Homosexualité et Eglise: «Il faut sortir de l'émotionnel»

Le récent décret du Vatican rappelant l’illicéité de la bénédiction des unions homosexuelles provoque de vives réactions. L’abbé Joël Pralong, directeur du Séminaire du diocèse de Sion, estime qu’il serait temps d’approfondir ces questions au-delà de l’émotionnel et des revendications.

L’abbé Pralong possède une longue expérience d’accompagnement pastoral. Parmi les personnes avec lesquelles il a cheminé, un certain nombre se débattaient avec leur homosexualité. Le directeur du Séminaire de Sion, à Givisiez (FR), a présenté son approche de cette réalité dans son livre Eglise et homosexualité, un accueil si difficile!, paru en 2020. Il réagit au ‘responsum’ publié le 15 mars 2021 par la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), rappelant le caractère non licite des bénédictions des unions homosexuelles.

Quel a été votre sentiment à la lecture de la note de la CDF?
Joël Pralong: Le contenu en tant que tel ne m’a pas étonné, car il ne fait que redire des principes qui font depuis longtemps partie de la doctrine de l’Eglise et qui se trouvent notamment dans le Catéchisme: le mariage est l’union entre un homme et une femme. Cela est historique, et pour le croyant, cette vérité est présente dès les premières pages du livre de la Genèse. Il est juste dommage que ce texte soit reçu comme «légaliste», et pour cause!

Qu’entendez-vous par là?
Je fais allusion à la note finale, selon laquelle «Dieu ne peut pas bénir le péché», qui est très stigmatisante. Dire cela est enfoncer une porte ouverte! Que Dieu ne bénit pas le péché est une évidence. Mais il bénit les pécheurs, non? Surtout, cette phrase casse la discussion et éloigne les personnes concernées. Elle est jugeante et vient contredire ce qui précède: qu’il faut accueillir les personnes avec délicatesse. On a l’impression qu’être homo, c’est un péché. Cela n’aide pas à approfondir la réalité de l’homosexualité ni à dialoguer avec l’Eglise.

«Dans sa manière de communiquer, l’Eglise devrait être plus pastorale»

On avait pourtant l’impression d’une ouverture donnée par le pape François dans ce domaine. Les portes se sont-elles refermées?
C’est la personne que le pape met au centre avant la doctrine. Il veut favoriser l’accueil et l’accompagnement des homosexuels dans l’Eglise. Mais il est clair, que la note de la CDF peut donner l’impression que le pape ouvre la porte et que la curie la referme. Alors que les deux ne se positionnent en fait pas sur le même terrain. Il y a la position doctrinale et pastorale.

Comprenez-vous les réactions parfois indignées au décret?
Pour moi, il y a beaucoup trop d’émotion dans le débat. Il faudrait que l’on puisse passer à la raison et avoir une discussion sereine.

Qu’est-ce qui l’empêche?
La sexualité est bien sûr un sujet sensible. Pas seulement dans l’Eglise mais dans toute la société. C’est quelque chose de complexe chez l’humain. Dans l’Eglise, il existe une peur de ces questions, doublée d’une homophobie latente. Des deux côtés, on dialogue par des revendications, du type «j’ai le droit/j’ai pas le droit». Alors qu’il faudrait d’abord admettre la complexité de ce sujet, avant de se jeter des anathèmes. La seule loi conduit à une impasse et barre la route à l’humain.

Ainsi, revendiquer la bénédiction, comme de dire «niet», c’est rester sur un plan légal, qui empêche une réflexion de fond.

«L’Eglise devrait se mettre à la place de parents à qui leur enfant annonce qu’il est homosexuel»

L’Eglise n’a ainsi pas la bonne attitude?
L’Eglise reste fidèle à la doctrine. Mais ensuite, il faut aller sur le terrain, écouter Dieu qui parle aussi par la vie des gens; la théologie du peuple est complémentaire à la théologie des manuels. Saint Thomas d’Aquin souligne l’importance des principes moraux, d’une morale générale applicable à tous. Mais, dit-il encore, plus on se rapproche des réalités singulières, plus il y a d’exceptions. La doctrine ne peut enfermer tout le mystère de l’homme et de Dieu. Dans sa manière de communiquer, l’Eglise devrait être plus pastorale.

Certainement qu’avec tous les problèmes que traverse l’Eglise en ce moment, elle fera preuve de plus d’humilité dans sa communication. Pour avoir accompagné des personnes homosexuelles, je sais à quel point ce genre de communication peut faire souffrir. Pas seulement les personnes concernées, mais aussi leurs proches. Je me pose déjà la question de savoir comment, nous les pasteurs, allons rattraper ça.

Comment l’Eglise devrait-elle réagir?
Pour moi, elle devrait se mettre à la place de parents à qui leur enfant annonce qu’il est homosexuel. Devraient-ils lui dire: «Casse-toi!» ou l’aimer encore davantage, dialoguer avec lui, essayer de le comprendre et de l’accompagner? L’Eglise devrait peut-être parfois être cette mère qui se penche mieux sur les réalités que vit son enfant, avant de poser un jugement.

«Nous devons vraiment rester humbles devant ces réalités qui nous dépassent»

Qu’est-ce que l’Eglise devrait mettre en place pour établir ce véritable dialogue?
Je plaide pour la création de groupes pluridisciplinaires, au niveau local, qui pourraient réfléchir sur ces questions. Ils réuniraient, à la fois des responsables d’Eglise, des médecins, des psychologues, des scientifiques.

On a justement l’impression qu’en matière de sexualité, l’Eglise prend peu en compte les conclusions de la science…
Il y a depuis très longtemps une méfiance mutuelle entre Eglise et science. Pour moi, ce sont pourtant deux domaines indissociables l’un de l’autre et qui ont à se nourrir mutuellement. Egalement dans le domaine de la sexualité humaine.

Le décret de la CDF n’est donc pas pour vous un point final à l’histoire?
La Bible nous dit que l’Esprit Saint nous conduira «à la Vérité toute entière». Et je crois que nous n’y sommes pas encore arrivés, c’est normal! Comme je l’ai dit, il est important que, dans les deux camps, nous adoptions une attitude d’humilité face à ce qui nous dépasse. Et là, je veux parler de l’amour, de ce que cela signifie pour Dieu, dont la vue va bien au-delà de celle des hommes. Tout en maintenant des points de repères importants, nous devons vraiment rester humbles devant ces réalités qui nous dépassent. Il est important, avant de juger, de valoriser ce qui est beau et constructeur dans une relation, quelle qu’elle soit, pour s’interroger ensemble sur ce qui la construit et la détruit. La morale chrétienne est une morale de l’amitié. Et l’ami veut le meilleur pour son ami. C’est ensemble que nous devons chercher…(cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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