Saint Joseph: aucune parole, mais des actes qui parlent 4/6

Dans la Bible, saint Joseph ne dit mot. Toutefois, ses actions et sa relation avec Marie ont beaucoup à nous dire. Portrait du père terrestre et «précurseur» de Jésus, dressé par le bibliste Philippe Lefebvre, à la lumière de l’Ancien Testament.

«Un homme qui se tait et qui écoute, c’est assez rare. Joseph en fait partie», constate le dominicain Philippe Lefebvre, la Bible en main. «Joseph ne parle pas. Aucun discours direct n’est rapporté dans les évangiles. Mais il entend la Parole de Dieu et la met en pratique: en rencontrant sa femme Marie et en accueillant son enfant». Deux fonctions «habituelles» pour un mari et un père, mais qui ne sont pas toujours si évidentes, estime le professeur de l’Université de Fribourg. Interview.

Dans les évangiles, Joseph ne semble occuper qu’une place secondaire?
Philippe Lefebvre: Si l’on prend en compte tous les versets du Nouveau Testament (NT), ils ne parlent de Joseph uniquement pendant 0,45%, d’après mes calculs. C’est très peu. A première vue, on pourrait qualifier Joseph de personnage secondaire. J’aime bien rappeler ce passage de la première lettre aux Corinthiens: «Ce qui est faible, petit, méprisé dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi (1 Co 1, 27-28)». Ce sont des versets qui collent assez bien à Joseph, dont on parle peu. Mais ce peu, c’est en fait vraiment beaucoup. Et sa place – notamment du fait qu’il soit cité au début de l’évangile de Matthieu – fait de lui le premier personnage de tout le NT.

«Joseph, fils de David, est un ‘précurseur’ de Jésus, fils de David»

Philippe Lefebvre

Joseph est un des personnages qui introduit Jésus…
Par rapport à Jésus, Joseph est un ‘précurseur’. A côté de Jean-Baptiste dont les textes parlent beaucoup, Joseph est aussi un précurseur. La généalogie, chez Matthieu, présente Jésus comme ‘fils de David’, et très rapidement, l’Ange qui s’adresse en songe à Joseph le nomme aussi ‘fils de David’. Joseph est une sorte de relai entre l’Ancien Testament (AT) et le Nouveau et la figure de Jésus. Les évangélistes Matthieu et Luc misent beaucoup sur Joseph. Il est présenté chez eux de manière assez rapide, mais si l’on regarde de plus près, Joseph est un personnage riche et complexe.

En quoi Joseph est-il complexe?
Il est à la fois héritier de différentes traditions de l’AT et héritier de l’expérience des humains dont la Bible parle très souvent. Pour un homme, par exemple, le fait d’être avec une femme ou de s’occuper d’un enfant. Les récits bibliques sont truffés d’expériences de l’humain qui vit avec Dieu. Joseph en est dépositaire. Il est le premier à concentrer sur sa personne des expériences de l’AT et le premier à participer à l’accomplissement des Écritures que le Christ va mener à son terme. En d’autres termes, Joseph va amener le ‘Christ parmi nous’ dans ce monde humain et juif, héritier d’une tradition si ancienne.

Pour le bibliste Philippe Lefebvre, saint Joseph pourrait être davantage promu de cette richesse théologique et biblique dont il est dépositaire | © Grégory Roth

Que dit la Bible de cette expérience de Joseph d’être avec une femme?
La première expérience de Joseph, c’est la rencontre d’une femme qui se retrouve enceinte avant qu’ils aient cohabité. Selon la loi (Dt 22, 23ss), une femme dans cette situation doit être lapidée. Dans un premier temps, Joseph veut la répudier, mais en secret, pour ne pas faire d’histoires. Dans la Bible, quand un homme est confronté à une situation qui le dépasse, il dort! C’est là que l’Ange vient le visiter. On passe, avec Joseph, d’un premier mouvement de répudiation – qui est prévu par la loi – à un mouvement de rencontre et retrouvailles avec Marie. Et d’acceptation d’une situation difficile.

«Joseph et Marie: un cheminement qui passe d’une possible répudiation à une rencontre nuptiale»

Philippe Lefebvre

Cette rencontre fait écho à d’autres scènes bibliques…
Cette scène inaugurale, nous la retrouvons au début de la Bible. Lorsque l’homme, Adam, est endormi, Dieu lui prélève une côte pour en «bâtir» une femme (Gn 2, 21). De manière générale, les rencontres d’un homme et d’une femme sont toujours des aventures incertaines. Dans le cas de Joseph et Marie, c’est un cheminement qui passe d’une possible répudiation à une rencontre nuptiale. Cette dynamique se retrouvera avec Jésus, dans ses rencontres avec une ou plusieurs femmes. Avec la Cananéenne (Mt 15, 21ss), par exemple. Les disciples veulent que Jésus la ‘renvoie’ – du grec ἀπολύειν / ‘apoluein’: renvoyer, qui est employé pour la répudiation de Marie (Mt 1, 19) –. Mais Jésus laisse venir la femme, la rencontre, et, avec elle, guérit sa fille.

Joseph aussi a ses précurseurs dans l’Ancien Testament…
Ce n’est pas un hasard si Joseph a beaucoup de rapport avec des personnages de l’Ancien Testament. C’est parce que ces rapports sont voulus et présentés comme tels par les évangélistes: il s’inscrit dans une histoire. Il y a bien sûr le premier Joseph, celui de la Genèse, le fils préféré vendu comme esclave par ses onze frères… Saint Joseph ressemble à celui de la Genèse – tout en étant «retravaillé». Son histoire a des similitudes. Joseph a lui aussi un père qui s’appelle Jacob. Avec Marie, Joseph doit fuir en Égypte. Dans la Genèse, Joseph est vendu et va se retrouver en Égypte.

«La mission de Joseph est de faire vivre»

Philippe Lefebvre

Joseph de la Genèse prend soin des autres. D’abord chez son maître égyptien, ‘il sait y faire’. Puis en prison, il s’occupera des autres prisonniers. Plus tard chez pharaon, il recommandera de prendre des décisions pour la survie du peuple, avant que n’arrivent les sept années de vaches maigres. La mission qui est associée à Joseph est de «faire vivre». Il en va ainsi dans les évangiles de Matthieu et Luc: Joseph prend soin de sa femme Marie, puis de son enfant Jésus.

Que dire de Joseph comme «père de Jésus»?
Quand Jésus a 12 ans, ses parents le prennent à Jérusalem pour la Pâque (Lc 2, 41ss). Sans prévenir ses parents, Jésus reste à Jérusalem. Ses parents le cherchent pendant trois jours, avant de le retrouver au Temple. Marie dit: «Ton père et moi, nous t’avons cherché», alors que l’on sait parfaitement dans l’évangile de Luc qu’il n’est pas le père biologique. Alors qu’est-ce qu’un père? Un père est celui à qui un fils est donné, qu’il l’ait procréé lui-même ou non. Un père a un fils qui lui est donné par Dieu. Comme le dit de Prologue de Jean: il ne s’agit pas de naître de chair et de sang, mais de Dieu».

Joseph est père parce qu’il a «reçu» un fils…
Oui, tout comme un fils est fils, parce qu’il est confié à son père. Mais il n’est pas pour autant sa propriété. Car il a déjà un Père auprès duquel il doit demeurer. Et Joseph est témoin de cela. En ce sens, la Sainte Famille présente une situation très particulière, mais parlante: un fils n’est pas une sorte de produit de nécessité. Il est toujours donné par Dieu. Et Joseph est comme un père qui témoigne devant son fils de ce que c’est qu’être fils devant Dieu. (cath.ch/gr)

A lire: Philippe Lefebvre, Joseph. L’éloquence d’un taciturne, Salvator, 2012.

2021: une année spéciale saint Joseph

Dans cette année dédiée à Joseph, que préconisez-vous pour mieux le connaître?
La meilleure manière de le (re)découvrir est de se replonger dans les textes bibliques (notamment le début de Matthieu et Luc). Joseph fait partie de ces croyants qui vont et viennent au pas de Dieu. Hérode et tous ceux qui l’entourent restent sur place (cf. Mt 2). Joseph au contraire est un homme en mouvement avec Dieu: il part avec les siens en Égypte, puis revient et part s’établir à Nazareth.

Pour certains, la piété envers Joseph risque de faire de l’ombre à Marie…
Joseph pourrait être davantage promu dans cette richesse théologique et biblique dont il est dépositaire, comme ‘précurseur du Christ’. Et cela ne fait pas d’ombre à Marie. Car quand on vit vraiment avec Dieu, on ne fait de l’ombre à personne. Comme Jésus le rappelle en Mt 19, l’homme et la femme ne forment qu’une seule chair (citant Gn 2, 24). Ainsi en est-il pour Marie et Joseph – même s’ils n’ont pas connu l’amour charnel. Ce qui fait naître l’unité, c’est l’Esprit Saint qui, de deux, fait une seule chair. C’est ce que chaque croyant vit avec le Christ, quand il reçoit son Corps (lors de l’Eucharistie). Joseph et Marie faisant une seule chair est une des voies qu’il faudrait promouvoir en théologie et dans la piété.

Joseph n’est-il pas méconnu?
Pendant longtemps, nous n’avons effectivement pas su comment ‘caser’ Joseph, à côté de Jésus (Fils de Dieu) et Marie (Mère de Dieu). Il était traité un peu comme l’ami de la famille, qui faisait la tambouille et cantonné à des choses accessoires: comme dans la dévotion, on lui demande s’il est possible d’avoir ceci ou cela. Mais il y aurait, dans la foi active des chrétiens, à penser théologiquement la relation entre Joseph et Marie, voire entre Joseph et Jésus.

A contrario, comment répondre à un risque d’une piété excessive durant cette année?
En prenant vraiment en compte l’action de Dieu, les choses sont replacées dans cette «santé évangélique» que les textes nous transmettent. Il y a bien sûr Jésus, Fils de Dieu, qui est au centre, mais qui ne naît pas sans tout cet accompagnement humain, composé de gens qui participent à ce qu’il est: les personnages bibliques et nous-même, croyants, qui prenons part à cette intimité avec Jésus. GR

Grégory Roth

Portail catholique suisse

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