La Francophonie au Vatican, une réalité en danger?

La langue française – quatrième langue la plus parlée au monde avec 320 millions de locuteurs – a été mise à l’honneur à l’occasion de la semaine de la Francophonie, avec pour point d’orgue le 20 mars, la Journée internationale de la Francophonie. Parce que le français est langue diplomatique, l’agence I.MEDIA a interrogé les ambassadeurs du Sénégal, de la Belgique et de la France près le Saint-Siège. Tous font le même constat: une forte concurrence menace peu à peu la place de la langue de Molière au sein du plus petit État du monde.

Le 12 mars, en présentant le budget du Saint-Siège, le Père Juan Antonio Guerrero, préfet du Secrétariat pour l’Économie, a laissé entendre que le Vatican pourrait, afin de réduire ses coûts de fonctionnement, limiter la diffusion dans certaines langues de la communication du Saint-Siège. Une perspective qui ne réjouit pas les défenseurs de la langue française, même si celle-ci n’est pas spécialement visée par l’annonce. «Il y a toujours la tentation de tomber dans ce genre de discours: avoir trois, quatre langues ou dix langues officielles coûte trop cher, complique tout et rend moins efficace», confie Patrick Renault, ambassadeur de Belgique près le Saint-Siège.

Montée en puissance du clergé africain francophone

Pour le diplomate, parler de Francophonie aujourd’hui c’est aussi bien défendre la langue française que refuser de se cantonner à une seule langue commune. Il s’agit de veiller à garder la diversité linguistique, confirme l’ambassadrice française près le Saint-Siège Elisabeth Beton-Delègue. Une pluralité qu’elle rattache à la vocation de l’Église universelle et à la défense de «l’acculturation» par le pape François.

Il s’agit aussi de défendre une «réalité géopolitique», insiste l’ambassadrice, qui souligne que d’ici vingt ans, la population francophone pourrait atteindre les 400 millions de locuteurs sur terre, principalement avec la croissance démographique de certains pays d’Afrique.

Cette croissance trouve un écho au Vatican dans la montée en puissance du clergé africain francophone, explique Patrick Renault, qui note l’élévation à la pourpre cardinalice du Rwandais Antoine Kambanda, archevêque de Kigali, en novembre 2020. L’ambassadeur du Sénégal près le Saint-Siège, Martin Pascal Tine, abonde en ce sens. Pour lui, le moment est «propice pour apprécier la place de la langue française dans la vie de l’Église en Afrique».

Le français, toujours assuré d’être la langue diplomatique au Saint-Siège?

Mais la concurrence avec les autres langues utilisées à la Curie est rude. Et la conjoncture actuelle, celle de la pandémie, a augmenté le phénomène de mise en concurrence du français, fait remarquer l’ambassadrice française: «L’anglais a pris une place de plus en plus grande». Martin Pascal Tine fait lui aussi le constat amer d’un recul de la langue française à la Curie.

Certes, le français reste encore la langue officielle utilisée par les diplomates du Saint-Siège. Toutes les communications diplomatiques écrites – paradoxalement appelées: «notes verbales» -, sont normalement rédigées en français. Mais la locataire de la Villa Bonaparte à Rome nuance. À plusieurs occasions, selon elle, des notes diplomatiques ont été rédigées en anglais, aux dépens du français. «Son statut de langue diplomatique n’est plus assuré», se désole-t-elle.

L’italien, l’anglais et… l’espagnol

Si l’italien reste évidemment la langue communément parlée derrière les murs de la cité léonine et que l’anglais monte en puissance, les francophones constatent aussi la présence de plus en plus importante de l’espagnol. Arrivé en septembre 2020 à son poste, l’ambassadeur de Belgique a été surpris par cette réalité qui s’explique sans doute par le fait que «beaucoup de cadres ou fonctionnaires à la Curie sont de langue ou de culture espagnoles». Elisabeth Beton-Delègue confirme ce constat, ajoutant par ailleurs que l’essor de cette langue pourrait aussi être lié à la nationalité du 266e pape.

La bataille linguistique a beau être rude, le français n’a pas dit son dernier mot. Les diplomates francophones accrédités près le Saint-Siège se félicitent d’ailleurs de la présence d’un certain nombre de cadres de la Curie qui parlent le français – «certains de manière très spectaculaire», se réjouit Patrick Renault. Ils remarquent aussi – signe positif – que de nombreux francophones ont été récemment nommés à des postes importants. Cette présence est importante pour la Francophonie, souligne Martin Pascal Tine, car le Saint-Siège reste «un soutien et une réalité» sur laquelle l’organisation linguistique doit pouvoir compter.

Investir dans la francophonie

Pour maintenir la présence du français au Vatican, des réflexions et des initiatives sont régulièrement menées. Sitôt les restrictions sanitaires levées, l’ambassade de Belgique prévoit par exemple de réunir des francophones gravitant autour du Vatican autour de l’historien belge Johan Ickx, directeur des Archives historiques de la section pour les Relations avec les États de la Secrétairerie d’État du Saint-Siège. «Ce sera l’occasion de parler de son livre écrit en français sur l’action de Pie XII en faveur des juifs, et puis aussi, dans un second temps, de réfléchir à la place du français au Vatican», détaille Patrick Renault.

D’autres actions concrètes participent au renforcement de la présence francophone au Vatican. Il faut noter que l’ambassade de France finance l’enseignement du français à la Curie, avec un système de cours particuliers, et a même augmenté les bourses linguistiques. La France propose ainsi des formations avec un séjour de quatre semaines à l’Institut catholique de Paris.

De son côté, le Sénégal rappelle l’héritage laissé au Vatican par le premier président de la Francophonie et ancien membre du Conseil pontifical pour la culture: le poète Léopold Sedar Senghor. Et souligne qu’une vingtaine d’étudiants sénégalais viennent chaque année étudier à Rome dans les universités pontificales. (cath.ch/imedia/cd/hl/rz)

I.MEDIA

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/la-francophonie-au-vatican-une-realite-en-danger/