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APIC – Interview
Rencontre avec le Père Georges
Persianov, prêtre russe en Sibérie
Plus de la moitié des Russes sont désormais orthodoxes (120197)
Face à l’afflux de nouveaux croyants, le clergé russe est démuni
Jacques Berset, agence APIC
Krasnojarsk (Sibérie) « Nous n’exigeons pas de catéchèse approfondie avant
de baptiser ceux qui affluent chez nous, c’est déjà un problème, admet le
Père Georges Persianov. Le manque de formation de nos prêtres, notamment en
Sibérie, est bien plus dramatique encore: l’Eglise russe est dominée par un
clergé quasiment ’illettré’ en ce qui concerne la formation théologique ».
Dur constat du prêtre sibérien alors que la moisson est toujours plus
abondante et les ouvriers si peu qualifiés! Le nombre de personnes se déclarant croyantes en Russie a en effet augmenté de quelque 72% durant les
cinq dernières années, les « incroyants » passant de 53% en 1991 à 37% aujourd’hui. Si la moitié des Russes se déclarent désormais orthodoxes (30%
en 1991), ils ne sont par contre que 5 à 10% à aller à l’Eglise (*).Une
proportion comparable à la pratique religieuse dans les sociétés occidentales sécularisées.
Cette forte progression des croyants dans l’ex-Russie soviétique, qui
touche en particulier les fidèles orthodoxes, est certes réjouissante, nous
confie dans un anglais parfait le Père Georges Persianov, responsable de la
formation des prêtres orthodoxes dans la métropole sibérienne de Krasnojarsk, sur le puissant fleuve Iénisséi. La ville, encore récemment fermée
aux étrangers, était l’un des centres les plus importants de l’industrie
d’armement en Sibérie orientale, au coeur de l’ancien complexe militaro-industriel de l’URSS avec ses mines d’uranium et de plutonium. Elle se situe
au kilomètre 4’014 du Transsibérien, à trois bonnes journées de Moscou.
Ici, comme dans d’autres villes russes, on baptise en masse: des centaines de personnes chaque week-end, même si la tendance est moins forte qu’il
y a trois ans.
(*) Sondage effectué en septembre 1996 par le Centre russe de sondages de
l’opinion publique (VTsIOM), basé sur un échantillon représentatif de 2’460
adultes de zones urbaines et rurales, cité par l’édition de janvier du Service orthodoxe de presse SOP à Paris.
Pour faire face aux attentes d’un peuple qui souffre d’une grande ignorance dans le domaine spirituel, fruit de 70 ans d’athéisation forcée et
d’interdiction des activités religieuses, « le clergé actuel n’est pas à la
hauteur », lance le Père Persianov, lissant sa barbe et fixant son interlocuteur avec un regard intense comme pour mieux le convaincre de la gravité
de la situation.
APIC:Le niveau de formation du clergé orthodoxe en Russie est-il vraiment
si bas pour parler de « situation dramatique »?
G.P.:Si l’on parle du niveau d’éducation générale, celui des prêtres est
comparativement élevé. Nombreux sont ceux qui ont suivi une éducation universitaire, notamment dans les filières techniques. Mais ce qui manque,
c’est la formation théologique. Sur ce plan, nous n’avons pratiquement
rien. Quand l’évêque a besoin d’ordonner un prêtre, il prend directement
des laïcs. On ne pose pas la question de savoir si le futur prêtre a reçu
une éducation religieuse ou non. La seule condition est de savoir s’il
croit en Dieu. La plupart des nouveaux prêtres sont ordonnés avant d’avoir
reçu la moindre éducation religieuse.
Parmi les 146 prêtres du diocèse de Krasnojarsk, nous n’avons que deux
prêtres avec une formation théologique de niveau académique; ils ont étudié
à l’Académie théologique de Zagorsk. Trois autres ont été formés au séminaire de Zagorsk. C’est pratiquement tout! Près d’une trentaine d’entre
eux ont été prêtres de paroisse la plus grande partie de leur vie, mais
n’ont pas cherché à se former. Ils sont tout à fait incapables d’avoir une
discussion théologique d’un certain niveau. Il y a aussi les jeunes prêtres
ordonnés sans aucune formation. C’est vraiment dramatique!
Une Eglise réduite en cendres par la persécution
Je peux expliquer ainsi cet état de fait: l’Eglise a été réduite en cendres par la persécution subie durant sept décennies de régime totalitaire
(Selon le Rapport Iakovlev, près de 200’000 membres du clergé ont péri des
suites de 70 ans de répression soviétique; 500’000 ont été envoyés au goulag ou ont été emprisonnés, nda). Nos écoles ont été fermées. Il était pratiquement impossible d’aller à Moscou; très peu ont pu s’y rendre et suivre
des cours à temps partiel.
Les héritiers de l’ »homo sovieticus »
A présent, on dit: « Vous êtes prêtre; votre première tâche, après la
prière du matin et du soir, est de venir à notre école diocésaine pour recevoir une formation ». Pourtant, la plupart de ces jeunes prêtres ne souhaitent pas se former. Ils estiment que ce n’est pas très bien d’étudier la
théologie, car certains ont dans la tête que les communistes reviendront au
pouvoir et qu’ils seront alors, de par leur formation, plus sévèrement punis que ceux qui sont restés analphabètes ou peu éduqués. Vous devez savoir
qu’il y a un fort risque de retour au pouvoir des communistes, car le pays
profond est resté soviétisé.
APIC:Vous devez affronter quotidiennement ce type de mentalité…
G.P.:Effectivement, c’est non seulement regrettable, mais encore très
dommageable pour l’Eglise et la société. Nous sommes les héritiers de
l’ »homo sovieticus »; le régime a essayé de créer un « homme nouveau »; il a
très bien réussi. Avec des conséquences sur l’Eglise elle-même, c’est évident. L’Eglise étant dominée par ce clergé en quelque sorte « illettré », en
commençant par la hiérarchie jusqu’aux diacres et aux laïcs actifs dans les
paroisses, on ne voit pas la nécessité d’une réforme au sein de l’Eglise
orthodoxe russe, que je n’hésite pas à qualifier de « corps mort ».
L’Eglise ne joue pas son rôle dans la société
Cette situation empoisonne l’Eglise et la société en général. Bien que
nous ayons un certain nombre d’évêques – environ 140 – et un nombre considérable de prêtres – plus de 20’000 pour 17’000 paroisses -, cela ne signifie pas encore que nous ayons une véritable Eglise. Ainsi, notre Eglise
n’est pas, au plan spirituel, une composante dirigeante de la société.
Elle ne dispose pas de principes d’organisation qui la structureraient.
Le patriarche a très peu d’influence sur la vie diocésaine. Les évêques
diocésains, selon le système orthodoxe, sont très libres dans leurs activités. Mais ils n’utilisent pas toujours leur liberté canonique pour les
bienfaits de l’Eglise. Ils considèrent que comme évêques, ils sont les premiers du diocèse et peuvent faire ce qu’ils veulent, comme des despotes.
APIC:Il faut donc tout reconstruire, tant au plan spirituel que matériel!
G.P:Nous avons des milliers d’églises et des milliers de monastères à
l’état de ruines. On dit que l’Eglise a actuellement des fonds substantiels
pour se financer elle-même. Mais ces fonds sont à peine suffisants pour
soutenir la vie de l’Eglise: permettre aux prêtres de vivre décemment,
acheter les articles nécessaires pour l’église, pour la liturgie. Nous
n’avons pratiquement aucun fonds directement pour les nouveaux bâtiments
d’église ou pour restaurer les églises en ruine.
En outre, la plupart du temps, la manière de distribuer les fonds n’est
pas contrôlée strictement. Il y a des détournements, c’est vrai. Il faut
cependant reconnaître que les membres du clergé en général, et pas seulement les prêtres, sont mal payés. Je ne peux pourtant pas dire qu’ils volent l’argent de l’Eglise. Nous avons surtout en ce moment besoin d’aide
matérielle – pas en priorité pour le clergé – mais pour soutenir nos programmes de formation. Sachez que si vous aidez notre Eglise financièrement,
nos évêques évidemment accepteront tous votre argent, mais ensuite certains
d’entre eux pourront tout aussi bien vous accuser de prosélytisme.
APIC:Justement à ce propos, que faut-il penser des attaques orthodoxe contre les catholiques, accusés de prosélytisme sur le territoire canonique de
l’Eglise orthodoxe…
G.P:Je suis inquiet par le fait que notre hiérarchie ne soit pas en mesure de comprendre une réalité toute simple, à savoir que les orthodoxes russes ne pourront pas vaincre en combattant tout seuls. Je pense que l’on se
trompe à Moscou et dans d’autres diocèses quand on considère que les catholiques et les non orthodoxes doivent être évincés de Russie. Beaucoup
d’évêques pensent que l’Eglise orthodoxe a beaucoup fait pour évangéliser
et éduquer ce pays dans un esprit chrétien et qu’à partir de ses anciens
succès, elle aurait le droit de dominer ici pour les années qui viennent.
La société russe n’est pas unanimement d’accord avec le christianisme
Ils ont peut-être raison, mais dans un système de pensée dépassé, traditionnel. Dans une pensée moderne, ils ont tort. Le problème c’est qu’ils ne
comprennent pas ce qui se passe maintenant ici dans le pays, c’est leur
tragédie. Il y a certainement ici un peu plus de liberté comparé aux temps
des soviets. Mais ils se sont surestimés; ils ont pensé que la société en
Russie était d’accord avec le christianisme, mais elle ne l’est pas.
Au début, en 1988, l’intelligentsia a porté son regard sur l’Eglise orthodoxe russe. Après avoir découvert qu’il s’agissait d’une Eglise ruinée
sur tous les plans, que le niveau culturel du clergé était si bas, elle lui
a tourné le dos. Au début, il y a eu un phénomène massif de baptêmes, maintenant, la tendance a considérablement décliné.
Dans l’atmosphère de chaos presque complet que nous avons maintenant
dans le pays, le processus d’enregistrement des baptêmes n’est pas au
point. Bien sûr, nous établissons des certificats pour ceux qui en veulent,
mais généralement, on ne les enregistre pas, donc il n’y a pas de statistiques de baptêmes précises et fiables.
Si l’on parle du point de vue quantitatif, c’est vrai qu’il y a des millions de personnes qui se font actuellement baptiser dans l’Eglise orthodoxe russe. Par exemple ici, à la cathédrale de Krasnojarsk: il y a 15 à
17’000 baptêmes par an, pratiquement sans préparation. La plupart ne suivent ni catéchèse ni cours bibliques… En matière de préparation aux sacrements, nous avons des exceptions hors du commun dans certaines paroisses, mais c’est justement des exceptions. C’est l’un des faits qui accréditent mon idée que nous n’avons pas véritablement d’Eglise en Russie.
APIC:Pour en revenir aux relations oecuméniques concrètes en Sibérie…
G.P:Nos évêques – pratiquement tous – c’est l’opinion officielle, disent:
les catholiques, les baptistes, les adventistes et peut-être d’autres dénominations chrétiennes n’ont aucun droit ici, car ce n’est pas leur patrie.
Il y a pourtant des catholiques depuis des générations en Sibérie, parce
que leurs ancêtres y furent déportés ou exilés. Ils ont fondé ici leur seconde patrie; ils ont le droit d’y pratiquer leur culte. Mais on continue
de dire qu’ils ne sont pas nombreux et qu’il n’y a pas de nécessité de développer l’Eglise catholique outre mesure.
Moi je dis que s’il n’y avait qu’un seul catholique, il devrait avoir
tous ses droits. Prenons ma paroisse, à Ujar, où je suis depuis 13 ans. Il
y a là des catholiques originaires de Pologne, d’Estonie, de Lettonie, etc.
Je les ai tous invités dans mon église, à venir prier de la façon qu’ils
préfèrent. Je pense que c’est la solution au problème; il faut se rencontrer à la base. Car vous n’aurez jamais l’agrément des membres notre hiérarchie, ils s’identifient par trop à une Eglise nationale russe! (apic/be)
Encadré
Père Georges Persianov
Le Père Georges Persianov est prêtre de paroisse en fin de semaine à Ujar,
une ville sibérienne à une centaine de kilomètres l’est de Krasnojarsk. Même s’il est quelque peu isolé au sein du clergé orthodoxe en raison de ses
prises de position critiques, il a été nommé par Mgr Antonij Ivan Ceremisov, évêque du diocèse de Krasnojarsk et Ieniséïsk, à la tête du Département diocésain d’éducation religieuse.
Il a été sollicité pour organiser et améliorer la formation tant au niveau du diocèse que des paroisses. Son but: que chaque paroisse orthodoxe
ait une école religieuse supervisée par un prêtre local ou un laïc capable
d’enseigner la religion. (apic/be)
Des photos illustrant cette interview sont disponibles à l’agence CIRIC,
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