictateur avait trouvé, en 1957, au sein de l’Opus Dei, un certain nombre d’alliés qui pouvaient lui servir de «vitrine» de respectabilité en face du monde catholique, relève à kath.ch Mariano Delgado, professeur d’histoire de l’Eglise à l’Université de Fribourg. Ceci était arrivé après que des représentants du catholicisme politique proche des évêques – Comme l’Action catholique ou Pax Romana – aient démissionné du gouvernement, réalisant que le régime franquiste ne pouvait être changé de l’intérieur dans le sens des tendances chrétiennes-démocrates d’après-guerre.

De fait, de 1957 à 1975, quatre ministres du gouvernement Franco ont été membres de l’Opus Dei. Mariano Delgado souligne cependant qu’ils avaient davantage été choisis pour leurs compétences reconnues que pour leur appartenance à l’organisation. Cette dernière ne recelait d’ailleurs pas que des admirateurs du Caudillo. Selon le journaliste vaticaniste américain John L. Allen, à la fin du régime de Franco, les membres de l’Opus Dei se partageaient à parts égales entre partisans et opposants.

Formation de l’élite sociale

Des collaborations avec des pouvoirs en place brutaux et autoritaires ont également eu lieu en Amérique latine. Une réalité que des spécialistes expliquent par l’orientation spécifique de l’Opus Dei vers la formation de l’élite sociale.

Pour Mariano Delgado, cela explique pour une part l’hostilité à l’encontre de la prélature. Une démarche «élitiste» qui, rappelle-t-il, a été similaire à celle des jésuites, souvent perçus comme les grands «rivaux» de l’Opus Dei. L’idée était de se gagner la faveur des puissants, afin de pouvoir agir au plus haut niveau de la société. Ainsi l’Opus Dei s’est d’abord concentrée sur la formation des élites dans les collèges et les universités. Mais, au fil du temps, «elle a également découvert le social, dans le sens de la promotion d’écoles professionnelles et de projets sociaux», relève l’historien de l’Eglise.

La place centrale des laïcs

S’il ne nie pas que l’Opus Dei a une orientation conservatrice, elle manifeste aussi des aspects «révolutionnaires». Entre autres, dans la place centrale qu’elle accorde aux laïcs, et cela même avant Vatican II. Les laïcs représentent en effet 98% des membres de la prélature.

Pour le professeur, la vision de l’Opus Dei est une sorte de «calvinisme catholique». Le mouvement fondé en 1928 «prône la filiation universelle de Dieu, l’unité de la vie et le dépassement de la séparation entre le service à Dieu et le service à l’homme. Il considère la sanctification du travail et du travail objectivement efficace dans le monde comme une base et une forme d’appel universel à la sainteté».

D’après Mariano Delgado, «l’aspect conservateur [de l’Opus Dei, ndlr.] comprend ce que l’on appelle la ‘piété doctrinale’, censée être en accord total avec l’enseignement de l’Eglise». Un élément qui a son importance notamment en Espagne, où la religiosité «à la carte» est une tendance historique. Une «piété doctrinale» qui conduirait souvent les membres de l’Opus Dei à une «obéissance ecclésiastique affirmative», qui aurait comme corollaire une tendance à ne pas percevoir la liberté de parole dans l’Eglise.

Pas de prêche en latin, ni de flagellation

Quelle puisse être la réalité de l’institution aujourd’hui, un certain nombre d’idées reçues et de «Fake News» ont été véhiculées, notamment dans les médias suisses, suite à la nomination de Mgr Bonnemain. La radio-télévision publique alémanique (SRF) a ainsi dû démentir une information, diffusée à une heure de grande écoute, selon laquelle les prêtres de l’Opus Dei prêchaient en latin.

Le spécialiste en religion du quotidien zurichois Tages Anzeiger a affirmé que Mgr Joseph Bonnemain vivait dans une maison de prêtres, à Zurich, possédant un second escalier destiné à ce que les femmes de ménage ne rencontrent pas les hommes d’Eglise. Le prêtre de l’Opus Dei Beat Müller a expliqué que l’extension dont parlait le journaliste était en fait un ascenseur, destiné à tous. Le responsable de l’organisation pour les médias a également dû réfuter que Joseph Bonnemain, ou que d’autres membres de l’Opus Dei, se flagellaient régulièrement, dans un effort de mortification extrême. Une image aussi transmise largement par Da Vinci Code.

Théories du «complot»

Une autre théorie diffusée, notamment par le journal indépendant Aufbruch, basé dans le canton de Zoug, voudrait que le cardinal Kurt Koch, ancien évêque de Bâle, ait été nommé président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, en 2010, grâce à l’appui de l’Opus Dei. Interrogé par kath.ch, Martin Rhonheimer, professeur de philosophie politique à l’Université de la Sainte-Croix (Rome), considère que cette idée est «totalement absurde». Alors qu’aucun indice n’existe sur une possible implication de l’Opus Dei dans la nomination de Mgr Koch, ses compétences dans le domaine de l’œcuménisme sont incontestées, rappelle-t-il.

Les allégations selon lesquelles l’Opus Dei aurait joué de son influence pour faire nommer Joseph Bonnemain à Coire est également battu en brèche par des observateurs avisés. Martin Werlen, ancien Abbé d’Einsiedeln, souligne que le prêtre de Zurich n’a pas été nommé parce qu’il appartient à l’Opus Dei, mais «parce qu’il est le prêtre le plus apte à assumer ce ministère dans le contexte actuel». «Si les fidèles du diocèse avaient pu voter, je pense qu’il aurait reçu le plus de voix», précise-t-il. Un autre élément en contradiction est que Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle et président de la Conférence des évêques suisses (CES), qui ne possède pas d’affinités avec l’Opus Dei, a personnellement fait campagne en faveur de Joseph Bonnemain, comme le confirme Hansruedi Huber, porte-parole du diocèse de Suisse centrale. (cath.ch/kath/rr/arch/rz)

Rédaction

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