Petit séminaire Saint Pie X: la victime présumée raconte

Le tribunal du Vatican a entendu, le 17 mars 2021, le témoignage de la victime présumée dans l’affaire du petit séminaire Saint Pie X. Celle-ci est longuement revenue sur son passage dans l’institution, et a expliqué avoir été victime d’abus sexuels très réguliers commis par Gabriele Martinelli. La justice vaticane enquête sur la responsabilité de ce dernier – alors mineur et aujourd’hui prêtre – ainsi que sur la potentielle dissimulation de ces actes par le Père Enrico Radice, recteur de l’établissement pour futurs prêtres qui se trouve au cœur du Vatican.

La septième audience du procès Martinelli-Radice aura duré presque 4h30, la plus longue depuis l’ouverture de ce procès, rouvert par la justice vaticane en octobre 2020.

La victime présumée, qui ne souhaite pas être identifiée, est revenue sur son parcours. Fils de parents divorcés, celui qui est aujourd’hui trentenaire raconte être entré au petit séminaire en 2006 sur suggestion du curé de son village de Sondrio, en Lombardie. Il explique qu’il a, à l’époque, perçu son départ à Rome comme une «rédemption sociale», et que cela lui a procuré de la fierté et l’assentiment de sa communauté qu’il avait sentie jusqu’alors hostile étant donné la séparation de ses parents.

Une «approche directe»

Si les premiers mois de petit séminaire ont été sans histoire, la victime présumée explique avoir été abusée entre la fin de l’année 2006 et le début de l’année suivante. «[Gabriele] Martinelli [qui avait alors quatorze ans, un an de plus que la victime, ndlr] s’est glissé dans mon lit», explique-t-il. «J’étais petit et je n’avais jamais été confronté au monde de la sexualité», confie-t-il encore.

Lors de cette première agression, Gabriele Martinelli lui aurait baissé le pantalon et aurait touché ses «parties intimes», avant de se masturber. «J’ai ressenti un sentiment de confusion, je ne comprenais pas ce qui se passait», explique-t-il, affirmant s’être trouvé « comme paralysé ». Il assure avoir expérimenté un «détachement entre le corps et l’âme» lors de ces agressions, son corps devenant «comme un objet» pour lui.

Des abus réguliers, même pendant une messe?

Ces «approches» ont été répétées au fil du temps jusqu’à «deux ou trois fois par semaine», puis ont évolué, a expliqué à la cour de justice la victime présumée. Il a déclaré que son agresseur lui aurait alors demandé des «rapports sexuels réciproques oraux et anaux».

Ces agressions ont aussi été effectuées dans une autre pièce, la «pharmacie», un local inhabité que Gabriele Martinelli se serait approprié. Puis l’agresseur présumé aurait tenté – sans succès, contrairement à ce qui a pu être dit dans les médias italiens – de commettre des abus dans une pièce dans laquelle les élèves se changeaient avant de se rendre dans la basilique Saint-Pierre, désignée comme la «Canonica». C’est là que plusieurs fois, dont une fois pendant une messe, il l’aurait attendu nu ou le pantalon baissé, lui proposant des actes sexuels. Cependant, la victime présumée affirme avoir toujours réussi à s’échapper.

La crainte d’être découvert

Au tribunal et à l’avocat de la défense qui lui demandait pourquoi il ne s’était pas défendu, il explique avoir essayé de faire du bruit en «claquant les tiroirs» de la table de chevet ou en frappant le mur attenant à son lit. «Le bruit faisait peur à Martinelli qui s’en allait. Après une demi-heure cependant, il revenait». Les camarades de chambrée, suppose-t-il, «dormaient ou faisaient semblant de dormir». Le trentenaire affirme aussi s’être progressivement résigné, afin de pouvoir dormir suffisamment.

Il explique avoir aussi été terrifié par l’idée que ces rapports soient connus par ses camarades: «J’avais peur que s’ils me voyaient au lit avec Martinelli, [qu’ils fassent] des commérages». Il a aussi dit craindre la réaction de ses parents et de son curé.

Les menaces du Père Radice

La victime explique avoir décidé d’en parler au recteur, le Père Enrico Radice, en 2009. Cependant, il ne lui a «jamais dit» qu’il était «victime d’une agression sexuelle», mais a parlé de son «sentiment de malaise» et du fait que «Martinelli [le] dérangeait». «Je me sens aussi coupable de ne pas avoir été plus clair», a-t-il confié à la justice.

La réaction du Père Radice a été «très dure», dit-il. Il lui aurait déclaré: «Tu es envieux, arrête, je vais appeler ton curé, ta famille». La victime présumée affirme réaliser aujourd’hui que cette réaction «était disproportionnée» et qu’il s’agissait seulement de lui faire peur. Face à cette réaction, il dit s’être «résigné» et ne plus avoir rien tenté pour dénoncer celui qui agissait au sein de l’institution comme un «délégué» du recteur.

Après le petit séminaire

En 2012, la victime présumée quitte le petit séminaire du Vatican, même si Martinelli l’aurait harcelé de messages et d’appels lui demandant une rencontre pour s’expliquer, jusqu’à ce que la victime le bloque. Les échanges numériques ou téléphoniques n’auraient pas fait référence aux abus.

Il se décide à écrire une lettre à l’évêque de Côme en 2013 à la demande de ce dernier qu’il a rencontré à Rome. Dans la missive, il décrit des «violences physiques», mais pas sexuelles. Il explique avoir accepté d’avoir témoigné afin d’obtenir de l’argent pour payer sa psychothérapie. L’évêque lui aurait conseillé de «s’éloigner de l’Église» et de «vivre sa vie», mais n’a pas envoyé de réponse à sa lettre. En 2013, la victime présumée a aussi témoigné des violences subies à Mgr Vittorio Lanzani, à l’époque adjoint du cardinal Angelo Comastri, archiprêtre de la basilique Saint-Pierre.

Assailli par les médias italiens

L’ancien élève déclare aussi n’avoir jamais été témoin d’une agression commise par Martinelli contre un tiers, mais que c’était de «notoriété publique» qu’il se «glissait» dans les lits des autres élèves. La chose aurait été apprise par le vice-recteur, Don Ambrogio Maroni et par Don Marco Granoli, l’assistant spirituel du petit séminaire, qui auraient renforcé la surveillance dans les chambres. «Don Ambrogio m’a dit qu’une nuit, il avait vu Martinelli sortir de la chambre d’un garçon, il l’a signalé au recteur [Don Radice] mais [Martinelli] a été taxé de somnambulisme».

Il est également ressorti de l’audience qu’il y avait de l’animosité entre la victime présumée et Gabriele Martinelli, qu’il y avait une rivalité et qu’ils faisaient partie de deux «camps» différents. En revanche, les relations entre lui et le témoin Kamil Jarzembowski étaient neutres. Il explique qu’ils n’ont pas évoqué les abus jusqu’en 2013. Le Polonais s’était alors confié à la télévision italienne. Approchée elle aussi par les journalistes, la victime présumée s’est sentie «assaillie» et a eu peur d’être «jeté à la télé». Elle a alors pris un avocat afin de «mettre fin à toute cette situation».

La victime présumée déclare souffrir aujourd’hui de «troubles du sommeil» et avoir rencontré de «sérieux problèmes dans la sphère sexuelle et relationnelle». Il a renoncé à la prêtrise, affirmant avoir «la nausée en pensant à entrer dans un séminaire».

La défense s’oriente vers une «relation» consensuelle

La défense a mis en avant des contradictions entre le témoignage de la victime présumée et les témoignages livrés auparavant au Promoteur de justice du Vatican. Elle laisse entendre aussi que certains détails – comme le fait que la victime présumée n’a jamais accepté que quelqu’un enregistre des vidéos ou prenne des photos dans le but de piéger Gabriele Martinelli – laisserait plutôt entendre qu’il s’agissait d’une relation consensuelle.

L’avocat de la victime a demandé à poursuivre le diocèse de Côme. La Cour a mis sa décision en délibéré. L’inspection des locaux du petit séminaire prévue pour le 18 mars est annulée à cause du Covid-19. La Cour demandera de la documentation et des photographies de la structure. Une prochaine audience devrait permettre d’auditionner deux témoins: le Polonais Kamil Jarzembowski, ancien élève, qui avait révélé l’affaire à la télévision italienne, et Mgr Vittorio Lanzani, ancien adjoint du cardinal Angelo Comastri, archiprêtre émérite de la basilique papale. (cath.ch/imedia/cd/rz)

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