Savoir et voir

Un des gros problèmes lié à la pandémie est que nous sommes accablés d’informations et de savoirs, alors que nous manquons terriblement de contacts et de visions. Je pense souvent au matin de Pâques. Les disciples savaient mais ils ne voyaient rien et l’Evangile de préciser au contraire à propos de saint Jean «il vit et il crut».

Nous sommes face à une de nos faiblesses. Pour comprendre quelque chose ou un événement, nous avons besoin de voir. Dans mon métier d’enseignant, je me suis toujours efforcé d’aller voir et de ne pas me contenter des livres. Je me souviens très bien de mes missions en Afrique ou au Brésil et combien elles ont profondément changé ma vision de ces deux continents et du développement. Celui-ci est affaire d’acteurs et d’actrices et l’essentiel pour nous est d’aider à construire leurs capacités dans tous les domaines.

Oui, nous ne pouvons savoir qu’en voyant. C’est vrai également de nos amis et de nos parents. A ce niveau, la pandémie est destructrice. Nous entretenons l’illusion que l’internet peut remplacer le contact physique et donc la vision. Cette illusion me fait penser à mes collègues qui trituraient des échantillons de données sur leur ordinateur et croyaient ainsi traiter du réel. Pour bien comprendre le rôle de la présence physique, écoutons nos aînés privés de visite dans les homes ou les malades qui ont été reclus dans les hôpitaux en raison de la pandémie. Ils vous persuaderont que l’ordinateur et le smartphone ne sont que des ersatz à la présence réelle des personnes.

Cette impasse faite sur la vision ne devrait pas nous affecter en tant que chrétiens. Nous croyons en un Dieu incarné et les textes pascals font sans cesse référence à la vision. Et pourtant, cette impasse est omniprésente. Par peur ou par respect, nous avons réduit nos visites à nos proches et nos voisins. Nous avons limité notre présence à la messe et je connais même des chrétiens qui ont arrêté de communier par crainte de la contamination.

«Au niveau des personnes, l’Eglise est devenue en partie invisible et la Covid-19 a aggravé le phénomène.»

Mais plus généralement, quelle place donnons-nous aux visites dans notre pastorale? Celles-ci devraient en être le cœur, comme le démontre le Christ dans ses Evangiles. Nous sommes une Eglise de ‘sachants’ et non un Eglise de ‘voyants’. Nous croyons pouvoir comprendre sans voir. Une anecdote pour confirmer mon propos. Cela fait 30 ans que je vis dans le même village de 2’800 habitants. Et en 30 ans, bien que fidèle paroissien, je n’ai jamais vu un évêque ou un vicaire épiscopal. Les évêques et les vicaires épiscopaux ont changé plusieurs fois, mais aucun n’a jugé utile de nous rendre visite.

Que ce soit en science ou dans le domaine de la religion, croire que l’on peut savoir sans voir est une illusion moderniste. Pour expliquer les sorties d’Eglise, on insiste beaucoup sur les récent scandales qui ont affecté l’institution. On oublie son caractère désincarné. Notre Eglise manque terriblement de témoins. Quand je vais prier chez Marguerite Bays à Siviriez, je suis toujours frappé par son authentique présence auprès des personnes quelles qu’elles soient. Elle était sans cesse en chemin. Alors suivons ses traces et les sorties d’Eglise ne seront plus un problème qui préoccupe notre évêque. Allons-nous faire vacciner et reprenons dès l’été le cours de nos rencontres et de nos contacts sociaux.

Jean-Jacques Friboulet

14 avril 2021

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