Birmanie: le cardinal Bo condamne «le virus de l'autoritarisme»

Alors que les manifestations en Birmanie sont violemment réprimées, le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Yangon (Rangoun), dénonce l’autoritarisme et la «surdité» de la junte militaire. Le prélat catholique est toutefois opposé à d’éventuelles sanctions internationales qui précariseraient encore davantage la population.

Chiara Zappa, Mondo e Missione/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Près de 500 personnes auraient été tuées, en Birmanie, depuis le coup d’Etat du 1er février 2021. Suite à l’arrestation d’Aung San Suu Kyi, l’armée gouverne le pays d’une main de fer. Les nombreuses manifestations demandant le retour de la démocratie sont de plus en plus durement réprimées. Dans la journée du 27 mars, plus de 100 personnes ont été tuées, dont des enfants. L’Eglise catholique locale a appelé dès le début des troubles à l’apaisement et au dialogue, bien qu’elle apparaisse divisée. Le point de vue du cardinal birman Charles Maung Bo, premier cardinal de Birmanie, et archevêque de Yangon depuis 2003.

Quelle est la situation en Birmanie en ce moment?
Charles Maung Bo: Les conditions étaient désastreuses avant même le coup d’État: la pandémie de Covid-19 a plongé près de 60% de la population dans l’insécurité alimentaire. Les entreprises ont fermé leurs portes et des millions de personnes ont perdu leur emploi. De plus en plus de personnes souffrent de la faim. Cette nouvelle tragédie frappe au moment où la population est la plus vulnérable. Sur le plan de la santé également, la situation est précaire. Si le virus menaçait déjà le fragile système de santé, voilà que de nombreux médecins quittent les hôpitaux en signe de protestation, alors que la campagne de vaccination vient à peine de commencer. Jusqu’à présent, la réponse à la pandémie avait été bonne et, malgré des problèmes, les taux d’infection et de mortalité n’étaient pas très élevés. Maintenant, nous ne savons pas ce qui va se passer.»

La protestation est-elle soutenue par l’ensemble de la population?
Le mouvement de désobéissance civile était spontané. Il a été lancé par un médecin. Les jeunes se sont joints aux premier manifestants et des milliers de personnes sont bientôt descendues dans la rue pour protester pacifiquement. La population a été confrontée à d’innombrables défis au cours de l’année écoulée: la pandémie a poussé les gens aux limites de la survie et l’on attendait beaucoup d’un nouveau gouvernement capable de répondre aux besoins urgents. C’est pourquoi, les gens sont exaspérés et soutiennent les protestations.

«Nous craignons un bain de sang à grande échelle»

Comment réagissent les fidèles catholiques, le clergé, l’Église?
La réponse n’est pas uniforme, c’est une question très sensible. Il y a une nouvelle génération de fidèles, qui a grandi avec les médias sociaux et la connaissance du monde extérieur, qui a une plus grande conscience de ses droits et s’oppose à tout ce qu’elle ressent comme une injustice. Ces jeunes sont nés après le précédent coup d’État et ont atteint leur majorité à l’ère d’internet. Leurs valeurs et leur éducation ne proviennent plus seulement de la famille et de l’Église. Ils sont en première ligne du mouvement de résistance et cela a un fort impact sur la communauté. De nombreux prêtres et religieux sont touchés par leur grande implication.

Qu’est-ce que l’Eglise a concrètement fait?
Nous avons proposé des jeûnes et des veillées de prière pour la paix. Beaucoup de ces jeunes reviennent peu à peu à la prière, dans les paroisses ou dans la rue. Il faut garder à l’esprit que l’Église catholique est très diversifiée sur le plan ethnique, puisqu’elle est composée de huit groupes principaux et d’autres communautés, comme les Chinois et les Indiens. La plupart de nos diocèses sont associés à des minorités, et cela mène à des visions parfois différentes. Mais il y a une réponse très similaire au niveau des jeunes fidèles. Au niveau de la Conférence épiscopale, nous avons lancé un appel global à l’établissement d’un dialogue entre les parties.

Le cardinal Charles Maung Bo est archevêque de Rangoun depuis 2003. | Capture d’écran: Youtube/Thomas Khai

Quelle issue voyez-vous à cette situation?
Il n’y a pas d’alternative au dialogue. Nous craignons un bain de sang à grande échelle. Le drame des parents qui enterrent leurs enfants doit cesser. Continuons donc nos efforts pour amener les parties à la table des négociations. La communauté internationale et les Nations unies se sont fermement prononcées contre le coup d’État et la session spéciale des Nations unies sur le Myanmar a appelé à un retour à la démocratie. Malheureusement, jusqu’à présent, il n’y a pas eu de réponse de l’armée, qui reste pourtant un interlocuteur fondamental, car elle est très puissante et contrôle la police. L’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) tente de l’impliquer dans un dialogue, mais il n’y a pas encore de résultats probants. L’armée a déclaré son intention d’organiser de nouvelles élections dans un délai d’un an, mais il reste à voir si cela se produira. Le scénario le plus sombre serait une répétition de ce qui s’est passé en 1988, lorsque la junte militaire s’est barricadée et est restée au pouvoir pendant deux autres décennies. Prions pour que cela n’arrive pas cette fois-ci.

Pensez-vous que la délégitimation d’Aung San Suu Kyi par la communauté internationale était une erreur?
Les jeunes sont très attachés à Aung San Suu Kyi, les gens l’aiment. Lors des élections de novembre dernier, elle a obtenu 83% des voix, et lorsqu’il s’agira de voter, elle gagnera à nouveau. Dans le pays, son autorité s’est accrue. Il est certain que son éclat en tant qu’icône de la démocratie s’est terni en raison de la défense controversée de l’armée devant les tribunaux internationaux, et certains groupes de défense des droits de l’homme et ONG se sont détournés d’elle. Mais la réaction du monde au coup d’État nous montre qu’il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle: la plupart des gouvernements ont appelé au retour de la démocratie et à la restauration du pouvoir d’Aung San Suu Kyi.

«Sur les dix pays de l’Asean, seuls deux peuvent être définis comme de véritables démocraties»

Que demanderiez-vous à la communauté internationale?
De regarder le Myanmar au-delà des partis politiques et des militaires. C’est une nation de gens qui travaillent dur et qui ont été mis au défi pendant 70 ans. Nous étions autrefois le pays le plus riche de la région, mais nous sommes aujourd’hui parmi les plus pauvres du monde. J’ai lancé un appel à la communauté internationale pour qu’elle ne mutile pas notre économie par des sanctions sévères. Les gens ont besoin de travailler, de se nourrir. Les pays étrangers doivent passer de la condamnation à l’implication. Il faut aller vers la négociation et non vers une confrontation encore plus dure.

Faites-vous confiance à la nouvelle génération au Myanmar?
En tant que salésien et partisan de l’affection de saint Jean Bosco pour les jeunes, j’ai une grande confiance. Et mon cœur pleure pour eux. Quatre ou cinq générations ont vu leurs rêves détruits dans ce pays et aujourd’hui les jeunes se battent, une fois de plus, pour ne pas voir leurs rêves se transformer en cauchemar. Nous ne pouvons pas les laisser tomber à nouveau. Le Myanmar a de nombreuses richesses naturelles, mais la ressource humaine est la plus précieuse. Les jeunes constituent près de 40% de la population. Si seulement nos dirigeants valorisaient cet atout démographique, notre nation pourrait dépasser n’importe lequel des plus riches pays voisins en l’espace d’une décennie. (…)

Vous êtes également président de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie: quels sont les principaux défis dans cette région?
Le premier concerne le «virus» des démocraties illibérales et de l’autoritarisme, qui a infecté de nombreux pays asiatiques. Sur les dix pays de l’Asean, seuls deux peuvent être définis comme de véritables démocraties. Bien que le développement économique se soit accéléré, il a eu un coût énorme en termes de droits de l’homme et de libertés. Même l’Inde, autrefois phare de la démocratie, a glissé dans la manipulation illibérale. (…) Dans toute la région, la course au développement a mutilé deux grands droits constamment rappelés par le pape François: les droits économiques et environnementaux. Il y a également le drame de la migration: les pays riches d’Asie ont bénéficié de l’exploitation de la main-d’œuvre bon marché des États plus pauvres. Il n’existe pas d’accord régional pour la protection des travailleurs et, aujourd’hui, des millions de personnes se retrouvent hors de leur pays, souvent dans des conditions choquantes d’esclavage moderne. (…)

(cath.ch/mondoemissione/cz/rz)

Les religions en Birmanie

La religion bouddhiste est prédominante en Birmanie, représentant près de 90% de la population. Le 10% restant représente les minorités musulmanes, chrétienne (6,2%) et hindouiste. Les catholiques constituent environ 1% de la population. RZ

Rédaction

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