Mgr Bonnemain: «Notre diocèse est malade et a besoin d'une thérapie»

Le nouvel évêque de Coire ne veut pas d’une Église préoccupée par des débats structurels, mais veut être proche des gens. «Notre diocèse est malade et a besoin d’une thérapie», explique Joseph Bonnemain.

Raphael Rauch kath.ch / traduction adaptation Maurice Page

Vous placez votre épiscopat sous une citation de Jean Paul II: «Homo est via Ecclesiae». Pourquoi?
Mgr Joseph Bonnemain: «L’homme est le chemin de l’Église» signifie que pour moi, les gens ne sont pas là pour l’Église, mais l’Église pour les gens. Selon les mots du pape, cela signifie que nous devons nous décentrer, nous devons aller à la périphérie. Notre diocèse est malade et a besoin d’une thérapie. Nous sommes préoccupés par nous-mêmes, par nos structures, par nos tensions et nos conflits. Nous perdons beaucoup de temps – et nous ratons la chance d’être là pour les personnes et de leur dire à quel point Dieu les aime.

Avant votre consécration épiscopale, vous avez fait une retraite au monastère de Cazis (GR).
J’ai été l’invité des sœurs pendant deux jours. J’ai participé à la liturgie des heures et j’ai médité. Mais j’ai dû beaucoup travailler. Toutes les dix minutes, il y avait un appel téléphonique, un courriel ou un SMS.

Avez-vous de l’humilité devant l’épiscopat?
Que signifie l’humilité? J’ai du respect pour cette tâche – un énorme respect, en fait. Et je ressens le fardeau. On me confie une tâche qui est bien plus grande que ce que mes forces me permettent. J’ai besoin de l’aide de tous et de l’aide de Dieu.

Pourquoi n’êtes-vous pas resté médecin et avez étudié la théologie?
J’étais heureux de pratiquer la médecine à Zurich. En tant que médecin, j’ai cherché à me rapprocher de Dieu et des gens. Mais le fondateur de l’Opus Dei, Josemaría Escrivá, m’a demandé: Pourrais-tu t’imaginer aller à Rome pour étudier la théologie? Il ne s’agissait pas d’une illumination, ni d’une vocation, mais d’une simple réflexion: si je peux aider de cette manière, pourquoi pas?

L’ordination sacerdotale semblait logiquement être l’étape suivante.
À la fin de mes études de théologie, on m’a demandé: pourriez-vous vous imaginer devenir prêtre? Et à nouveau, je me suis dit: «Pourquoi pas, si je peux être utile»? Et maintenant, on m’a demandé si je pouvais devenir évêque. Je n’ai pas cherché à obtenir ce poste. Mais si je peux faire quelque chose en tant qu’évêque, pourquoi pas?

«Le diocèse est maintenant ma nouvelle famille»

Vous être membre de l’Opus Dei qui a volontiers une réputation douteuse.
Je tiens à préciser qu’après ma consécration comme évêque, je serai lié au diocèse de Coire jusqu’à la fin de ma vie – et non plus à l’Opus Dei. La prélature personnelle était ma famille. Le diocèse est maintenant ma nouvelle famille.
Bien sûr, l’Opus Dei a commis les erreurs et les bêtises que font de nombreuses organisations dans l’Église. Au début, il y a beaucoup d’enthousiasme, vous êtes convaincu de votre idéal et vous voulez que beaucoup le partagent. Et puis on grandit et on oublie ses propres idéaux. Mais j’en suis convaincu: l’Opus Dei a appris des erreurs du passé.

Vous êtes ordonné le jour de la saint Joseph, votre fête patronale. Quel regard portez vous sur lui?
Tout ce qu’il a traversé m’impressionne. Il avait un fils ‘spécial’, il a dû fuir en Égypte en tant que réfugié, et il avait un travail difficile comme charpentier. Joseph représente de nombreuses situations.
Je suis avant tout préoccupé par les gens et leurs soucis. En ce moment, les gens souffrent à cause de la pandémie. Il y a des chômeurs, des gens qui ont peur que leur propre entreprise ou société fasse faillite. Il y a des familles qui sont dépassées. En tant qu’Eglise et en tant qu’évêques, nous devons réfléchir: Comment pouvons-nous aider ces personnes? Comment pouvons-nous inspirer confiance?

«Il ne suffit pas de réciter les enseignements de l’Église et le catéchisme du haut du balcon, mais nous devons comprendre et partager les préoccupations des gens»

Au départ vous apparaissiez comme très conservateur. Comment avez-vous évolué pastoralement?  
Au tout début de mon ministère à l’hôpital, j’ai eu à faire à un homme italien de 50 ans. Il avait un cancer en phase terminale. Il était clair qu’il allait mourir. Je suis allé le voir pour lui donner les sacrements, mais il m’a reporté à la semaine suivante. Puis la semaine suivante, encore une fois. Je devenais nerveux parce que je n’avais toujours pas administré les sacrements. Alors, il m’a dit: «Vous me faites peur. Vous êtes jeune, mince, athlétique, vous avez deux doctorats. J’ai besoin d’un vieux, gros et bon capucin.» Je me suis dit: «C’est le Saint-Esprit qui parle». J’ai réalisé que je devais changer.

Vous avez fait partie de la direction du diocèse pendant 40 ans. N’êtes-vous pas en partie responsable des dissensions vécues avec les évêques Wolfgang Haas et Vitus Huonder?
J’ai souvent été confronté à la question de savoir si je devais partir ou rester. Je suis resté parce que j’étais convaincu que je pouvais faire du bien. Nous devons prendre au sérieux les circonstances et le destin des personnes. Le pape François dit: «Nous devons aller au combat rapproché». Il ne suffit pas de réciter les enseignements de l’Église et le catéchisme du haut du balcon, mais nous devons comprendre et partager les préoccupations des gens.

Certains veulent un bâtisseur de ponts, d’autres attendent un bulldozer pour faire le ménage. Quel est votre programme pour les 100 premiers jours?
Mon objectif est de regarder: Quel bien pouvons-nous faire, nous les évêques, pour les personnes en difficulté ? Deuxièmement, comment puis-je constituer une équipe qui partage cette vision? Je vais avoir des conversations, obtenir des conseils pour mettre en place cette équipe. Ce seront mes premiers pas. Notre Église doit devenir plus modeste, plus humble, plus honnête, plus transparente.

«Une personne n’est pas seulement déterminée par son orientation sexuelle, mais constitue une richesse»

Le diocèse a-t-il besoin d’un évêque auxiliaire?
Je n’ai pas encore pris ma décision. Il est bon d’avoir des évêques auxiliaires, par exemple pour les confirmations. En outre nous avons besoin de personnes pour la conférence des évêques. Les tâches au sein de la Conférence épiscopale sont nombreuses et variées, et il existe une myriade de départements. Avec les démissions des évêques auxiliaires Denis Theurillat et Marian Eleganti nous sommes un petit corps. Il n’y a pas assez de forces pour mener à bien toutes les tâches.

Plusieurs évêques ont protesté contre la décision de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui interdit la bénédiction des couples homosexuels. Allez-vous protester vous aussi?
Non. Mais je vais essayer, comme dans d’autres domaines, de faire la différence entre les directives et les personnes concrètes qui se trouvent devant moi. Je peux même me réjouir du fait que la Congrégation pour la doctrine de la foi nous donne des directives de temps en temps. Mais les gens sont des personnes uniques. Une personne n’est pas seulement déterminée par son orientation sexuelle, mais constitue une richesse et un atout avec de nombreuses nuances et caractéristiques, compétences et qualités. Nous devons considérer la personne dans son ensemble, sa situation et son histoire. Et ensuite décider avec d’un côté les garde-fous et de l’autre la personne concrète ou le couple.

Si des agents pastoraux bénissaient des couples homosexuels que se passerait-il?
Je leur parlerais et leur demanderais s’ils ont bien pesé leur décision.

Pourquoi ne pas les laisser faire?
Prendre les gens au sérieux, c’est les laisser faire? Si nous essayons de faire avancer le diocèse ensemble, il est bon de se parler.

Allez-vous les réprimander ?
Vous n’accomplissez rien en réprimandant – pas plus que vous n’accomplissez quoi que ce soit en bannissant ou en disant aux gens ce qu’ils doivent faire. Pour moi, il s’agit de motiver, d’intégrer, d’accompagner. Le pape François dit discerner. Il est notre meilleur professeur.

Certains pasteurs ont peur que leur mission canonique ne soit pas renouvelée.
Personne ne doit avoir peur de moi. Nous avons affaire à un Dieu qui nous aime, qui nous apprécie, qui veut nous voir heureux, qui nous a préparé une maison éternelle et heureuse. Si nous voulons proclamer ce message, où est la peur? (cath.ch/rr/mp)

Pour une enquête historique sur les abus sexuels
Joseph Bonnemain s’est occupé de la question des abus sexuels dans l’Eglise en Suisse depuis près de 20 ans.
«Nous avons besoin d’une étude comme en Allemagne et nous prenons des mesures pour qu’elle puisse être mise en œuvre, relève-t-il. J’ai dit lors d’une conférence en décembre que  nous avons besoin d’un évêque courageux en Suisse qui a le courage d’émettre des normes particulières. Ce qui est valable dans la sphère civile doit l’être aussi dans l’Église: Les remarques sexistes, le harcèlement, la gestion non professionnelle de la proximité et de la distance ne sont pas tolérés. Point. Cela fait partie de la prévention.»
Le nouvel évêque de Coire se dit prêt si d’autres diocèses suisses participent. Un diocèse seul ne peut que changer un peu de choses. «Nous avons besoin d’une étude historique indépendante, sans aucune influence de l’Église mais aussi sans influence des victimes. Les scientifiques devraient chercher ce qui s’est passé, quelles sont les principales causes de ces abus, qui a été couvert, pourquoi n’y avait-il souvent aucune conséquence ? Nous avons besoin d’une étude pour la période de 1945 à aujourd’hui.» RR

Rédaction

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