Nicolas Betticher: «C'est Dieu qui bénit, pas l'Eglise!»

Le décret du Vatican interdisant la bénédiction de couples homosexuels continue d’essuyer une vague de critiques, de personnalités externes, mais aussi internes à l’Eglise. Le prêtre et juge ecclésiastique fribourgeois Nicolas Betticher met notamment le doigt sur des manques de ce document publié le 15 mars 2021 par la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) et esquisse quelques pistes pastorales.

Par Andreas Krummenacher, Pfarrblatt Bern/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Que pensez-vous du décret de la CDF?
Nicolas Betticher: L’utilisation des mots «péché» et «pécheurs», même si cela correspond à l’enseignement de l’Eglise, blesse les personnes homosexuelles. C’est un cas de mauvaise communication. Le texte appelle à valoriser les personnes homosexuelles et les qualifie en même temps de «pécheurs». Pour nous, pasteurs, une telle communication ne facilite pas les choses. Comment l’expliquer aux personnes que nous accompagnons?

Certains parlent d’un document qui ignore les réalités de vie de nombreuses personnes.
Ce décret est un document au ton très canonique. On a l’impression que la doctrine et la pastorale s’opposent. On ne peut pas réduire les personnes à leur vie sexuelle. Un être humain est bien plus que cela. Il faut considérer la personne dans son ensemble, avec sa complexité, dans la richesse de son développement humain. Certes, l’idéal de l’Eglise est le mariage entre un homme et une femme, avec le désir d’avoir des enfants. Bénie par Dieu, cette union est indissoluble dans le sacrement. C’est un idéal élevé pour l’Eglise catholique. Mais, il y a aussi toute la gamme des réalités humaines, parmi lesquelles les personnes homosexuelles. Il existe donc une tension entre ces deux pôles. En tant qu’Eglise, nous devons avoir une position claire sur ce point.

«Nous devrions parler beaucoup plus de valeurs évangéliques, comme la solidarité, la paix, etc., et moins de la morale sexuelle dans l’Église»

De nombreuses personnes se détournent de l’Eglise parce qu’elles ne peuvent ou ne veulent pas se conformer à cet idéal…
C’est cela. Ou alors, elles se sentent tellement éloignées de cet idéal, qu’elles se considèrent comme en état de péché envers Dieu, et en souffrent. Mais Dieu ne veut pas que les gens souffrent. Il est l’ami et le père de tous les hommes. La grande majorité des personnes jugent que la morale sexuelle de l’Eglise est obsolète, alors qu’elle ne l’est pas. Mais elle a été tellement idéalisée au sein de l’Eglise, qu’elle est devenue inconciliable avec la façon dont la société s’est développée. Nous ne devons pas rester face à ce vide sans rien faire, sinon nous laisserons toutes ces personnes livrées à elles-mêmes.

L’Église doit donc prendre plus au sérieux les personnes et leur dignité?
Je pense que nous devrions parler beaucoup plus de valeurs évangéliques, comme la solidarité, la paix, etc., et moins de la morale sexuelle dans l’Église. Dans ce domaine, nous ne sommes plus tout à fait crédibles. Parce que nous parlons de ces idéaux, et qu’en même temps, certains dans l’Eglise ne vivent ces idéaux que partiellement ou pas du tout. Inévitablement, cela crée un sentiment d’hypocrisie. Et ce n’est pas bon. Il faut plutôt tenir compte de la conscience de l’individu face à Dieu. Le pape François dit que nous devons enfin percevoir les personnes avec leur conscience d’adulte.

Pourtant, ces règles font partie du Catéchisme, la loi de l’Eglise.
Effectivement. Mais je pense qu’il faut tenir compte de «l’épikie» [vertu morale qui donne le sens du juste, ndlr.]: quand l’idéal de l’Église ne peut plus être mis en œuvre dans la vie des gens, quand le fossé est trop grand, alors la personne doit trouver des réponses pour elle-même avec sa conscience devant Dieu. Si elle a la certitude morale que sa réponse est la bonne pour sa vie, alors, de mon point de vue extérieur, je dois la respecter. Cette attitude s’appelle «l’épikie». Elle est valide dans tout domaine de la morale et du droit canonique. Mais il s’agit d’abord d’une réponse pastorale, pas magistérielle.

Quelles sont les lignes directrices éthiques pour une telle décision de conscience?
Certes, la conscience doit être informée, la personne doit connaître la doctrine de l’Eglise. Si un ou une catholique se découvre un penchant homosexuel et que cette personne ne peut pas vivre seule parce que sinon elle périrait psychologiquement, et qu’ensuite elle trouve quelqu’un, ressent le véritable amour, trouve le bonheur et ne fait de mal à personne – alors vous savez que sa conscience est formée. Dans ce cas, «l’épikie» est accomplie. La personne se tient devant Dieu et met sa confiance en Lui. Je ne dois pas intervenir ici pour essayer de changer cette relation avec Dieu.

«Il faut des réponses magistérielles qui intègrent l’analyse pluridisciplinaire de la question de l’homosexualité»

Le pape dit qu’en tant qu’Eglise, nous sommes un « lazaret ». Nous devons tendre la main aux personnes. Comment puis-je dire à une personne homosexuelle : «Vous vivez dans un état de péché permanent, vous devez vous séparer de votre conjoint, arrêter de vivre ainsi et accepter cet aspect de votre vie»? Là, je ne suis pas un « lazaret », je me tiens sur un piédestal, et je commande d’en haut ce que vous devez faire, sinon vous vivez dans le péché. Ceci n’est pas conforme à l’Evangile.

Que feriez-vous si un couple homosexuel vous demandait une bénédiction?
Je discuterais de la situation avec ce couple et aussi de manière individuelle. Je leur expliquerais l’idéal de l’Eglise et je leur demanderais quelle est leur motivation. (…) Nous pourrions ensuite développer ensemble un rituel où ils pourraient exprimer leur amour comme une réalité, que Dieu les bénit en tant que personnes, que nous prions ensemble, que nous développons quelque chose ensemble. Personne ne pourrait m’interdire de faire cela, et je me positionnerais dans le cadre de l’enseignement de l’Eglise.

Tout cela semble néanmoins toujours compliqué et limité. Le Magistère en lui-même n’est-il pas un obstacle aux relations humaines épanouies?
J’essaie de montrer que l’Église catholique a toujours des idéaux. C’est une bonne chose. L’homme a besoin d’idéaux. L’homme a également besoin de réponses lorsqu’il ne peut pas réaliser l’idéal. Là il faut des réponses magistérielles qui intègrent l’analyse pluridisciplinaire de la question de l’homosexualité. La théologie et la science devraient se parler davantage. Nous devons développer un enseignement unifié qui intègre la réalité scientifique sans exclure l’idéal. C’est une réponse que j’attends. (cath.ch/pfarrblatt-bern/ak/rz)

L’abbé Nicolas Betticher, âgé de 59 ans, travaille depuis 2017 dans la pastorale au sein de la paroisse Saint-Nicolas, à Berne. Il est également official, c’est-à-dire juge principal au Tribunal ecclésiastique interdiocésain de Suisse. Ce juriste et théologien d’origine fribourgeoise a exercé de nombreuses fonctions dans l’Eglise, en particulier en tant que vicaire général du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), ainsi qu’assistant du nonce apostolique à Berne. Auparavant, il a aussi été actif en politique, ayant notamment été député au Grand-Conseil fribourgeois et porte-parole de l’ancienne conseillère fédérale Ruth Metzler. Ordonné prêtre en 2007 pour le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, Nicolas Betticher a été incardiné dans le diocèse de Bâle à la fin 2020. RZ

Rédaction

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