Qui est Juif? La Cour suprême israélienne ravive un débat de 70 ans

En reconnaissant la judéité des convertis non-orthodoxes, la Cour a tranché, le 1er mars 2021, une question qui touche aux fondements de l’Etat d’Israël. Le dossier traînait sur la table depuis 15 ans, les gouvernements et les parlementaires rechignant à prendre une décision.

Par Cécile Lemoine/Terresainte.net

Être ou ne pas être juif, telle est la question… La Cour suprême israélienne a tranché pour un élargissement de cette identité juive. Depuis le 1er mars 2021, les personnes qui se convertissent au judaïsme en Israël par le biais des mouvements réformés et conservateurs sont désormais considérées comme juives par l’Etat. C’est une petite révolution pour le judaïsme israélien, qui était jusqu’alors sous la coupe d’un grand rabbinat défendeur de l’orthodoxie religieuse.

Les courants réformés et conservateurs, nés au XIXe siècle en Allemagne, ont une interprétation beaucoup moins stricte de la loi juive que les orthodoxes et remettent en cause certains préceptes du Talmud. S’ils sont majoritaires aux Etats-Unis, où vit près de la moitié de la communauté juive mondiale, ils ne représentent que 4% de la population israélienne.

Ce n’est pas tant leur nombre que la portée symbolique de la décision qui permet de jauger de l’ampleur du séisme. «La Cour israélienne, en autorisant les autorités juives non orthodoxes à conférer le statut de «juif» au sein de l’État juif, porte un coup au monopole des ultra-orthodoxes», analyse le magazine en ligne The Times of Israel.

Définir la judéité

Ce sont les fondements même de l’État juif, les problématiques non résolues du sionisme, et les lignes de fractures entre le pays et la diaspora, qui sont touchées par cette décision. En témoignent les réactions des grands rabbins, qui se sont empressés de fustiger la Cour israélienne. «Ce que les mouvements libéraux appellent ›conversion’ n’est rien d’autre qu’une falsification du judaïsme», condamne le grand rabbin séfarade Yitzhak Yosef. Le grand rabbin ashkénaze, David Lau, a pour sa part déclaré que les convertis libéraux ne sont «pas des Juifs», avant d’ajouter: «En quoi l’Etat d’Israël est-il un Etat juif, quand tout non-juif peut être citoyen?»

Cela faisait 15 ans que le dossier, sensible, traînait sur la table, les gouvernements et les parlementaires rechignant à prendre une décision. «Il était devenu clair qu’il n’y avait aucune chance de parvenir à un compromis et qu’aucune législation n’était en vue, a souligné la présidente de la Cour, Esther Hayut, lors d’une conférence de presse. Par conséquent, nous n’avions pas d’autre choix que de rendre une décision.»

Si la Cour suprême a attendu si longtemps la décision de la Knesset, c’est que l’État d’Israël, depuis sa fondation il y a 73 ans, n’a jamais réussi à définir la judéité. David Ben Gourion, son fondateur, s’y est essayé, en demandant à une cinquantaine de rabbins de plancher sur la question «Qui est Juif?». Réponse des érudits: il n’est pas nécessaire de poser la question puisque la religion dit qu’est juif le fils d’une mère juive. C’est ce que prévoira finalement la Loi du retour.

Fragmentation idéologique

«Progressivement, il s’est créé un hiatus entre la forte contrainte juridique attachée au fait d’être Juif, et l’absence de critère objectif validant cette affiliation. Cela a fini par poser problème, jusqu’à constituer l’un des plus vifs débats de la société israélienne», résume Sébastien Tank-Storper, chercheur au CNRS, auteur de Qui est Juif? Loi du retour, conversions et définitions juridiques de l’identité juive en Israël (2017)

Alors que les élections législatives, prévues le 23 mars, s’approchent, les partis ultraorthodoxes, alliés de Benyamin Netanyahou ont prévenu: ils ne rejoindront qu’un gouvernement s’engageant à revenir sur la décision de la Cour. Le Likoud, parti de Netanyahou l’a promis, mais le premier ministre est pour l’instant resté silencieux.

«L’impossible consensus autour de la définition juridique de la judéité témoigne en définitive autant de la grande fragmentation idéologique et religieuse du monde juif contemporain que de la persistance d’un «commun» qui peine à trouver une traduction juridique », ajoute encore le chercheur. Si une étape a été franchie, de nombreuses autres questions restent ouvertes, notamment celle de la reconnaissance d’un mariage célébré en Israël entre un juif et un chrétien. (cath.ch/tsm/cl/bh)

Rédaction

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