«Sans Dorothée, il n'y aurait pas eu de saint Nicolas»

Le pape a consacré une année spéciale au mariage et à la famille. Pour le religieux suisse Josef Rosenast, aumônier au Ranft, le couple constitué par Nicolas de Flüe et Dorothée Wyss est un modèle de sainteté susceptible d’inspirer cette année Amoris laetitia.

Christoph Brüwer, katholisch.de (via kath.ch)/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Le prêtre pallottin Josef Rosenast travaille depuis 2016 comme «aumônier des pèlerins de saint Nicolas», à Sachseln et Flüeli-Ranft (OW). Promouvoir la figure du saint patron de la Suisse n’est pas son seul combat: il rêve que le pape François autorise officiellement –si possible dans le cadre de cette année Amoris laetitia– la vénération conjointe de Frère Nicolas (1417-1487) et de sa femme Dorothée Wyss.

Père Josef, vous faites campagne pour que le pape François autorise la vénération de Frère Nicolas et Dorothée Wyss en tant que couple saint. Pourquoi est-ce si important pour vous?
Josef Rosenast: Cela a en fait été un problème depuis que je travaille ici, à Sachseln et Flüeli-Ranft, en tant «qu’aumônier de Frère Nicolas», peu avant le Jubilé, fin 2016. Et cela date déjà d’avant mon époque, lorsque l’accent était mis sur la béatification ou la canonisation de Dorothée. Nous avons ensuite découvert l’impossibilité d’une telle béatification, du fait qu’il n’existe pratiquement aucun document la concernant, comme c’était le cas pour la plupart des femmes à cette époque. Pour moi, cependant, Frère Nicolas et Dorothée forment à eux deux un ensemble de sainteté. Parce que sans Dorothée, la destinée de Frère Nicolas n’aurait pas pu se réaliser. Et il me semble que c’est un élément également important, en tant que témoignage, pour aujourd’hui.

22e Rencontres Nicolas et Dorothée de Flüe, à St-Maurice

L’année de promotion du mariage et de la famille a commencé depuis le 19 mars. Quel rôle ce couple peut-il y jouer?
Nous sommes actuellement à la fois dans cette année Amoris laetitia, et dans celle dédiée par le pape à saint Joseph. Tout cela s’intègre merveilleusement bien, car je pense qu’il existait entre Marie et Joseph un lien similaire à celui qui unissait Nicolas et Dorothée. Tous deux avaient une vocation semblable et leur partenaire de vie ont dit ‘oui’ à cette vocation. Ils ont rendu témoignage par ce mariage qui a consisté à se donner l’un à l’autre la liberté d’accomplir cette vocation. Il est donc merveilleux que le dimanche des Rameaux, à l’occasion de l’ouverture de la saison du Musée du Frère Nicolas, à Sachseln, on ait pu inaugurer l’exposition spéciale «Dorothee Wyss – Histoire d’une femme extraordinaire». Et que Roland Gröbli, spécialiste du saint, ait publié également à cette date son nouveau livre Dorothee Wyss – Vie et signification d’une femme extraordinaire (Leben und Bedeutung einer aussergewöhnlichen Frau).

Voyez-vous dans l’histoire de ce couple des liens avec notre époque actuelle?
Dans le monde d’aujourd’hui, où les partenariats et les liens familiaux sont de moins en moins contraignants, un couple saint me semble constituer un modèle très important. Jusqu’à présent, un seul couple marié a été canonisé: celui formé par Louis et Zélie Martin, les parents de sainte Thérèse de Lisieux. Pour moi, une canonisation – surtout d’un point de vue œcuménique – signifie que la personne est un exemple. De mon point de vue, tant dans le mariage que dans le célibat des prêtres et des religieux, le discernement est quelque chose de très important.

«Le mariage et le célibat sont faits tous deux d’aventure et d’incertitude»

Il me semble que les jeunes, en particulier, ont énormément de mal à se décider et préfèrent tout assurer à l’avance. Mais le mariage et le célibat sont faits tous deux d’aventure et d’incertitude. Je ne peux pas tout garantir, mais je peux dire ‘oui’ à ce qui vient sans savoir ce que c’est. La condition fondamentale pour cela, tant dans le sacrement du mariage que dans celui de l’ordination sacerdotale, est la confiance dans le ‘oui’ de Dieu. Un autre point est la répétition de ce ‘oui’. Dorothée et Frère Nicolas, comme Joseph et Marie, ont dit ‘oui’ encore et encore – même lorsque Frère Nicolas est parti. Il ne s’est pas enfui, comme beaucoup de gens le disent, mais il est parti après un long échange avec Dorothée et après qu’elle ait dit ‘oui’, parce qu’elle avait elle aussi reconnu l’appel de Dieu.

Saint Nicolas a en effet quitté sa femme, après 20 ans de mariage et dix enfants ensemble, pour vivre dans la solitude. Peut-on réellement voir cela comme un modèle de relation réussie?
J’ai déjà rencontré des gens, ici, qui m’ont dit: «Je vais faire comme Frère Nicolas, je vais partir.» C’étaient des personnes qui s’étaient disputées et ne pouvaient plus s’aimer. Mais il s’agit de quelque chose de totalement différent: Frère Nicolas et Dorothée ne se sont pas quittés, c’est juste que Frère Nicolas est parti parce qu’il a reconnu l’appel de Dieu. Dorothée était une femme croyante, elle l’a également reconnu et a donc finalement dit ‘oui’. Frère Nicolas n’est jamais rentré chez lui après cela, mais Dorothée venait souvent au Ranft avec ses enfants et s’occupait aussi des pèlerins qui venaient voir l’ermite.

«Lâcher prise, ce n’est pas perdre l’autre, mais lui appartenir d’une manière nouvelle»

Le modèle n’est donc pas de partir, mais de dire ‘oui’ à l’autre et à sa propre vocation et de «lâcher prise» mutuellement. J’aime comparer cela aux enfants qui quittent la maison de leurs parents. Lâcher prise ne signifie pas perdre l’autre, mais appartenir à l’autre d’une manière nouvelle et se dire ‘oui’ l’un à l’autre. Et il ne faut pas oublier que Frère Nicolas avait déjà transmis la ferme à son fils aîné lorsqu’il est parti. La famille n’était pas du tout dans le besoin et on s’est occupé d’elle.

L’année dernière, le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin devait venir vous voir, et vous vouliez lui présenter votre demande de vénération conjointe. En raison de la pandémie, la réunion n’a pas pu avoir lieu. Y a-t-il une nouvelle date de prévue?
Non, il n’y en a pas encore. Nous ne savons même pas s’il viendra. Mais une autre occasion s’est présentée à la fin de l’automne: je suis allé à Rome avec l’évêque. Nous y avons été miraculeusement reçus par le chef adjoint de la Congrégation pour les causes des saints. J’ai pu lui donner des documents pour la canonisation de Frère Nicolas et Dorothée en tant que couple marié. Le pape Jean Paul II avait déjà qualifié Dorothée de «sainte femme». Le cardinal suisse Kurt Koch est également membre de la Congrégation pour les causes des saints. J’ai pu m’entretenir avec lui à ce sujet à plusieurs reprises. Je lui ai également dit que, comme je m’appelle Josef, je rêvais d’une réponse positive de la Congrégation avant la fin de cette Année saint Joseph.

Pensez-vous cela possible?
Je chéris ce rêve et je ne l’abandonnerai pas. Une canonisation formelle, telle qu’elle existe aujourd’hui, pourrait ne pas être possible. Mais il est envisageable que le pape approuve la vénération de Frère Nicolas et Dorothée en tant que couple saint. Je l’espère vraiment. Le couple irait si bien avec l’Année du mariage et de la famille. Donc j’espère toujours.

Dorothée Wyss a accompagné Nicolas jusqu’à sa mort | © Raphaël Zbinden

Mais pourquoi faut-il finalement l’autorisation du pape pour les vénérer en tant que couple? Comme simple croyant, ne puis-je pas le faire?
Bien sûr que vous pouvez. Quand j’ai commencé ici comme aumônier, j’ai aussi rencontré le nonce. Lorsque je l’ai salué, il m’a dit: «Ah, c’est vous qui voulez canoniser Dorothée. Nous ne pouvons pas faire cela à Rome, vous devez le faire ici en Suisse. Il y a encore trop peu de vénération pour Dorothée.» Ce à quoi j’ai répondu: «Je peux m’en occuper.» Et cela est déjà bien en route: il existe maintenant de nombreuses églises et chapelles où Frère Nicolas et Dorothée sont vénérés ensemble. En Allemagne, le Landvolkbewegung Bayern a lancé une grande collecte de signatures pour la béatification ou la canonisation de Dorothée. Mais lorsqu’il s’agit de l’approbation du Vatican, il s’agit avant tout de la vénération liturgique publique en tant que couple marié. Ce serait déjà une autre étape.

«Où sont les reliques de Dorothée?»

Lorsque les gens viennent ici, à l’église des pèlerins de Sachseln, et voient les reliques de Frère Nicolas, ils demandent souvent: «Où sont les reliques de Dorothée?» Comme Frère Nicolas était considéré comme un saint vivant de son vivant, il a bénéficié d’une sépulture spéciale dans l’église. C’est pourquoi les ossements existent encore aujourd’hui. Dorothée, en revanche, a simplement été enterrée dans le cimetière près de l’église. C’est pourquoi il n’existe pas de restes connus. Mais il y a dans l’église une relique de leur couple marié, à savoir la bure d’ermite de Frère Nicolas. Elle a été fabriquée pour lui par Dorothée. A cet égard, cet habit est une relique commune des deux et un merveilleux témoignage de leur ‘oui’ commun. (cath.ch/katholisch/cb/kath/rz)

Rédaction

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/sans-dorothee-il-ny-aurait-pas-eu-de-saint-nicolas/