Le poète Philippe Jaccottet, un agnostique fasciné par la religion

Le poète et écrivain vaudois Philippe Jaccottet est décédé le 24 février 2021, à l’âge de 95 ans. D’éducation protestante, il s’affichait comme non croyant, tout en faisant preuve d’un vif intérêt pour la spiritualité et en particulier le mysticisme.

Philippe Jaccottet, récompensé par le Goncourt de la poésie en 2003, est entré dans la collection de «La Pléiade» en 2014. Il est considéré dans le monde francophone comme un très grand poète, lu, étudié et traduit dans le monde entier, note le portail de médias Regards protestants. Le natif de Moudon (VD) était également le traducteur d’auteurs allemands tels que Hölderlin, Rilker, Musil ou Thomas Mann.

Eduqué dans le protestantisme, l’homme de lettres avait avec la religion une relation compliquée. Dans un long fragment de son œuvre La Semaison (1971) il déclare que son instruction religieuse protestante lui représentait le monde divin comme «une autorité invisible, d’ordre moral, quelque chose comme une haute conscience qui vous faisait hésiter de commettre telle ou telle faute, en particulier, bien entendu, charnelle».

Passion pour des auteurs catholiques

Philippe Jaccottet avait plusieurs fois affirmé ne pas croire en Dieu. Il avait pour autant gardé, selon ses termes, «un grand respect pour la religion» et mentionné sa fascination pour la Bible et certaines œuvres inspirées de la religion, notamment Les Passions de Bach. Ces attirances artistiques le menaient aussi vers des œuvres en dehors du protestantisme. Il déclarait entre autres être devenu «un fanatique» du dramaturge Paul Claudel, connu pour être un fervent catholique.

Dans une interview donnée au journal Le Monde en 1994, il témoignait de son intérêt pour des auteurs mystiques, catholiques et musulmans. «J’ai relu beaucoup les poèmes de saint Jean de la Croix, une des cimes de la poésie à mes yeux, ou ceux de Rûmî, le grand mystique soufi». «Sans doute est-ce l’intuition de l’insaisissable comme source de la parole qui rapproche poésie et mystique», notait-il.

Prière non humaine

Philippe Jaccottet avait-il ainsi réellement oublié ou même rejeté Dieu? Gérard Bocholier, poète français et spécialiste du poète vaudois en doute. Dans la revue protestante Foi & Vie de février 2016, il note que son œuvre témoigne à bien des égards du contraire, soulignant les nombreuses références à l’Evangile et à la Bible dont il faisait usage. Pour l’artiste suisse, le Christ n’avait pourtant pas de présence «réelle, sensible». Et il était «incapable de prier Dieu ou de le nommer», estime Gérard Bocholier. Aux yeux de Philippe Jaccottet, la prière existait pourtant toujours en ce monde, même si elle n’était «plus prononcée par des lèvres humaines».

Doris Jakubec, dans la revue dominicaine suisse Sources, note que le natif de Moudon «propose, par sa parole poétique, une œuvre de résistance au monde tel qu’il s’est organisé sous ses yeux: opposer la beauté cachée du monde aux violences contemporaines, au matérialisme effréné, aux intégrismes surgis de toutes parts.» Pour la professeure de littérature romande à l’Université de Lausanne, «poésie et vie spirituelle dialoguent chez Philippe Jaccottet, non pour trouver une issue mais pour partager les richesses qui sans cesse passent d’un univers à l’autre, du dehors au dedans, puis s’en reviennent par un autre chemin, comme il est dit dans la Bible». (cath.ch/ag/arch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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