Désarmement: «La position de l’Église n’est pas idéaliste»

Le Saint-Siège a de nouveau placé la question du désarmement sur le devant de la scène, en organisant un séminaire en ligne rassemblant chercheurs et responsables religieux, le 23 mars 2021. Interpellé par l’agence I.MEDIA, Mgr Bruno-Marie Duffé, secrétaire du Dicastère pour le service du développement humain intégral – qui organisait le wébinaire – déplore l’augmentation de la fabrication d’armes en pleine pandémie. Il explique par ailleurs pourquoi l’Église n’est pas idéaliste lorsqu’elle promeut le désarmement.

Par Hugues Lefèvre, I.MEDIA

Pourquoi avoir organisé une vaste réflexion sur le désarmement alors que le monde est concentré sur la résolution de la crise sanitaire?
Il y a un an, le Secrétaire général des Nations unies et le pape François ont lancé un appel à un cessez-le-feu immédiat et à un désarmement. L’idée était d’encourager l’affectation des dépenses militaires aux aides sanitaires et sociales. Or, nous déplorons que, de manière très paradoxale – voire provocatrice – , les investissements alloués à la fabrication d’armes aient augmenté. Un certain nombre d’États ont fait le choix de relancer leur économie par l’industrie des armes. La réflexion actuelle sur le désarmement menée notamment par l’Église est donc loin d’être hors sujet.

Pourquoi les religions, dont certains disent qu’elles sont facteurs de violence, sont-elles légitimes sur le sujet?
Ce ne sont pas les religions qui sont porteuses de violences. C’est l’utilisation des religions sur un registre idéologique et politique qui conduit à légitimer des discours violents. Chaque religion est une ouverture à l’altérité – à Dieu, au cosmos, au frère, etc. Faire appel aux religions pour réfléchir à ces questions fondamentales, c’est offrir aux responsables politiques une mémoire et une connaissance du soin de la vie qu’ils n’ont pas.

Le discours de l’Église sur le désarmement est souvent taxé d’idéaliste. Parmi des militaires et officiers chrétiens, on regrette parfois une déconnexion avec la réalité du terrain. Que répond l’Église?
Je trouve qu’il est caricatural de qualifier le discours de l’Église d’idéaliste. Sa parole porte un idéal de paix qui n’est pas détaché de la réalité. L’Église interroge le concept de sécurité. Pour de nombreux gouvernants, la sécurité suppose la fermeture. Or, toutes les expériences de guerre que l’humanité a traversées montrent qu’on ne sort véritablement d’une situation de conflit qu’en ayant recours à la coopération et à l’échange. L’exemple de la France et de l’Allemagne au sortir de la Seconde guerre mondiale est édifiant. Le pape n’est donc pas idéaliste lorsqu’il met en avant la culture de la négociation et de la rencontre, une méthode qui a fait ses preuves.

«La paix passe aussi par le multilatéralisme et la revalorisation des traités internationaux»

L’Église élargit aussi le concept de sécurité qui ne doit pas être le simple fait de se sentir en sûreté chez soi. Le cardinal Pietro Parolin parle de «sécurité intégrale» qui englobe bien d’autres sécurités – alimentaire, éducative, sanitaire, etc. Toutes ses dimensions bâtissent la paix et la sécurité. Ne nécessiteraient-elles pas plus d’investissements que la sécurité basée sur la menace des armes?

La course aux armements ne semble pas aller dans ce sens…
Non, et l’on peut s’interroger sur cette menace permanente que constituent les arsenaux conventionnels ou nucléaires et qui freinent objectivement tout dialogue politique. On sait pertinemment que bâtir une politique sécuritaire sur la menace et la peur ne peut produire de bons fruits. Dans l’avion qui le ramenait de son voyage en Irak, le pape François s’est à nouveau désolé du commerce des armes qui s’intensifie. Loin d’être naïf, il s’est ouvertement demandé quels étaient les fabricants et vendeurs d’armes. Au fond, qui est responsable de cette troisième guerre mondiale «par morceaux» dont il parle régulièrement?

Vous dites que la paix est un idéal. Elle est donc aussi un processus?
Oui, et c’est en cela que la position de l’Église n’est pas idéaliste. Nous savons qu’il s’agit d’un long chemin qui nécessite patience et vérité – sur les actes et les souffrances du passé notamment. La paix passe aussi par le multilatéralisme et la revalorisation des traités internationaux. Ils constituent une «architecture de la paix».

«Beaucoup recherchent des autorités et des références morales crédibles.»

Mais nous appelons également – gouvernants, militaires et citoyens – à «l’artisanat de la paix», c’est à dire, à favoriser tous les petits pas allant dans le sens de la paix. Cela passe par le fait d’oser modestement des rencontres, des collaborations ou des inspirations nouvelles. Lorsque le pape part en Irak, il prend le risque de s’ouvrir à l’altérité et au dialogue. C’est un acte éminemment politique en même temps qu’un acte moral.

Les chefs d’États et gouvernants de la planète sont-ils attentifs à vos réflexions?
Je le crois sincèrement. Beaucoup recherchent des autorités et des références morales crédibles. Nous n’avons plus de grands témoins tels qu’ont pu l’être par le passé les fondateurs des Nations unies, de l’Union européenne, ou d’autres encore. Il manque peut-être aujourd’hui des leaders charismatiques – au sens noble du terme – qui portent un projet d’avenir pour leur peuple et pour l’humanité et qui montrent aux jeunes générations un horizon d’espérance et de confiance mutuelle.

Le pape François a régulièrement au téléphone des dirigeants de la planète qui viennent entendre un conseil, un encouragement, une espérance. La réflexion de l’Église peut être pour eux une source d’inspiration et un soutien. (cath.ch/imedia/hl/rz)

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