Mattias Beer voulait vivre et mourir au Kazakhstan

Des montagnes des Grisons, au Kazakhstan, en passant par Uznach, avant son retour en Suisse, l’itinéraire de Mattias Beer est passionnant. Le bénédictin missionnaire se raconte volontiers entre sourires et rires.

Barbara Ludwig, kath.ch / traduction adaptation: Maurice Page

Osornoje est un village au nord du Kazakhstan. C’est là que Mattias Beer (66 ans) a établi avec un confrère un prieuré monastique. Le bénédictin missionnaire est de retour en Suisse depuis 2014.

L’homme en bure noire est petit, maigre. On n’imaginerait pas que Mattias Beer (66 ans), bénédictin missionnaire, a commencé sa vie professionnelle par un apprentissage de forestier. L’homme de Tavanasa, près de Disentis, dans les Grisons, n’a gardé ce premier emploi que quelques semaines avant d’entrer à l’école de recrues.

Rapidement, le jeune homme devient un chercheur de Dieu. Il veut aider les pauvres et les malades, de préférence en tant que missionnaire à l’étranger. Il suit une école d’infirmiers. En 1981, il entre à l’abbaye de Saint-Otmarsberg, à Uznach (SG), qui appartient à la congrégation des bénédictins missionnaires. Plus tard, il étudie la théologie dans un séminaire pour les vocations tardives en Allemagne.

Envoyé en mission à 51 ans

Lorsque l’opportunité d’une mission lointaine se présente, Mattias Beer a déjà 51 ans et vient de terminer ses études. «En septembre 2006, j’ai été ordonné diacre. Trois semaines plus tard, nous avons décollé», raconte-t-il.

Le monastère «Notre-Dame de la riche pêche» à Osornoje | DR

La destination était le Kazakhstan, un pays d’Asie centrale 66 fois plus grand que la Suisse. Mattias et son confrère Joseph Maria Schnyder établissent une fondation monastique dans un village de quelques centaines d’habitants appelé Osornoje, au nord de la capitale Astana (rebaptisée depuis en Noursoultan). L’idée est de créer un lieu où des jeunes du pays pourraient rejoindre la vie monastique.

En mars 2007, Mattias est ordonné prêtre dans la cathédrale d’Astana par l’archevêque Tomasz Peta, d’origine polonaise. La liturgie est célébrée en russe. «C’était un défi. Parce que mon russe était encore assez pauvre», admet-il en riant.

Son confrère a, lui, failli manquer son ordination sacerdotale à cause d’une tempête de neige. Finalement, il peut célébrer sa première messe le même jour, dans la cathédrale d’Astana. «C’est typique pour le Kazakhstan, spontané, pas compliqué.» Mattias a aimé cette simplicité. «Quand je suis revenu en Suisse, j’ai d’abord dû me réhabituer à l’agitation des gens.»

Le Père Mattias à vélo dans les champs | DR

Apprendre le russe, cuisiner, nettoyer

Evoquant ses années au Kazakhstan, Mattias rit et sourit constamment. Les jours au monastère «Notre-Dame de la riche pêche» passent avec la prière, l’apprentissage du russe, la cuisine et le nettoyage. «Très vite, nous avons commencé à prier la liturgie des heures en russe.» Bientôt les deux missionnaires célèbrent l’Eucharistie en russe. Ils sont actifs comme prêtres auxiliaires dans les paroisses de la région et comme confesseurs. Ils sont également aumôniers d’un couvent de femmes.

Mattias décrit sa mission comme un grand enrichissement. Les années passées au Kazakhstan ont élargi ses horizons. C’étaient aussi ses années de formation en tant que pasteur. Avec quelques épisodes cocasses. Ainsi lorsqu’il se rend comme confesseur dans le village voisin, une habitante insiste pour se confesser à lui. Plus tard lors d’une visite au monastère, elle lui avoue pourquoi: «J’espérais que tu ne comprendrais pas tout. Mais ce n’était pas le cas». La femme avait fait deux avortements. Mais contrairement à ce qu’elle avait espéré, le prêtre avait bien compris le mot «avortement».

Le silence des mosquées

Les Suisses sont impressionnés par la tolérance qui règne dans le pays avec ses nombreux groupes ethniques et religions différentes. Lorsqu’il se déplace dans les villages, Mattias se rend parfois à la mosquée. «J’y priais, certes non pas avec les musulmans, mais j’entrais et je restais en silence.» Le port de l’habit de moine bénédictin n’est pas un problème. De la seule famille musulmane du village, le petit monastère a reçu un panier de fruits pour Noël et Pâques.

La première communion à Osornoje | DR

Les deux moines n’ont pas de voiture. Pour le travail dans les avant-postes de la paroisse d’Osornoje, ils peuvent utiliser le véhicule de la paroisse. Mais sinon, ils sont très souvent dans les transports publics. «Cela nous a mis en contact avec la population». Un dimanche soir sur le chemin du retour, ils prient les vêpres en russe dans le bus très tranquillement. Lorsqu’ils font le signe de croix, l’homme assis à côté d’eux les accompagne du geste par lequel les musulmans commencent leur prière.

A Osornoje, les étés sont courts et chauds, les hivers longs et froids. Pendant neuf mois de l’année, il ne se passe pratiquement rien. Les jeunes émigrent par manque de perspectives. Mais Mattias Beer aime la vie au Kazakhstan. «J’ai toujours pensé que c’est là que je vivrais et que je mourrais.»

Néanmoins, un jour, les bénédictins missionnaires ont dû faire leurs valises. L’Abbé d’Otmarsberg a rappelé le Père Beer en 2014, tandis que le Père Schnyder a été autorisé à rester deux ans de plus. «A ce moment-là, lui voulait retourner en Europe, pas moi», rigole Mattias. «Pour moi ce n’était pas un drame.»

Les forces nécessaires à Uznach

La raison de ce retour était liée aux changements intervenus à Uznach. En quelques années, cinq jeunes confrères avaient quitté le monastère. Deux d’entre eux avaient terminé leurs études de théologie et auraient pu être ordonnés prêtres sous peu. En outre, la retraite prévisible des pères âgés de la pastorale active créait une pénurie de personnel.

Le Père Mattias et son psaltérion qui l’accompagne dans son activité d’aumônier d’hôpital | © Barbara Ludwig

Mattias Beer revient donc en Suisse et suit une formation de deux ans comme aumônier d’hôpital. Aujourd’hui, il travaille à l’hôpital de Walenstadt. Ses services de prêtre sont très demandés dans diverses paroisses de la région.

La relève du petit monastère d’Osornoje a été assurée par le Père Jeanmarc Stoop, ancien vicaire général de l’archidiocèse d’Astana, dont les racines sont au Toggenburg. «Il assume notre tâche en tant que combattant solitaire. C’était réconfortant pour nous», conclut Mattias Beer. (cath.ch/kath.ch/bl/mp)

L’abbaye de Saint-Otmarsberg, à Uznach (SG) est une construction moderne au milieu des vignes | DR

L’abbaye de Saint-Otmarsberg, un jeune monastère

L’histoire de l’abbaye des bénédictins missionnaires de Saint-Otmarsberg a commencé en 1919 avec l’ouverture d’un «foyer bénédictin» à Uznach, dans le canton de St-Gall. La communauté croissante y a construit un monastère en 1963. Jusqu’à leur abolition en 1973, les articles d’exception de la Constitution fédérale interdisaient l’érection de nouvelles abbayes. Saint Othmarsberg est finalement élevé au statut d’abbaye en 1982.
Aujourd’hui, la communauté est composée de 21 frères âgés entre 41 et 93 ans. Trois Pères travaillent comme missionnaires en Tanzanie et au Kenya. Un autre frère fait régulièrement la navette entre l’Afrique et l’Europe. Mgr Marian Eleganti, évêque auxiliaire de Coire démissionnaire, a été Abbé de Saint-Otmarsberg de 1999 à 2009.
A noter que l’abbaye n’est pas membre de la Congrégation bénédictine suisse, mais se rattache à la Congrégation bénédictine de St. Ottilien, en Allemagne. BL

La cathédrale catholique Notre-Dame de Fatima à Karaganda, au Kazakhstan, a été achevée en 2012 | DR

Les catholiques au Kazakhstan

Les catholiques au Kazakhstan se concentrent dans quelques régions du nord du pays. Les quelque 250’000 fidèles (2,4% de la population) sont essentiellement d’origine polonaise ou allemande, issus de populations déportées à diverses périodes de l’histoire russe. L’Eglise catholique est organisée en cinq diocèses et compte une centaine d’églises. Mais le nombre de fidèles tend à se réduire, les descendants des déportés quittant progressivement le Kazakhstan pour rejoindre leur pays d’origine.
Depuis l’indépendance du pays, en 1991 une relative renaissance des religions a vu le jour au Kazakhstan. Un nombre important de mosquées mais aussi d’églises a été bâti. Les religions tendent à combler le vide idéologique laissé par la disparition du dogme communiste; elles sont aussi un moyen d’affirmer son appartenance culturelle. La grande majorité des chrétiens sont orthodoxes qui forment un peu plus de 20% de la population. On compte aussi un petit nombre de luthériens, de baptistes et de gréco-catholiques. MP

Rédaction

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